Tout va bien en Amérique, l'essai théâtral et musical de Benoît Delbecq et David Lescot, ressemble à la bande dessinée de Mike Konopacki et Paul Buhle d'après Une histoire populaire des États Unis d'Howard Zinn. La très belle mise en musique de jalons symboliques de l'histoire de l'Empire américain est une adaptation séduisante des deux siècles de crimes que chaque Étasunien devrait connaître. Tout en demi-teintes les acteurs égrènent le cynisme candide de la découverte du continent par Christophe Colomb, la conquête de l'Ouest, le génocide indien, l'esclavage, le Ku Klux Klan, la pègre sicilienne, la répression sanglante des grèves, etc. On pense à la remarquable série télévisée Tremé filmée à la Nouvelle Orleans après le passage de l'ouragan Katrina où les informations sociales sont insidieusement livrées tandis que la presse tait scandaleusement le sort de la ville détruite. La musique y est aussi présente partout, manière de supporter l'intolérable. On est pourtant loin de la colère politique de la Suite des Black Panthers chantée dans les années 60 par Colette Magny et de son appel à la révolte sur fond de free jazz. Les temps ont changé, mais l'avenir réserve bien des surprises.
Au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, et ce jusqu'au 6 avril, les images vidéo d'Éric Vernhes donnent une profondeur de champ à la fois poétique et historique à l'évocation musicale, le found footage dressant le décor et les traitements en direct ressuscitant les fantômes. Qu'ils chantent, rappent ou slament, Mike Ladd, D' de Kabal, Ursuline Kairson, Irène Jacob, donnent toute leur puissance aux textes lorsque la musique s'impose. Delbecq au piano, Steve Arguëlles à la batterie, Franco Mannara à la guitare électrisent la scène. La passion que génère la culture américaine mêlée à une critique implacable de son histoire ne peut qu'engendrer une mélancolie sincère, à la fois belle et cruelle.

Photo © Christophe Raynaud de Lage - Wikispectacle