70 mai 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 31 mai 2013

Rebelote à Pôle-Emploi


Depuis la veille j'avais les boyaux façon scoubidou. L'idée d'aller faire la queue à huit heures du matin à Pôle-Emploi pour faire valoir mes droits m'était absolument insupportable. Devant le rideau de fer les chômeurs sont en colère contre l'inorganisation systématique de l'agence qui se livre à toutes sortes d'humiliations scandaleuses et totalement improductives. Si certains comprennent les enjeux financiers dont tous les citoyens sont victimes, la plupart s'insurge contre la publicité faite au mariage pour tous qu'ils jugent camoufler les véritables problèmes. Une jeune Polonaise regrette les promesses de Sarkozy sur la retraite. Un titi parisien se demande comment il va nourrir sa famille si ses indemnités sont encore retardées. Pendant ce temps-là l'argent travaille, il ne chôme pas, les termes sont impropres, il copule et fait des petits. Françoise me reprochera de ne pas avoir mis sur le tapis le revenu de base pour tous pour lequel les Suisses vont bientôt voter par référendum. Comme il n'y a pas de distributeur de numéros à l'entrée on est obligés de faire le pied de grue debout les uns derrière les autres. La grille s'ouvre. Une femme demande à aller aux toilettes. Un employé qui a déjà enfilé les sandales et T-shirt de ses vacances lui répond agressivement qu'il n'y en a pas alors que la pancarte est devant nous. Comme elle insiste, l'abruti lui répond que c'est fermé pour cause de plan Vigipirate et qu'il n'a pas le code ! Le ton monte. C'est pourtant un endroit public et certains attendront là plus de deux heures. On essaie de calmer le jeu en expliquant que si les préposés sont si odieux c'est que leur hiérarchie ne doit pas les ménager.
Cette fois j'ai affaire à un employé bienveillant. Aucun de mes courriers ne leur parvient depuis huit mois. Ses collègues toujours charmants qui répondent au 3949 n'ont aucun autre moyen de communication avec les agences locales que le mail. Leur seul latitude est la consultation de mon dossier et la constatation des faits : je n'aurais jamais répondu, etc. À tous les niveaux de cette chaîne brisée les interlocuteurs sont anonymes, ne permettant aucun suivi personnalisé. Il faut chaque fois tout reprendre au début. L'employé me raconte que leur logiciel a changé en 2009 et que seuls les anciens ont accès à ce qui est antérieur dans mon dossier ! Il m'explique aussi que le courrier posté à mon agence locale est détournée par le centre régional censé le redistribuer, mais ne le fait pas. Pourquoi ? Je vous laisse deviner. Plutôt que de faire perdre du temps à tout le monde en se fendant chaque fois d'une visite pour décoincer la situation, soit une croix à cocher pour valider l'indemnisation, il me susurre que la solution la plus simple consisterait à déposer simplement mes réponses dans la boîte aux lettres de l'agence locale pour éviter le filtrage absurde qui nous est à tous imposé. On marche sur la tête.

Photo prise à l'exposition Winshluss, un monde merveilleux au Musée des Arts Décoratifs jusqu'au 10 novembre.

jeudi 30 mai 2013

Saint Joseph charpentier (Georges De La Tour)


Pierre Oscar Lévy jouait le rôle de Saint Joseph charpentier dans le tableau de Georges de La Tour, soufflant comme un bœuf face à l'enfant interprété quelques jours plus tôt par Sonia Cruchon (bon anniversaire, Sonia !). Pour les bruitages, il plia sa ceinture pour imiter le bruit des semelles, mouilla la mèche de la bougie avant de l'allumer et fit un trou avec une vrille dans mon tambour de bois. Tout est très délicat, les souffles sont proches du silence.

De La Tour m'est cher, un peu trop si je me souviens de la correspondance avec le musée Paul Getty à Los Angeles lorsqu'en 1981 nous avions voulu illustrer la pochette du disque À travail égal salaire égal avec la Rixe de musiciens. Bernard Vitet avait auparavant suggéré ce tableau pour un album du Unit mais Michel Portal avait refusé la proposition, trouvant probablement que la scène était trop proche de ce que le Unit vivait alors et qui allait le pousser à l'éclatement. Quelques années plus tard, cela ne pouvait par contre qu'enchanter Francis Gorgé et moi qui trouvâmes que cela collait parfaitement avec notre propos, critique que nous avions entamée avec la constitution de notre grand orchestre composé de 16 musiciens.


Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique - Jean-Jacques Birgé
Partition sonore - Jean-Jacques Birgé, avec la participation de Pierre Oscar Lévy et Sonia Cruchon
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN / Gérard Blot
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

mercredi 29 mai 2013

L'homosexualité en tête d'affiche


Dimanche soir la palme d'or était attribuée au film d'Abdellatif Kechiche et, au même instant, des militants d'extrême-droite contre le mariage pour tous tentaient de renouer avec les sinistres évènements de 1934. Les films de fiction qui abordent de biais ou de front l'homosexualité ne sont pas rares dans l'histoire du cinéma. Des festivals leur sont consacrés et comme le révélait Mark Rappoport dans ses astucieux Rock Hudson"s Home Movies (1992) ou The Silver Screen: Color Me Lavender (1997) nombreux films camouflent une homosexualité sous couvert d'amitié virile.
Il y a peu j'évoquais dans cette colonne le passionnant Les garçons de la bande (The Boys in the Band, 1970) de William Friedkin. Depuis, nous avons eu l'occasion de découvrir les films de deux grands maîtres que nous n'avions jamais vus.


Dans Faut-il tuer Sister George ? (The Killing of Sister George, 1968) Robert Aldrich met en scène la dépendance, au sexe, au pouvoir, à la télévision... Les facéties grossières de la vie domestique d'une vieille actrice toxicomane irritent le public chrétien d'un soap-opera où elle joue le rôle d'une vertueuse religieuse, sa jeune et naïve amie se laisse tyranniser tandis que la productrice de la série ne révèle ses intentions cachées que lors d'une scène qui valut à Aldrich une interdiction aux mineurs fatale au succès de son film. Le lesbianisme explicite l'empêcha de connaître la gloire de Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (What Ever Happened to Baby Jane?, 1962), chef d'œuvre d'une encore plus grande cruauté psychologique, ou de Chut... chut, chère Charlotte (Hush… Hush, Sweet Charlotte, 1964) qui forment tryptique de ces duels féminins féroces dont le réalisateur indépendant a le secret, terminant sa carrière avec le trop méconnu Deux filles au tapis (All the marbles..., 1981) où Peter Falk interprète le manager de deux catcheuses en pleine déconfiture.


Tea and Sympathy (1956) de Vincente Minnelli se déroule dans l'univers mâle et machiste d'une université américaine (photo 1) où un jeune étudiant sympathise avec la femme de son prof de sport. Surnommé Sister Boy parce qu'il ne partage pas le goût des ses condisciples, le jeune homme cache évidemment un secret inavouable dans une atmosphère pesante où les différents protagonistes sont confrontés aux préjugés, au doute et à la lâcheté. Le film montre aussi une desesperate housewife que sa sensibilité isole tout autant dans ce monde où les hommes refoulent leurs pulsions et renversent leur impuissance en imposant une mythologie qui se perpétue depuis la nuit des temps. Le réalisateur est plus connu en France pour ses comédies musicales, mais ses mélodrames le rapprochent de Douglas Sirk et de leurs héritiers, Fassbinder, Haynes, Almodovar ou Ozon.
Chez Aldrich, plus que chez Minnelli, l'étude de caractères va au delà de la chronique psychologique en nous offrant des scénarios d'une puissante originalité pleins de rebondissements inattendus, interprétés par des comédiennes exceptionnelles, Bette Davis, Joan Crawford, Olivia de Havilland, Agnes Moorehead, et quantité d'acteurs fidèles que l'on retrouve au fil des ans.

mardi 28 mai 2013

Arearea (Gauguin)


Le matin j'avais enregistré le Portrait de l'artiste en costume oriental de Rembrandt.
Alors l'après-midi j'essaie de transmettre l'érotisme d'Arearea (Joyeusetés) de Paul Gauguin tout en soufflant comme si c'était la jeune fille qui jouait de la flûte. La rivière diffusée en playback dans le casque, je travaille là aussi en regardant le film, ce qui n'est pas mon habitude, car en général je préfère mémoriser pour profiter des effets magiques du synchronisme accidentel. J'hésite un peu, j'ânonne tout en conservant l'émotion. Je voulais utiliser une petite flûte en bois, mais Pierre Oscar Lévy insiste pour que ce soit très doux. J'en sélectionne donc une en plexiglas que Bernard Vitet m'avait fabriquée. En fait, c'est ma préférée. J'avais peur qu'elle fasse trop japonaise, mais en choisissant bien la tonalité j'espère m'approcher de la sensualité fragile désirée.

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et musique - Jean-Jacques Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Lutherie - Bernard Vitet
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

lundi 27 mai 2013

Borgen, saison 3


La série politique danoise Borgen, sous-titrée en français une femme au pouvoir, vaut largement les référents américains, proche de Mad Men par l'importance du sexe dans la vie professionnelle et surtout son approche très fine d'un milieu social façonnant notre quotidien.
Dans la troisième saison, l'ancienne Première Ministre qui a perdu les élections pense reprendre du service après deux ans et demi dans le privé. Si elle ne se revendiquait centriste, ses Nouveaux Démocrates développent pourtant un programme qui ressemble plus à celui de notre Front de Gauche, imaginatif et plein de bon sens, qu'à celui des Modérés, auxquels elle appartenait jusque là et qui flirtent honteusement avec la Droite façon PS. On est souvent étonné par une proposition intelligente au détour d'une phrase comme on pouvait être séduit par la tentative utopiste de la saison 4 de The Wire, sauf qu'ici ne règne nul désespoir, la société danoise ayant plutôt montré une exceptionnelle ouverture d'esprit parmi les pays sociaux-démocrates. La question de l'immigration, de l'éducation ou du financement des partis peut ainsi servir de toile de fond à un épisode pendant que l'on suit les aventures des principaux protagonistes, animaux politiques ou meneurs du jeu télévisuel, tous soumis aux pressions du pouvoir et de l'Audimat. Il faut reconnaître que la comédienne Sidse Babett Knudsen qui joue Birgitte Nyborg est un Stradivarius dont les réalisateurs de la série crée par Adam Price jouent avec délectation.
On a rarement l'occasion de voir une série aussi intelligente dont les rebondissements nous aspirent au gré des associations et des trahisons, montrant sans manichéisme "ce dont sont faits les rêves" et comment chacune et chacun y répond. Notons y enfin la force des femmes face à la lâcheté et l'infantilisme des hommes, tendance qui se retrouve, entre autres, dans la série heroic-fantasy à succès Game of Thrones (Le trône de fer). Vivement la programmation de cette troisième saison que l'on devrait retrouver sur Arte comme les deux précédentes !

samedi 25 mai 2013

Exécution sans jugement chez les rois maures (Regnault)


Un des 23 tableaux filmés par Pierre Oscar Lévy se devait d'être silencieux. En dehors du fait que cela me permettait de souffler un peu la question de l'opportunité d'une sonorisation, et de quelle sorte, remontait à la surface. Le réalisateur n'y est pas allé de main morte en choisissant de filmer l'Exécution sans jugement chez les rois maures de Regnault. Le film est évidemment conçu pour être projeté sur un écran accroché verticalement.

P.S. : En commentaire de Mediapart, Pierre Oscar précise : " (...) souviens-toi je ne voulais pas traiter ce tableau - qui est un tableau orientaliste, euh, colonialiste, et pompier- je n'ai pas eu le choix... J'ai juste accepté parce qu'il y a un vrai morceau abstrait dedant, comme des vrais fruits dans un yaourt."
Raison de plus pour mon silence !

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique - Jean-Jacques Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".

vendredi 24 mai 2013

L'origine du mal


Me lisant handicapé par un lumbago persistant, de bonnes âmes m'ont écrit pour me conseiller diverses pratiques de guérison. Soulagé momentanément par les bons soins de la masseuse chinoise, de l'ostéopathe, du réflexologue et de la nouvelle pharmacopée, en l'occurrence de l'Ixprim, savant cocktail de tramadol et de paracétamol, mais néanmoins bloqué en position allongée depuis trois semaines, j'ai eu tout le loisir de lire Healing Back Pain en anglais dans le texte, le best-seller du Docteur John E. Sarno. Le médecin américain y livre son intuition sur l'origine du mal au dos et comment s'en débarrasser définitivement, même affecté comme je le suis par une hernie discale et trois disques écrasés !
L'hypothèse formulée par le médecin américain tient du bon sens, mais son style est celui d'un auteur à succès s'adressant à une large population plutôt inculte en matière psychanalytique. Dès lors que l'on considère que la majorité de nos afflictions proviennent de la somatisation, ou du moins que notre mental a une influence indéniable sur les maladies que nous attrapons, pourquoi ne pourrait-on guérir par ce qui provoqua le mal ? D'où sa suggestion de soigner les TMS (Tension Myositis Syndrome, en français Troubles musculosquelettiques) sans médicaments, ni chirurgie, ni exercice physique, mais par le seul pouvoir du cerveau... Si l'I.R.M. montre une lésion vertébrale, Sarno prétend que ce n'est pas elle qui provoque la douleur. Il est question de manque d'oxygénation des tissus, mais je ne vais pas réécrire ici son bouquin. Le stress et la colère rentrée seraient à l'origine du mal, comme on peut se fabriquer un cancer, un ulcère à l'estomac, de l'asthme, quelque maladie dermatologique, etc., la liste est longue. Pour avoir envisagé moi-même depuis fort longtemps cette théorie et l'avoir testée avec succès, la lecture confirme mon hypothèse. On peut évidemment atténuer la douleur et la faire disparaître en l'apprivoisant, de même on peut très bien guérir de moult maladies par un travail psychologique ou psychanalytique, tout dépend de l'ampleur des dégâts. L'inconscient est hélas plus puissant que la concentration volontariste et la relaxation philosophique, aussi n'est-ce pas toujours facile, particulièrement en période de crise aiguë. Sur tous les terrains il est fondamental de juguler la peur.
Là où Sarno est léger, c'est évidemment dans la guérison miraculeuse qui tient, malgré ses dires, plus d'une sorte de conviction à laquelle je ne peux adhérer, n'ayant pas en son temps acquis la petite croix Vitafor qui guérit tout, peines du corps et peines du cœur, il suffit d'envoyer le bon de commande, ici un petit livre de poche à quelques euros, je ne me suis pas ruiné. Le pouvoir de suggestion des praticiens ayant recours à la méthode du médecin américain est certainement la clef de leurs succès, mais j'ai beau avoir suivi, ou plus justement précédé à la lettre, les conseils avisés prescrits, soit traiter l'affaire par le mépris, je me suis tout de même coincé le dos après trois ans et demi de rémission alors que je pensais être sorti de là ! Cela fait trente ans que ma cinquième lombaire joue le rôle de mon talon d'Achille. Si le ciboulot est souvent à l'origine du mal, s'il est possible de s'en débarrasser par un travail psychique, il n'en reste pas moins que le best-seller qui aurait soigné des milliers de personnes de par le monde tient par son style d'une entreprise commerciale juteuse qui laisse planer le doute sur les intentions philanthropiques de son auteur. Ouvrage de vulgarisation sur le pouvoir de l'inconscient, il n'empêchera pas chacun de morfler et de trouver également l'issue qui lui convient...

jeudi 23 mai 2013

Portrait de l'artiste en costume oriental (Rembrandt)


Il est toujours difficile de filmer un portrait en hauteur pour écran large. Ainsi sur mon blog j'évite d'illustrer mes articles avec des photos qui ne sont pas au format horizontal. Ici nous n'avions pas le choix, d'autant que le petit tableau de Rembrandt est la propriété du Petit Palais avec lequel nous collaborions, une aubaine pour la négociation sur les droits...
Très tôt, j'attaque le Portrait de l'artiste en costume oriental avec la flûte basse en PVC construite par Bernard Vitet. Je m'époumone dans son tube de 2 mètres, section de 3,5 cm. Cinq prises de 4 minutes chacune plus tard, je crée un espace plausible pour la scène, mais je réverbère la mélodie rythmée accompagnant le chien pour lui donner un effet artificiel, comme si c'était un avatar rêvé du peintre. Pierre Oscar Lévy m'apprend que l'animal a été ajouté dans un second temps. À la sortie des 101 dalmatiens en 1961, j'avais été marqué par la scène où les maîtres ont tous un chien qui leur ressemble. Ce phénomène d'identification se vérifie souvent. Si je joue Rembrandt très grave, son ironie devient explicite avec le rythme sur le chien, sujet majeur de la toile.


Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et musique - Jean-Jacques Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Lutherie - Bernard Vitet
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN / Agence Bulloz
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

mercredi 22 mai 2013

Piranhas, pamphlet mordant anti-US


Pour une fois, le bonus DVD d'un film me permet de me rafraîchir la mémoire sans avoir besoin de le revoir pour écrire ma chronique. Un an est passé depuis la projection de Piranhas (1978) qui nous avait fortement impressionnés, pas seulement pour son suspense gore, mais aussi pour sa charge politique contre le gouvernement américain et son humour noir. En général j'ai du mal avec les entretiens qui citent d'abondants extraits du film que l'on vient de regarder, aussi suis-je ravi d'écouter Joe Dante évoquer le tournage de son second long métrage dans la nouvelle édition publiée par Carlotta (sortie le 5 juin). Pour commencer, il rend évidemment hommage à son producteur, le prolifique Roger Corman qui donna leur chance à nombreux réalisateurs prometteurs tels Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Joe Dante, Peter Bogdanovich ou Jonathan Demme.


Joe Dante préfère comparer Piranhas à un film de guerre plutôt qu'à Hitchcock, son scénario dénonçant en sous-main les méthodes des États Unis pendant la guerre du Vietnam, chimie criminelle et manipulations génétiques à la clef. Il est probable que personne n'oserait aujourd'hui aller aussi loin dans le "politiquement incorrect", particulièrement dans les scènes où quantité d'enfants se font dévorer par les vilains poissons mutants. Dante insiste d'ailleurs sur la responsabilité du lobby des armes dans la violence qui s'est multipliée dans son pays plutôt que celle que véhicule le cinématographe. Lointain pastiche des Dents de la mer, Piranhas est un film fascinant qui loin de se complaire dans une horreur confortable et spectaculaire dénonce la bêtise humaine avec un humour saignant et ravageur.

mardi 21 mai 2013

Pluie, vapeur et vitesse (Turner)


Météo de la semaine, retour d'un long week-end, souvenir... La brume de 1844 camoufle le départ de la Firefly Class qui s'ébroue avant que la pluie n'arrose copieusement le pont enjambant la Tamise à Maindenhead. L'averse redouble tandis que la locomotive accélère au delà du raisonnable. L'énergie cumulée de la nature et de la science pousse le son à son paroxysme, noyant le moteur emballé sous un déluge de bruit blanc. Je suis obligé de recommencer la fin, car les caprices des harmoniques me font bizarrement entendre un intolérable et répété "Sieg Heil" constitué de l'entrechoc des gouttes, des pistons et des rails. Je ne peux pas prendre le risque qu'un spectateur ait la même sensation. En réécoutant le mixage, je m'aperçois que je monte toujours selon des références cinématographiques plutôt que musicales, préférant les passages cut brutaux au camouflage des fondus. Ainsi, insérant par le son des effets de coupe dans un plan séquence, je recrée l'image mentale d'un film imaginaire où les angles varient alors que la caméra est fixe.


Pierre Oscar Lévy a cherché à rendre numériquement avec la Flame de Snarx-FX les effets de Pluie, vapeur et vitesse (Rain, Steam and Speed - The Great Western Railway). Cette adaptation du tableau de Turner me rappelle l'odeur de suie des trains à vapeur de mon enfance. La brume humide fouette mon visage. En me penchant "dangereusement" à la fenêtre je prends une escarbille dans l'œil. La locomotive file vers je ne sais où, mais j'y arriverai !

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et partition sonore - Jean-Jacques Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © The National Gallery, Londres, dist.RMN
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

lundi 20 mai 2013

Gangs de Wasseypur


À première vue Gangs de Wasseypur est une saga violente où trois familles de malfrats s'entretuent pour le contrôle d'un tout petit territoire, sur trois générations de 1941 à 2009. Si le film de Anurag Kashyap est avant tout un film populaire, il a su séduire la critique internationale pour son arrière-fond politique, le contrôle des mines de charbon, son réalisme local, une petite ville du Bengale aujourd'hui le Jharkhand, ses clins d'œil à Bollywood, une partition musicale entraînante, et sa critique sous-jacente de la violence masculine que le pouvoir des femmes ne saura pas contenir. Comme souvent lorsque l'étude est sincère et le sujet épineux, les protagonistes sont essentiellement musulmans bien qu'en conflit avec le pouvoir hindou, les interprétations politiques sont allées d'un extrême à l'autre. Pourtant, malgré la succession incessante de meurtres qui finit par me faire perdre mes repères la plus grande violence est généralement cadrée hors-champ, renforçant sa puissance et censée favoriser son rejet par les spectateurs.


Les 5 heures 20 minutes en deux parties font évidemment penser à Coppola, Scorsese ou Tarantino, mais Kashyap préfère se référer à des films de réalisateurs sud-américains comme par exemple Children of Men d'Alfonso Cuarón pour les plans séquences de tueries. Si vous n'êtes pas allergique à l'hémoglobine Gangs de Wasseypur vous immergera dans un univers fascinant qui peut rappeler la série à succès Game of Thrones, forme que le long métrage fleuve aurait pu très bien adopter, par ses ressorts dramatiques dictés essentiellement par la vengeance et par le déséquilibre de maturité entre les hommes et les femmes. Tout de même un peu démoralisant sur l'avenir de l'humanité ! (double DVD Blaq Out, sortie le 4 juin).

dimanche 19 mai 2013

La grande odalisque (Ingres)


J'ai demandé à Vincent Segal d'imiter un oud avec son violoncelle. Comme d'habitude lorsque les intentions sont claires et que les musiciens sont de ce niveau technique et sensible, c'est dans la boîte dès la première prise. La culture générale fait toute la différence.

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique - Jean-Jacques Birgé
Musique - Vincent Segal
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN (Musée d'Orsay) / Thierry Le Mage
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

vendredi 17 mai 2013

L'art numérique existe-t-il ?


Le nouveau numéro de la revue bilingue Art Press 2 est intitulé L'art dans le tout numérique, en anglais Art in the Digital Age. À l'instar de la célèbre phrase de Marshall McLuhan il est devenu commun de confondre le message et son médium. Si la peinture, la sculpture, la musique, etc. définissent le champ d'intervention par les outils employés, alors le numérique peut prétendre à la même reconnaissance. Il ne permet pas pour autant de certifier ce qui tient de l'art ou de la science. La majorité de ses acteurs ne se livrent en effet qu'à des expériences dignes du Palais de la Découverte en revendiquant abusivement le statut d'artiste. On ne peut confondre l'art et le message. Tous les peintres ne sont pas des artistes, et aujourd'hui nombreux artisans repeignent les murs de leur ordinateur en croyant faire œuvre. Nous sommes une fois de plus témoins des ravages de l'héritage de Marcel Duchamp, où le concept s'affiche dans le programme sans que le réel confirme ces prétentions. Il ne peut y avoir d'art que dans le refus du consensus, la construction de mondes qui s'opposent à celui qui nous est imposé socialement, politiquement, esthétiquement, philosophiquement... Si les contributeurs de la revue se fourvoient souvent en choisissant leurs exemples (entre autres, près du tiers des pages est squatté par le Centre des Arts d'Enghein-Les-Bains ressemblant à une pub déguisée), les plus distanciés par rapport à un marché encore imaginaire produisent les articles les plus intéressants. Ainsi Jean-Louis Déotte interroge l'immatérialité et le rapport forme/contenu en convoquant l'histoire, ou Jacinto Lageira met sérieusement en doute la liberté qu'offriraient Internet et les réseaux. L'analyse du passé, de formes d'expression autres que plastiques ou d'alternatives tout autant contemporaines permettrait d'éviter les jugements prématurés et des choix plus amicaux que raisonnés. Comme d'habitude avec ce genre de publication survolant rapidement un champ d'intervention extrêmement riche et étendu sa lecture vous passionnera, vous perdra, vous énervera selon votre degré de connaissance et d'implication.
Certains ne manqueront pas de me faire remarquer que je crache dans la soupe en me montrant du doigt les huit photos des lapins de Nabaz'mob en page 14. Je m'en réjouis évidemment comme des huit pages de la revue chinoise Hello qui leur sont consacrées ou de l'annonce prochaine de leur résurrection après une petite hibernation dont nous ignorons parfois si elle leur sera fatale. Cent lapins robots en plastique qui bougent les oreilles, font de la lumière et de la musique, c'est éminemment suspect s'il n'y avait, derrière, de méchantes intentions et, devant, un spectacle féérique. Il n'empêche que parmi toutes nos créations c'est justement cet opéra kawaï qui rencontre un succès imprévisible. Je ne suis pas différent des journalistes et divers auteurs d'articles qui parlent toujours d'eux-mêmes entre les lignes sous prétexte de rendre compte de leur époque et de ce qui s'y joue. Cette constatation permet de relativiser ce que nous lisons dans la presse, que la critique soit bonne ou mauvaise. Ces galeries d'auto-portraits ont le mérite d'attirer notre attention sur des sujets qui nous étaient parfois inconnus.

jeudi 16 mai 2013

À la conquête des démons


Est-ce d'avoir vu Journey to the West: Conquering the Demons, le dernier film de Stephen Chow et Derek Kok (Derek Kwok Chi-Kin), mais les fleurs qui ont fait leur apparition sur le palmier planté il y a douze ans au milieu du jardin ressemblent bigrement à un horrible dragon à la langue râpeuse ? Comme si le monstre vomissait des grappes de chacune de ses trois têtes menaçantes ! Si j'ignore totalement ce qui va suivre de cette mutation du végétal vers l'animal, je me suis bien amusé avec le pastiche cinématographique hong-kongais du Voyage en Occident de Wu Cheng'en, l'un des quatre romans chinois les plus célèbres, écrit au XVIe siècle à l'époque Ming. Stephen Chow est l'auteur de Shaolin Soccer et Crazy Kung Fu, deux films burlesques délirants dont celui-ci est le digne héritier.


J'aurais préféré glisser ici le making of plutôt que la bande-annonce, mais sa recopie est techniquement interdite et il vous faudra donc cliquer sur le lien pour comprendre comment l'imposante équipe chargée des effets spéciaux a donné vie aux monstres peuplant cette comédie échevelée qui rencontre en Asie un succès inégalé...

mercredi 15 mai 2013

Les noces de Cana (Véronèse)


Les Noces de Cana, qui fut le pilote de la collection, est l'un des films dont la partition sonore est la plus scénarisée bien qu'elle fut en grande partie enregistrée en reportage, au Louvre, sous le tableau de Véronèse. J'enregistrai donc in situ les commentaires des visiteurs et les replaçai ensuite pour coller aux mouvements de la caméra virtuelle. Écoutez bien, les dialogues sont aussi drôles que passionnants. La variété des langues souligne l'universalité de la peinture. Mêlant des sons illustrant l'action représentée tels que fourchettes et perroquet avec le public du Musée, j'espérais donner au tableau de Véronèse une allure d'éternité, à la fois récit biblique, arrêt sur image et tranche de vie quotidienne. L'impertinence de Pierre Oscar Lévy à transformer visuellement l'eau en vin me plût particulièrement, autocritique distanciée qui nous fit beaucoup rire.


Après avoir étudié les musiciens du tableau, je composai une longue pièce pour cordes dans l'esprit du XVIe siècle. Il en reste seulement de courts extraits mêlés au vacarme général. C'est souvent le cas lorsque l'on travaille pour le cinéma, il faut savoir accepter d'être au service du film et laisser couper sa musique selon les besoins du montage. J'ai l'habitude de dire au responsable qu'il est libre de faire ce qu'il ou elle veut avec ma musique, mais si cela ne me plaît pas je ne retravaillerai pas avec eux ! Rappelons enfin que tous les films de la collection ont été conçus pour être joués en boucle, ce que hélas aucun site de vidéo sur Internet n'autorise.


Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique, partition sonore et musique - Jean-Jacques Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN / droits réservés
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

mardi 14 mai 2013

Des mondes à inventer ensemble


Pendant la semaine que je passe allongé, bloqué par mon lumbago récalcitrant, Gary m'apporte quatre albums de Zaum à écouter ainsi que l'anti-opéra post-apocalyptique et non-surréel de Steve Dalachinsky and The Snobs. Massive Liquidity (Bam Balam) est à ajouter à la liste des plus enthousiasmantes rencontres entre un poète et des musiciens. La diction envoûtante de Steve Dalachinsky rappelle immanquablement celle de William Burroughs. Le poète est habitué à déclamer ses textes avec des musiciens inventifs tels William Parker, Susie Ibarra, Matthew Shipp, Mat Maneri, Jim O'Rourke et tant d'autres. The Snobs est un duo français composé des deux frères Thibault sous pseudos Duck Feeling et Mad Rabbit. Le premier joue de la guitare en rocker tandis que le second mixe et transforme les sons de la palette instrumentale qu'ils utilisent, orgue, basse, percussion, sitar, bruits d'objets les plus divers, sur des rythmes hypnotiques dont les timbres habillent la voix d'un manteau sombre et coloré. Costume sur mesures puisqu'ils l'ont cousu après avoir enregistré la voix nue de Dalachinsky dans le studio. La forme du texte épouse le propos, kidnapping de concepts qui s'étend jusqu'à celui des mots. De leur côté, les Snobs offrent gracieusement depuis 2003 leurs albums personnels en téléchargement...


Si j'avais beaucoup aimé l'album Trop tard de Steve Harris et son groupe Zaum, je ne suis pas déçu par les quatre autres que Gary m'a prêtés. Leurs compositions instantanées n'ont pas le travers de tant de musiciens qui ont érigé l'improvisation en genre musical et la contraignent par tant d'interdits et de poncifs pseudo-libertaires que leurs œuvres en deviennent tragiquement prévisibles. À l'écoute des excellents exemples de Zaum, orchestre plutôt que réunion de solistes, je ne peux m'empêcher d'analyser la méthode et de m'interroger sur les structures qu'engendre le raccourci opéré entre composition et interprétation. Si je m'y reconnais avec délectation, les similitudes me troublent tant que je suis poussé à imaginer des partis pris plus radicaux pour personnaliser ma propre musique. Entendre qu'à l'inverse des ayatollahs de l'improvisation qui s'interdisent le do majeur, les rythmes soutenus ou les mélodies fredonnables j'attrape à bras le corps tous les sons du monde, choisissant les structures les plus adaptées à mon propos. À défaut d'être universelle, caractéristique pourtant propre à toute musique puisque ne nécessitant aucune traduction, la mienne s'appuie sur l'encyclopédie. Le travail consiste alors à s'approprier ce volume inépuisable pour y déceler les termes qui me sont les plus proches.
Lorsque l'on "improvise" à plusieurs le premier risque est l'imitation, imitation des modèles que l'on a entendus, imitation des propositions qui nous sont soumises dans l'instant. Il ne s'agit pas pour autant de pratiquer la contradiction systématique, mais de savoir attraper au vol les opportunités pour amener à soi, ou plus exactement vers ses préoccupations, ce qui se joue là. Dans un esprit de collaboration on acceptera évidemment pareillement celles de nos partenaires de jeu. D'autres choisiraient des voies différentes, mais, d'abord architecte, les structures me sont primordiales, avant le timbre et les notes. Considérant la composition instantanée à plusieurs comme une conversation je fuis l'unanimité pour rechercher la confrontation en espérant trouver complémentarité et complicité. Deux questions se posent donc, celle de son propre monde, celui que l'on s'invente par rejet de celui que la société tente de nous imposer, et celle qui consiste à rencontrer des partenaires avec qui échanger voire partager ses expériences dans l'espoir de toujours apprendre et améliorer, ne serait-ce qu'un tout petit peu, le quotidien de tous, et pas seulement le sien.

lundi 13 mai 2013

Lumbago blues


Une douloureuse hernie discale schielienne s'est glissée au milieu de la colonne vertébrale picturale filmée et régulièrement mise en ligne depuis quelques temps sur ce blog et sur la galerie des Médiap'artistes. N'ayant pas eu de lumbago depuis plus de trois ans grâce au massage tuin anmo de Madame Ji je me croyais à l'abri. C'était sans compter de coquins mouvements du bassin, les quatre kilos de l'hiver et le jardinage de printemps. Assis sur le divan, j'ai plongé stupidement vers mes lacets sans plier les genoux, et clac, merci Kodak ! L'impressionnante photo montre mon dos en baïonnette : le tronc n'est plus en face des jambes. Si je marche mon corps me semble suspendu en l'air avec mes guiboles comme des rubans de papier flottant au-dessus du sol. J'ai arrêté les anti-inflammatoires qui cette fois ne m'ont fait aucun effet, j'ai vu les praticiens les plus zélés, j'ai tenté l'EMDR en m'auto-hynotisant, je suis resté allongé des jours entiers à regarder des films dans le noir, mais après dix jours tourdepisiens je ne sens aucune amélioration et cela commence à bien faire. Je n'ai pas encore épuisé toutes les ressources des magiciens du corps et je ne m'avoue pas vaincu quant au travail intérieur que je continue à produire sereinement. Si pour l'avoir déjà vécu je ne savais pas qu'un jour je gambaderai comme un chevreuil je serais drôlement inquiet...

samedi 11 mai 2013

L'enfant au toton (Chardin)


Certains clients me font tourner comme une toupie. À force de tergiverser ils nous font travailler d'arrache-pied au dernier moment. Laisser mûrir un projet a pourtant toujours porté ses fruits. J'aime faire les choses comme elles viennent sans être pressé par les délais, aussi m'y prends-je très tôt. Jamais de page blanche. Tout est simple lorsqu'on laisse les idées venir à soi par une sorte d'alchimie miraculeuse. Chaque pièce du puzzle s'emboîte parfaitement dès lors que l'ensemble est pensé globalement. La qualité artistique ne saurait obéir à des impératifs politiques ou commerciaux. Que l'on soit dans une logique poétique ou que l'on cherche à être utile nous sommes poussés par une évidence que seule la poésie et le travail nous octroient.

Pourtant, les 23 films de la collection Révélations furent réalisés en un mois, une histoire de fous. De mon côté, parallèlement à mon rôle de directeur artistique, je composais, enregistrais seul ou avec des musiciens comme le violoncelliste Vincent Segal, montais et mixais le résultat à raison d'un film par jour ! De temps en temps je choisissais ambiances et bruitages plutôt que musique, mais cela revenait au même, imaginer et réaliser la partition sonore d'un documentaire qui, par le travail de Pierre Oscar Lévy et l'absence de tout commentaire, nous plongeait en pleine fiction. Le mois suivant, je rattrapai le sommeil en retard. En général j'évite de me mettre dans des situations pareilles, mais nous sommes hélas trop souvent tributaires de décisions qui ne nous incombent pas.


Avec raison Pierre Oscar Lévy nous obligea à refaire la toupie du Chardin pour mieux l'animer. Nous nous étions donnés tant de mal à caler la planche la fois précédente alors qu'il me suffisait de l'incliner au fur et à mesure des lubies de la toupie pour que sa rotation dure le plus longtemps possible tout en variant ses mouvements. Suivit une séance de panoramification en fonction de l'animation en relief dont le film ne présente ici que l'œil gauche, puisque l'Enfant au toton est conçu pour être regardé avec des lunettes 3D comme le Böcklin.


L'horloge est d'époque ! La précarité du tournoiement de la toupie introduit dans cet univers calme la fragilité de l’existence. Rien ne dure jamais… Et pourtant, dans la version originale du film qui est en boucle, la toupie tourne indéfiniment, contrariant l'idée de cette "vanité"...

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique - Jean-Jacques Birgé
Musique - Jean-Jacques Birgé, avec la participation de Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © Petit Palais / Jean Schormans
À l'origine, le film produit en 3D par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

vendredi 10 mai 2013

Allégorie de la politique culturelle française


Dans la sphère culturelle les réductions de budget vident les structures de leur sens. Au delà des frais fixes et incompressibles, immobilier et entretien, salaires des permanents, etc. il ne reste rien ou pas grand chose pour la programmation. Les lieux d'accueil deviennent des coquilles vides. Les artistes se retrouvent donc dans une situation de plus en plus précaire, les intermittents sont pour la plupart incapables de comptabiliser les heures nécessaires pour faire valoir leurs indemnités de chômage, sans parler des autres, condamnés à manger de la vache enragée. Tout le monde s'inquiète, mais la révolte est encore bien sourde face à l'austérité prônée par le gouvernement. Tout cela n'est évidemment qu'une question de choix, et tous les secteurs de l'économie sont touchés par cette politique criminelle et suicidaire. On jette à la rue les pauvres pour faire le lit des riches. Le nombre des nantis est pourtant inversement proportionnel à celui des exclus.
En regardant la cour du Palais Royal depuis la terrasse du Ministère de la Culture j'ai cru y voir une allégorie de ce gâchis. Au premier plan les colonnes de Buren sont entières, mais derrière ce petit rempart toutes les autres sont sciées à la base, asphyxiés par les bâtiments historiques qui les encadrent dans une bienséance de façade. Le personnage qui erre au milieu de cette forêt décimée me rappelle le héros de bande dessinée Léon-La-Terreur ou le photographe Gilbert Garcin dont on pourra admirer une exposition cet été lors des Rencontres d'Arles. Dans des registres différents les deux bonhommes cravatés noir et blanc dynamitent les conventions et nous interrogent sur l'absurdité de notre monde.

jeudi 9 mai 2013

L'astronome (Vermeer)


L'astronome de Vermeer résistait à toute analyse. Aucun lâcher prise n'établissait le contact sensible. J'ai commencé par résoudre les problèmes techniques qui m'ennuyaient depuis des semaines en réinitialisant le Midi dans l'utilitaire Configuration audio et MIDI. J'avais lancé les machines sur huit pistes parallèles et débordai des quatre minutes du film de Pierre Oscar jusqu'à seize. Persuadé qu'il me faudrait trois ou quatre jours pour arriver au bout de l'œuvre, je réécoutai, agacé, le brouillon. Il y avait de belles choses. M'effleure alors l'idée que ce mélange de cloches tubulaires (lutherie Vitet toujours), de marimba eroica, de gongs et de pizz conviendrait peut-être... Laissant le début tel quel, sobre et répétitif, j'attaquai par la fin, riche en expérimentations timbrales, cymbales frottées, arpégiateur sur arpégiateur, filtre du circuit d'échantillonnage et de maintien sur le panoramique, etc. Je montai la musique comme un film de manière à ce que l'on oublie le plan séquence de l'image. La pièce prenait forme, mais la synchro ne rimait à rien. Préservant toujours le début, je coupai après une minute ce qu'il y avait en trop pour arriver à quatre minutes exactement. Start. Tout tombe magiquement en place. L'accélération fait tendre l'oreille à l'astronome comme à ses admirateurs. Même lorsqu'il regarde ses genoux il entend les étoiles et nous croyons les voir. L'horloge sonne au mur. On devine le ciel derrière la fenêtre fermée. La retenue de la première partie cède la place à une profusion d'équations musicales à l'instant même où l'idée jaillit, symbole de la création.

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et musique - Jean-Jacques Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Lutherie - Bernard Vitet
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN / René-Gabriel Ojéda
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

mercredi 8 mai 2013

Films de musique en vrac


Coup sur coup je regarde plusieurs films musicaux que j'avais gardés sous le coude. Les genres sont très différents. Tous posent la question de l'image lorsqu'il s'agit de figurer la musique.

"Grattez-vous si ça vous démange, aimez le blanc ou bien le noir, c'est bien plus drôle quand ça change, suffit de s'en apercevoir." Chaque fois que je regarde une version de l'opéra bouffe Les mamelles de Tirésias je reste pantois. Cette œuvre majeure de Francis Poulenc d'après Apollinaire est un ravissement. Je me souvenais de la version scénographiée par Topor (1986), je me laisse emporter tout autant par celle de Macha Makeïeff (2011) qui la fit intelligemment précéder à l'Opéra Comique du Foxtrot de la Jazz Suite n° 1 de Chostakovitch et du Bœuf sur le toit de Milhaud. Les noms de ces deux metteurs en scène laissent entrevoir la folie qui règne dans la pièce. Guillaume Apollinaire inventa d'ailleurs le terme surréaliste pour qualifier cette histoire trans-genre où la féministe Thérèse devient Tirésias. Certains ont cru y voir un pamphlet contre les femmes qui prirent la place sociale des hommes pendant la Première Guerre Mondiale, mais inversement j'entends que par l'absurde le poète taille un costard redoutable au machisme et à ses imbéciles préjugés. J'aime le lire ainsi, la fatuité masculine ne pouvant égaler la fantaisie féminine. Cette œuvre écrite en 1903 et terminée en 1916 anticipe L'événement le plus important depuis que l'homme à marcher sur la Lune, comédie de Jacques Demy de 1973 avec Deneuve et Mastroiani qui tombait enceint. De plus, elle annonce le clonage humain un siècle avant que les manipulations génétiques ne deviennent un sujet de débat majeur. En réalité il s'agissait avant tout d'inciter les Français à faire des enfants : "Écoutez ô Français la leçon de la guerre, Et faites des enfants vous qui n'en faisiez guère..." et ce sur un mode léger. La musique de Poulenc fait exploser en couleurs cette histoire rocambolesque avec ses airs inoubliables qui font briller la cocasserie des dialogues. En engageant clowns et acrobates, Macha Makeïeff fait son cirque quitte à irriter la critique bien pensante. Poulenc continue à énerver les coincés du classique alors que pour une fois on ne s'ennuie pas devant des acteurs figés par les rapports de classe. Ça bouge, ça foisonne, ça pétille d'invention et de folie douce tout en révélant une œuvre à la fois d'avant-garde et populaire.


Du second film je ne connaissais que la musique composée par George Harrison, mon préféré des Beatles lorsque j'étais adolescent. Le vinyle de 1968 fait partie des disques qui m'ont considérablement influencé par la richesse et la variété des éléments qui le composent, mélange de musique indienne, de rock électrique, de musique électronique et de piano bastringue. Le film de Joe Massot, Wonderwall, a beau être une œuvre mineure, il incarne remarquablement le Swinging London des années 60. Un vieux savant est amoureux d'une jeune nymphette qu'il zieute à travers le mur de sa chambre. La camera obscura que le voyeur reconstitue projette alors des images psychédéliques dont la jeune Jane Birkin est l'héroïne. La musique et les décors tarabiscotés sont le sujet de cette fantaisie british méconnue.


Le dernier, Once (2006), est une rencontre romantique entre deux musiciens que seule la musique unit. Au détour d'une rue, un guitariste irlandais fait la connaissance d'une jeune pianiste tchèque et la musique folk de faire le reste. C'est rose bonbon, jouli jouli, le succès venant de l'urgence du tournage réalisé en deux semaines sans autorisation, laissant filtrer la passion qui mène chaque musicien malgré l'adversité.


Parallèlement, je suis fasciné par plusieurs films sur John Cage et Glenn Gould, emballé évidemment par Searching for Sugar Man, belle enquête policière en forme de conte de fée, et suis avec beaucoup d'intérêt la découverte de la musique turque par Alexander Hacke (Einstürzende Neubauten) dans le documentaire de Fatih Akin, Crossing The Bridge (2005)...

mardi 7 mai 2013

‪Nuit étoilée (Van Gogh)


Je ne me souviens pas de grand chose. C'est loin. À regarder les étoiles le cosmos m'aspire. Incapable de réfléchir. L'émotion est trop forte. J'avais tout axé sur les deux personnages en bas à droite de la Nuit étoilée. Dans le faux panoramique circulaire imaginé par Pierre Oscar Lévy je cherchai à rendre les perspectives et les échelles sans insister sur les étoiles autrement que par le scintillement sonore des insectes. Certains de mes traitements sont très sobres, d'autres complexes, voire chargés. J'adaptai la règle tension-détente à l'ensemble de la collection.
Van Gogh me rappelle surtout Amsterdam et le remarquable musée qui lui est consacré.

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et partition sonore - Jean-Jacques Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de Révélations, une odyssée numérique dans la peinture.
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

lundi 6 mai 2013

Querelle de clochers au Diplo


Tant que de différents acteurs de la résistance au Capital continueront à se tirer dans les pattes les chances de convaincre les sceptiques resteront maigres. En dernière page du Monde Diplomatique de mai, Pierre Rimbert et Razmig Keucheyan terminent leur article intitulé "Le carnaval de l'investigation" en soulignant que "la mobilisation politique ouvre plus de perspectives que les révélations médiatiques." Ils ont certainement raison, mais alors pourquoi se fendre de révélations éculées sur le passage d'Edwy Plenel à la direction éditoriale du Monde si ce n'est pour un règlement de comptes dont personne ne sort glorieux ? Le 28 avril dernier, Antony Manuel titrait déjà dans son blog médiapartiste "Monde diplomatique : mesquinerie d'un grand journal". Denis Robert qui avait fait lui-même les frais de ce genre de procès de la part de Plenel en 1996, posait pourtant la bonne question, cité par Rimbert et Keucheyan : "Rien ne change, sauf des noms et des visages. Les cartes se redistribuent. Les journalistes dans mon genre ne seraient-ils pas de simples agents d'autorégulation ?"
À cette valse cynique des hommes au service du pouvoir financier on peut opposer pour les analystes le droit de se tromper et de changer avec le temps. Encore faut-il avoir le courage de le reconnaître. Denis Robert en veut évidemment toujours à Plenel et on peut le comprendre puisqu'il en fut personnellement victime, mais les deux auteurs du Diplo étalent des bévues de Plenel qui datent toutes de plus de dix ans, bien avant la création de Mediapart. Bien qu'assez jeunes, ont-ils eux-mêmes toujours eu les mêmes opinions et leur passé est-il exempt de critiques ? Le paradoxe de leur article tend à prouver le contraire comme à tous ceux qui ont douté du bienfondé de Mediapart dans l'affaire Cahuzac. Jean-Luc Mélenchon a voté oui à Maastricht et il a appartenu trente ans au PS sans que cela jette le doute sur son engagement actuel. De plus, Plenel n'est pas Mediapart comme Mélenchon n'est pas le Front de Gauche et l'on peut espérer que Rimbert et Keucheyan ne sont pas le Diplo.
Cet article, contrairement à ce qu'il annonce en haut de page laissant supposer à tout le moins des révélations sur l'industrie pharmaceutique, n'est donc qu'un vulgaire règlement de comptes qui remonte à des faits anciens. On préférera de loin le travail d'investigation, même si toute enquête s'appuie d'abord sur de bonnes sources, tout en sachant qu'en politique la vérité n'a jamais convaincu personne. Alors plutôt que se complaire en faisant exactement ce que l'on critique, les deux collaborateurs du Monde Diplomatique feraient mieux de consacrer leur précieuses pages, et particulièrement la dernière, techniquement la plus facile à lire, à des propositions constructives en offrant la place à des gens comme Étienne Chouard, Paul Jorion, Myret Zaki, Pierre Rahbi, Michel Collon et tant d'autres personnalités controversées sur de fausses accusations répétées malgré d'incessants démentis. Au lieu de radoter des réponses de cour de maternelle nous devons nous interroger et chercher des solutions à la situation que certains ont tout intérêt à compliquer ou du moins à le faire croire.

samedi 4 mai 2013

‪Les ambassadeurs (Hans Holbein)‬


Aujourd'hui j'ai choisi Les ambassadeurs d'Holbein Le Jeune en référence à la manifestation de demain dimanche. S'installer dans un rôle quasi immuable, au service de l'État, exige une honnêteté que le pouvoir érode avec le temps. Les mandats ne devraient pas être reconductibles et les élus (ou tirés au sort, c'est à débattre) devraient avoir des comptes à rendre à la population, qu'elle puisse juger si les promesses ont été tenues. Cette sanction freinerait peut-être les ardeurs de certains lobbyistes qui ne craignent pas les conflits d'intérêt.

J'avais livré mes notes sur l'enregistrement de la musique sans hélas pouvoir montrer le film. Je crois que c'est un des préférés de Pierre Oscar Lévy, peut-être pour son idée de regarder le tableau sur la tranche par un mouvement en 3D, quatre minutes après le début. Car, "pour voir le crâne et l’identifier comme tel, celui qui regarde doit se placer sur la gauche du tableau, plus bas que son cadre, quelque chose comme à genoux de côté". Si le visiteur s'agenouillait au pied du petit crucifix il verrait le Christ regarder "la configuration obscène…" Les deux crapules s'effacent devant le Christ en relief que trop de reproductions recadrent honteusement tandis que le crâne d'Holbein retrouve son inéluctabilité biologique.

Je me demandais si toute œuvre n'est pas une anamorphose. Entendre que nos motivations et les moyens pour les atteindre relèvent d'un mystère plus grand que notre prétention à maîtriser notre art, même en prenant la clef des chants les plus désespérés. De là à tordre notre fiction pour faire apparaître le réel enfoui sous des couches de savoir ou de savoir faire il n'y a pas loin. J'imagine que l'inconscient guide notre main comme un mille-feuilles hypnotise le gourmand. Voyez-y pour preuve le synchronisme accidentel que nos rêves les plus fous n'auraient jamais osé invoquer.


"En m'endormant je savais qu'un truc ne collait pas. J'avais prévu de sonoriser Les Ambassadeurs d'Holbein avec un solo de trompette à anche, instrument inventé dans les années 60 par Bernard Vitet qui utilisait un bec de saxophone sopranino sur sa trompette en si bémol aigu. Aussi, dès 1976, lorsque nous avons commencé à jouer ensemble, j'ai adapté le bec de mon alto à ma trompette de poche. Quelque chose me chagrinait. Je pensais qu'il manquait une ambiance derrière les phrases entrecoupées de silence, mais le problème venait du fait qu'ils étaient deux, ces brigands ! Dans mon sommeil, j'ai imaginé inviter un autre musicien à jouer en duo, mais aucun instrument ne me convenait. Je me suis demandé comment j'aurais fait si Pierre Oscar ne m'avait pas dit qu'il n'aimait que les instruments acoustiques. D'un coup, la musique a résonné dans ma tête, le timbre du rythme cardiaque, les souffles du Christ derrière le rideau, le Waldorf MicroWave XT que je n'avais pas allumé depuis des lustres... J'ai filtré les graves et rosi le bruit blanc, mais je n'étais pas au bout de mes peines. J'ai commencé par enregistrer tous les instruments ensemble, parce que j'aime que la musique sonne comme on respire. À 8 heures du matin, j'avais quatre excellentes prises dans la boîte. Manque de chance, je ne devais pas être tout à fait réveillé, les sons synthétiques étaient trop bas dans le mixage. Tout reprendre. Je les ai enregistrés seuls et j'ai recommencé à souffler par dessus, en faisant du bruit avec les clefs, en respirant, j'ai même poussé un gémissement sur le crucifix. Entre temps j'avais suffisamment répété en regardant le film pour en connaître toutes les subtiles articulations et me souvenir de l'analyse que Luis en avait faite. La première prise était la bonne ; juste remplacer la dernière phrase par une seconde. Tout est calé à l'image près, naturellement. Le son de la trompette à anche ressemble à celui d'une clarinette basse. Dominique compare mon solo à Roland Kirk sans connaître mon attachement au saxophoniste aveugle. Je pensais à quelque chose de grave, à la mort dont les signes sont partout cachés dans le tableau jusqu'au célèbre crâne anamorphosé. J'ai trouvé un moyen de boucler mes 4'51" et j'ai envoyé le fichier son. La tension était telle dans le studio que j'en avais encore la tremblote. Le soir, Pierre Oscar me dit qu'avec la musique on dirait du Scorsese. Les Ambassadeurs ont l'air de deux crapules. La vanité est devenu un film noir."

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et musique - Jean-Jacques Birgé
Lutherie - Bernard Vitet
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © The National Gallery, Londres, dist. RMN
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

vendredi 3 mai 2013

Un opéra contre la guerre


C'est incroyable comme certains OMNI (tout Objet Musical Non Indentifiable) refont surface et révèlent leur insoupçonnable précocité. J'ai chroniqué il y a peu l'extraordinaire Agitation de Ilhan Mimaroğlu qui rassemblent des pièces révolutionnaires de 1974-75. Sing Me a Song of Songmy est un brûlot politique d'une invention musicale protéiforme exceptionnelle, sorte d'équivalent "pop" de Mr Freedom, le film de William Klein. Le dispositif est somptueux : en plus du Quintet du trompettiste de jazz Freddie Hubbard, du chœur Barnard-Colombia, d'un orchestre à cordes dirigé par Arif Mardin également à l'orgue Hammond, des récitants Mary Ann Hoxworth, Ñha-Khê, Charles Grau, Gungör Bozkurt et Freddie Hubbard, le compositeur et producteur Ilhan Mimaroğlu a intégré un synthétiseur et trafiqué les sons des uns et des autres ! Les textes de ce joyau de 1971 sont du poète turc Fazıl Hüsnü Dağlarca, du Vietnamien Ñha-Khê, de Kirkegaard et Che Guevara tandis que Scriabine ou Brahms y sont cités...
À quoi comparer cette homogénéité encyclopédique, mélange d'expressions et de textures si différentes ? Déserts d'Edgard Varèse, première œuvre pour orchestre et bande magnétique, fit scandale en 1954. Jazzex de Bernard Parmegiani, première rencontre de l'électro-acoustique et d'improvisateurs de jazz, ici Jean Louis Chautemps, Bernard Vitet, Gilbert Rovère et Charles Saudrais, date de 1966. Frank Zappa a publié Lumpy Gravy en 1968. Je me reconnaîtrai dans toutes, enregistrant Défense de en 1974, suivi de la fondation d'Un Drame Musical Instantané où pendant 32 ans il sera évidemment question de mélanger sans hiérarchie tout ce que le son peut produire lorsqu'il s'agit de défendre un propos. De fil en aiguille, la prochaine découverte semblerait être Amalgamation de Masahiko Satoh ; j'attends patiemment le facteur.
Pour Sing Me a Song of Songmy, Mimaroğlu a engagé un des deux trompettistes du Free Jazz d'Ornette Coleman, celui d'Out to Lunch d'Eric Dolphy, d'Ascension de John Coltrane, du film Blow Up d'Antonioni. Freddie Hubbard s'est entouré de Junior Cook au sax ténor, Kenny Barron au piano, Art Booth à la basse et Louis Hayes à la batterie.


L'œuvre est délicate. Elle se réfère au massacre de Songmy en 1968, aussi appelé My Lai, 400 civils vietnamiens torturés, violés, assassinés par les troupes américaines. La même année que cet album qui prône le Peace and Love de l'époque, Joseph Strick remporte l'Oscar du meilleur documentaire en interviewant cinq vétérans. Par contre, le pamphlet de Mimaroğlu contre la guerre qui ne s'achèvera qu'en 1975 fit un flop, comme toutes les œuvres prophétiques, trop avancées pour son temps. Elle ne rentre dans aucun moule. Cette suite est pourtant un joyau où les sons électroniques, les cordes, le free jazz et les voix réfléchissent la poésie des hommes qui vivent debout, dénonçant tous les crimes, racisme et violence, tout en prônant l'amour que seul l'art a jamais su traduire bien qu'il soit impalpable.

jeudi 2 mai 2013

Musique et cinéma, pour une union libre ?


Les compositeurs de musique de film, et avant tout les réalisateurs, feraient bien de lire le catalogue de l'exposition Musique et cinéma, le mariage du siècle ? (à la Cité de la Musique jusqu'au 18 août), mais le lire vraiment ! Nécessité de se poser la question le plus tôt possible dans la gestation d'un film évidemment. Et puis de Jaubert à Schifrin nombreux mettent en avant le silence. Ce silence qui laisse les bruits construire la partition sonore. Lorsque la musique réapparaît elle peut prendre tout son sens. Ou continuer dans le même registre sans que l'on sache que l'orchestre a pris le relais. J'ai particulièrement apprécié l'évocation de la musique "diégétique" par N.T. Binh, commissaire de l'exposition, lorsqu'elle est produite in situ sans vous tomber dessus comme si Dieu était aux commandes ! Comme les articles de François Porcile sur Maurice Jaubert ou la musique française de 1930 à 1970, de Pierre Berthoumieu sur le symphonisme hollywoodien de 1933 à nos jours, "l'éloge raisonné de la monogamie de quelques tandems cinéaste-compositeur" par Thierry Jousse, les entretiens avec Nino Rota (en 1972), Lalo Schifrin, Michel Deville, Alain Resnais, Bruno Coulais, Benoit Jacquot, le monteur-son Jean Goudier... Par contre, Michel Chion rate le coche lorsqu'il répond aux questions sur l'emploi de musique préexistante, omettant le principal, la référence culturelle voire intime que cela implique, ses conséquences sur le système d'identification, élément essentiel de la magie du cinéma.

Les auteurs et témoins interrogés auraient pu aussi évoquer la complémentarité de la musique face aux images ou son utilisation pléonastique, la partition sonore qui englobe tous les sons et pas seulement la musique, son utilisation particulière dans les différents cinémas asiatiques, le synchronisme accidentel cher à Cocteau, etc., mais aucun ouvrage n'est jamais exhaustif.

Le catalogue (Actes Sud) étant truffé de QR-codes permettant de jouer des séquences vidéo et le site de l'exposition étant aussi richement illustré d'images que de sons, on peut se demander ce que la visite apportera de plus ? Comme je l'ignore et que je suis curieux il ne me reste plus qu'à y faire un saut !

mercredi 1 mai 2013

‪Baignade à Asnières (Seurat)


Baignade à Asnières de Georges Seurat fut l'un des premiers de la série Révélations, une odyssée numérique dans la peinture que je sonorisai parce que Pierre Oscar Lévy avait choisi de commencer par celui-ci pour convaincre Samsung de l'opportunité de son traitement cinématographique. Je le reproduis aujourd'hui pour son parfum de 1er mai, même si le tableau fut peint en 1884. Pour les Parisiens, une cinquantaine d'années avant les congés payés, les bords de Seine ou de Marne représentaient les seules vacances envisageables, un dimanche à la campagne...

Au moment de l'enregistrement j'avais écrit : "On peut toujours se plaindre de la chaleur. Il faut savoir aussi l'apprécier. J'ai passé l'après-midi à Asnières, les yeux baignés par ces bords de Seine. Je m'y suis plongé à en attraper la crève. Les zoziaux finissant par me sortir par les trous de nez, j'ai ajouté quelques clapotis pour me rafraîchir. Écouter un train à vapeur au loin renforçait la perspective, mais le bruit des wagons salissait le tableau peint par Seurat. Je ne conserve que le sifflet de la locomotive rappelant les volatiles et surtout le gamin qui voudrait faire de la musique en serrant un brin d'herbe entre ses pouces. Quand glissent les rameurs je me repose sur le panoramique. Une voile claque. Le môme finit par y arriver, mais ça réveille le chien. J'anticipe les sons pour qu'ils justifient les deux mouvements rapides que Pierre Oscar a écrit et qui dynamisent cette après-midi lascive. Ce grand type allongé de tout son long dresse l'oreille aux moqueries des enfants..."
Il est crucial de ne pas toujours mettre de la musique dans les films. Les tableaux de cette époque où l'on allait peindre sur nature m'inspirent ces ambiances champêtres. Comme Anny sait beaucoup mieux que moi jouer de la feuille d'herbe, nous en cueillons diverses dans le jardin...

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy

Direction artistique - Jean-Jacques Birgé

Partition sonore - Jean-Jacques Birgé, avec la participation de Anny Romand

Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari

Post-production - Snarx-Fx

Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto

Droits photo © The National Gallery, Londres, dist.RMN

À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.