L'air glacial gelait mon visage comme si le moindre choc pouvait le pulvériser. J'ai parqué le Vélib' et entrepris mon premier voyage en tramway depuis sa mise en service. Il passe enfin à proximité de chez moi. Le voyage aller s'est fait sans encombre, mais pas sans encombrement, des automobilistes énervés roulant sur les rails Porte de la Villette.
Le design sonore des annonces des stations me déçoit, je m'attendais à des jingles plus en rapport avec le nom des stations, d'autant que nombreuses des nouvelles portent des noms de femmes et non des moindres, la féministe libertaire Séverine, la résistante à l'apartheid américain (et en autobus) Rosa Parks, et surtout des voix inoubliables, emblématiques, comme celles de Delphine Seyrig et Ella Fitzgerald... C'est bizarre, j'avais lu que Rodolphe Burger avait fait comme déjà à Strasbourg, en utilisant des voix et accents réfléchissant la variété ethnique de la population parisienne. Je n'ai rien entendu de cela.


Au retour je vois une vieille femme qui tente désespérément d'ouvrir la porte à l'avant pour grimper. L'autocollant Hors Service a été intelligemment placé trop haut pour qu'on puisse le lire. J'ai beau lui faire de grands signes le soleil l'empêche de me voir. Le chauffeur la regarde impassiblement dans le rétroviseur et il la plante là, seule, dans le froid assassin. Peut-être se dit-il qu'elle n'aura qu'à prendre le prochain, dans un petit quart d'heure. Je suis estomaqué. À l'arrêt suivant du 3b un grand type en casquette se fiche en colère contre le chauffeur qu'il a vu jouer avec son portable au volant sans se préoccuper des usagers qui font le pied de grue enfermés dehors. Deux minutes plus tard il engueule le cuistre en lui hurlant qu'il ne faut pas s'étonner qu'il y ait ensuite des agressions si des employés de la RATP se comportent de manière aussi goujate. Le grand type est tenté d'appuyer sur le bouton de la porte qui nous sépare du muffle, d'autant que travaillant aussi pour la Régie il tient à la main un passe lui permettant d'extraire le salopard de sa cabine de verre. Il m'explique qu'au terminus les chauffeurs doivent sortir de leur habitat protégé pour gagner la cabine opposée et repartir dans l'autre sens. Je lui réponds que les salariés ne devront pas s'étonner d'être remplacés par des machines s'ils sont incapables de la plus simple humanité. Je descends à Adrienne Bolland, une aviatrice qui traversa la Cordillère des Andes en 1921 et réchappa à maints sabotages et accidents provoqués par ses positions féministes et politiques.