70 octobre 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 31 octobre 2013

Overprinting est le 108ème album paru chez GRRR

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Overprinting devait être composé de deux "faces", chaque groupe de musiciens enregistrant le playback de l'autre, à Paris Un Drame Musical Instantané, à Tel Aviv un orchestre réuni par Vyacheslav Ganelin. Ce projet fut initié en 2004 par Meidad Zaharia, le producteur de MIO Records qui avait réédité Défense de de Birgé Gorgé Shiroc en CD+DVD la même année. MIO a cessé ses activités, Wah-Wah vient de rééditer Défense de en vinyle et j'ai retrouvé cette fois les maquettes de cet album inédit dans mes archives informatiques.
En fait nous étions en désaccord avec l'approche de Ganelin. Le Drame avait envoyé 4 pièces pour que les musiciens israéliens enregistrent par dessus, mais leur re-recording ne correspondait pas au projet sur lequel nous nous étions entendus. Idem avec leur contribution qui aurait dû s'appeler Pépé le Moko ?. Ce sont probablement les derniers enregistrements, toujours aussi superbes, de Bernard Vitet à la trompette, miné par des problèmes dentaires. À la réécoute je regrette que nous n'ayons pu mener à bien cette collaboration, mais la distance et les intermédiaires nous ont probablement été fatals. L'expérience a le mérite de poser des questions intéressantes.
Bernard (trompette, bugle, trompette à anche) et moi-même (synthétiseurs, harmoniseur) avions invité Didier Petit pour le côté français, et pas seulement parce que le violoncelliste portait un "béret français" comme Brunius dans le film des frères Prévert, L'affaire est dans le sac ! On l'entend dans Short Cut et Dans le sac ? où il double son instrument avec sa voix. Du côté israélien nous n'avons jamais réussi à savoir exactement qui étaient les musiciens dans le mix réalisé par Zaharia, à part le pianiste Vyacheslav Ganelin et Gershon Wayserfirer au oud. Zaharia tient-il les percussions et Ganelin double-t-il au trombone ?
Overprinting est le 49ème album inédit offert en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org et le 108ème chez GRRR.

mercredi 30 octobre 2013

Furie de Brian de Palma en DVD


Enfant, j'avais monté un numéro de transmission de pensée avec ma petite sœur ; en réalité c'était un tour de magie basé sur l'intonation de la voix. Lycéen, je dévorai des livres de sciences occultes en complément de mes expériences hallucinogènes : j'appris l'hypnose que j'abandonnerai parce que la concentration nécessaire m'épuisait, j'empilais tous les cartables de la classe sur le ventre d'un camarade plongé en catalepsie, les derniers jours de juin tous mes profs étaient friands de mes exposés avec séances pratiques ! Plus tard, je participai à de véritables tentatives télépathiques avec une fille qui communiquait par dessins avec une équipe au Brésil... Et puis j'abandonnai toutes ces pratiques amusantes pour m'interroger plus sérieusement sur les possibilités inexploitées du cerveau. Mais cela, c'est une autre histoire, comme une histoire du cinéma où la fascination de l'inconnu et l'attrait pour les attractions foraines originelles ont produit tant d'œuvres illusionnistes...
Ainsi, après avoir publié les DVD de Pulsions / Dressed To Kill (1980) et Blow Out (1981), 2 chefs d'œuvre de Brian de Palma, Carlotta réitère avec Furie (The Fury) qui les avait précédés de deux ans. Nouvelle excellente cuvée que ce film à cheval sur plusieurs genres, thriller fantastique où le réalisateur a recours à la télépathie et à la psychokinésie pour nous emmener sur un terrain glissant où la manipulation politico-scientifique camoufle de complexes relations freudiennes entre Kirk Douglas, John Cassavetes, Andrew Stevens et Amy Irving. Dans le genre, la musique très réussie de John Willams rappelle fondamentalement son utilisation par Bernard Herrmann. À signaler un version remasterisée à 2K, plus des bonus à foison, un peu trop plan-plan à mon goût, sur un deuxième DVD ou sur le Blu-Ray : Du sang sur l'objectif (entretien avec le directeur de la photo Richard H. Kline), Histoires de pivotage (entretien avec l'actrice Fiona Lewis), Journal de tournage de Sam Irvin ainsi que son court-métrage Double Negative, pochade en hommage à de Palma, et des entretiens d'époque...

mardi 29 octobre 2013

N'en jetez plus !


Mon dos se redresse doucement. Les yeux de Françoise retrouvent une nouvelle jeunesse. Scotch miaule sans que l'on sache pourquoi, mais tout va bien. Le temps me manque juste pour raconter tout ce qui se passe autour. USA 1968, mon second roman augmenté, est sur les rails : Mathias code, Mika dessine, Sonia vidéote et nous testons, testons, débuguons, corrigeons, retestons, etc. Idem avec Baiser d'encre, le nouveau long métrage de Françoise dont j'assure la production exécutive en plus de la partition sonore. Aujourd'hui Antoine et moi installons les lapins de Nabaz'mob à l'ENSAD pour les représentations de la soirée privée de demain où une centaine de philosophes réunis à l'ENS seront confrontés à notre clapier. Pendant ce temps, les films, les disques, les livres s'accumulent sur les étagères et j'oscille entre remplir et vider le frigidaire. Oui je sais, on dit réfrigérateur, mais ça rime moins bien et plus personne ne possède cette marque. À la Cité des Sciences l'exposition sur le jeu vidéo dont Sacha et moi avons signé le design sonore est commencée, alors je travaille sur un projet de programmation de spectacles avec des plasticiens interactifs et de jeunes affranchis pour l'année qui s'annonce. C'est sans compter les concerts, enregistrements, publications qui se bousculent... Quand je pense que je me plaignais de ne pas savoir où j'allais... Mais, comme dit Pierre Oscar, je n'ai rien vu à Fukushima...

lundi 28 octobre 2013

Une musique pour chaque heure de la journée


À chaque moment de la journée correspond une musique adéquate et ce, différente pour chacun et chacune. Au réveil j'ai toujours préféré des musiques tonifiantes comme Dario Moreno ou du rock explosif, ces jours-ci ce sont deux albums de la collection Funk, psychedelia and pop from the Iranian pre-revolution generation, Khana Khana ! & Goush Bedey, que distribue Orkhêstra. À cheval entre la musique arabe et Bollywood ces chansons kitsch du temps où l'espoir était florissant donnent à la pop des années 70 une tonalité orientale des plus réjouissantes. Lorsque je suis encore le seul levé j'écoute plutôt des voix parlées pour ne pas réveiller ceux qui dorment. Avant le déjeuner j'essaie des choses plus expérimentales, mais comment évoquer Ondes primitives (Kadima Collective), les improvisations de contrebasse de Fred Marty qui, si elles sont riches et passionnantes, risquent de hérisser le poil de celles ou ceux qui ne sont pas encore rasés ou, plutôt, qui le sont de trop près ?
Pendant les repas je coupe toujours le son parce que la musique en mangeant est un truc qui devrait être interdit. Impossible de se concentrer sur les saveurs qui titillent nos narines et nos palais, ni sur les conversations des convives. J'attaque le café avec un disque du label Bruce's Fingers que m'a prêté Gary, Clay Angels de Su Lyn, chanteuse anglaise qui mériterait d'être largement plus connue, cousine lointaine de Laurie Anderson, Beth Gibbons ou Anna Bird chez White Noise. Produite par le contrebassiste et claviériste Simon H.Fell, elle distille une pop minimaliste envoûtante, s'appuyant sur des improvisations portées par la batterie de Stuart Braybrooke et les rythmes de Roger Chatterton. Le disque a déjà dix ans et personne ne semble très au courant par ici.
Si je ne suis pas moi-même en studio l'après-midi j'écoute plutôt des choses très électriques comme cette semaine les groupes technoïdes que m'a indiqués Jean-Michel, Queen of The Wave des Finlandais Pepe Deluxé qui utilise le Great Stalacpipe Organ, plus grand instrument de musique du monde restauré pour l'occasion (livret psychédélique de 60 pages chez Catskills), Dead Cities de Future Sound Of London (FSOL) en collaboration avec le compositeur Max Richter et enfin l'insaisissable et prolifique Sufjan Stevens, kitsch multi-instrumentiste à cheval entre le folk, l'électro et le symphonique !
Avant le dîner je reviens à des musiques du monde ou à ceux qu'elles ont inspirés. Liquid Spirit (Blue Note) du crooner Gregory Porter peut faire l'affaire, mais je préfère Nights in Tunisia (Infingo) de Jean-Christophe Cholet avec l'Ensemble Diagonal auquel participe le violoniste Jasser Haj Youssef, rencontre de jazzmen avec une douzaine de chanteurs et musiciens arabes qui n'est pas sans rappeler une autre réussite, celle de l'ONJ de Caravan(e).
Intemporelle, '68 est la phénoménale exhumation de fonds de tiroir de pièces de Robert Wyatt. Si Slow Walkin' Talk, son duo avec Jimi Hendrix qui lui permit d'enregistrer tous ces incunables, figurait déjà dans quelques compilations (mais la photo est ici dans le livret !) et si Chelsa est sympa, deux longues pièces rendent ces archives indispensables. Rivmic Melodies débute avec British Alphabet et dérive en yaourt espagnol mais surtout il est fantastique d'écouter la version initiale de Moon in June, sur ces deux pièces le chanteur enregistrant lui-même piste après piste la batterie, la basse, le piano et l'orgue ! Le Lowrey de Mike Ratledge et la basse de Hugh Hopper le rejoignent tardivement pour que naisse ce qui deviendra la mythique face 3 du Third de Soft Machine. Le livret contient une exceptionnelle interview de Wyatt réalisée en décembre 2012 par Aymeric Leroy avec les commentaires de Hugh Hopper (Cuneiform, dist.Orkhêstra).
Mais aujourd'hui, quelle que soit l'heure, on entendra Lou Reed chanter dans les chaumières, une voix unique, reconnaissable dès la première syllabe, chaude et rocailleuse. Depuis les débuts du Velvet, depuis Walk on the Wild Side, le meilleur était ce timbre, parlé-chanté vénéneux. Les innombrables réactions sur la Toile à l'annonce de sa mort indiquent que le rock 'n roll vient de tourner la page de toute une époque. Accueillant hier soir cet animal mythologique, le corbeau de Poe répétait inlassablement "jamais plus" !

vendredi 25 octobre 2013

La Source


Énorme succès à La Java mercredi soir pour mes premiers pas sous appellation techno. Plutôt que de répondre à chaque camarade qui m'interroge sur la soirée, écrire peut m'éviter de rabâcher la même histoire à l'infini. C'est que des copains j'en ai pas mal, même si aucun ne s'est déplacé pour assister à cette incroyable soirée ! Manque de curiosité, a priori sur le genre musical, coïncidences, planning chargé, oubli, enfants en bas âge, mieux à faire, information reçue trop tard ? Dommage pour eux, car nous nous sommes bien amusés devant le public enthousiaste. Le set expérimental de DJ Ron Morelli acheva de me décomplexer de ne pas savoir faire danser. Jorge Velez enchaîna avec un solo live plus rythmique auquel j'emboîtai le pas également en solo sans temps mort. J'ai l'impression d'avoir réalisé une sorte de plunderphonics live, techno maximaliste à base de sons électroniques et de rythmiques diaboliques, de voix, radiophonies et trompettes à anche. Le duo avec Velez (© Photo 1 Françoise Romand) était plus magmatique, pâte sonore d'une rare intensité où l'improvisation prolongea nos conversations à bâtons-rompus. Plus classique, Tuff Sherm aka Dro Carey eut le mérite de swinguer avec une efficacité redoutable. Nous en sommes tous sortis tardivement avec une pêche d'enfer, remerciant Xavier Ehretsmann pour son excellente et stimulante initiative de nous avoir réunis. Marier le beat électronique avec un jeu live sur des instruments éventuellement acoustiques était inéluctable. La techno et la musique électroacoustique retrouvent leurs intentions originelles qu'une actualisation nécessaire régénère pour contrer le formatage et le peu d'ambition des majors en matière artistique. Comme dans les milieux jazz et musiques improvisées les jeunes retrouvent leur désir d'étonnement et de découverte, recherchant dans le passé les épisodes qu'ils ont ratés. C'est tout bon pour les dinosaures de mon espèce !


La surprise vient évidemment du public club, la plupart jeunes trentenaires à la recherche de nouveauté. Filles et garçons me demandent depuis combien de temps je joue cette musique ? Force est de constater que voilà plus de quarante ans que je joue ainsi et que j'en vis, infiltrant le rock, le jazz ou la musique contemporaine, sans ne rien changer à ma manière de voir et de rêver. Une fille s'étonne que je n'ai d'autre travail que celui de compositeur, comme si l'underground rimait obligatoirement avec galère et pauvreté. Je m'éclate en improvisant en direct des rythmes tranchants au Tenori-on. Les leds s'éclairent sous les notes, devant des bouches ouvertes à s'en décrocher la mâchoire. Mes pieds dansent sur les pédales des claviers. Pendant mon solo aucun répit n'est possible, je jongle avec les potentiomètres, je fonds, je brise, j'accumule, je réduis. Le duo permet plus facilement de respirer.
Après le dernier set je suis étonné de partager les mêmes idéaux avec Morelli, Svengalisghost Lives et Velez (© Photo 2). Nous avons des méthodes différentes pour arriver à nos fins, mais nos démarches se ressemblent. À jouer d'instruments bizarres ou simplement électroniques je ne ressens ni l'incompréhension ni la ségrégation qu'ont perpétuées jusque récemment la plupart des jazzmen et libres-improvisateurs. Je rêve d'une mixité qui rassemble toutes ces énergies inventives sans préjugé ni pré carré. Tous les signes le montrent : c'est pour bientôt !

jeudi 24 octobre 2013

OK GO


Les machines musicales infernales sont toujours fascinantes. Zwei-Mann-Orchester de Kagel, Music for one apartment and six drummers et Sound of Noise de Simonsson et Nilsson, Guitar Dragg de Marclay, les installations de Boursier-Mougenot, les écroulements de dominos nous renvoient aux fantasmes de L'homme qui rétrécit comme si nous étions une poussière dans la mécanique diabolique d'une horloge démesurée.
J'avais, entre autres, chroniqué le clip This Too Shall Pass du groupe OK GO qui s'inspirait directement du fameux Der Lauf der Dinge de Fischli et Weiss. Ella et Loïc me signalent celui illustrant Needing/Getting de cet orchestre dont la musique n'a rien d'extraordinaire, mais dont les clips expérimentaux sont toujours intéressants. On aurait même bien supprimé la piste vocale dans le mixage !


Pour réaliser ce tour de force OK GO a récupéré 288 guitares et 55 pianos, et fabriqué 1157 instruments déclenchés au passage d'une automobile customisée. Ces garçons très potaches stipulent que les guitares sont des Gretsch Electromatic CVT III branchées six par six sur des amplis Gretsch G5222 Electromatic qu'ils ont revendus après les avoir signés et, puisqu'ils ont adapté leur clip en spot de pub pour Chevrolet, ils indiquent que le parcours de leur Chevy Sonic équipée de micros et de battes de percussion s'allongeait sur 4 kilomètres. Plusieurs making of décortiquent l'interprétation virtuose.






Inventer des timbres est un travail de laboratoire excitant qui nous ramène à l'enfance où nous expérimentions avec tout ce qui tombait sous les doigts. Personnellement je n'ai jamais utilisé mes jouets dans la perspective pour laquelle ils avaient été conçus. Je les retournais, je les transformais, je les faisais sonner... Secouant une feuille de plastique au-dessus de mes petits soldats pour figurer le tonnerre.

mercredi 23 octobre 2013

JJB invité techno ce soir à La Java


Ce n'est pas tous les jours que je joue de la techno. Ou peut-être que si ? Jorge Velez aka Professor Genius, avec qui je joue ce soir, m'expliquait qu'au début du mouvement à Detroit il s'agissait de fabriquer une musique que personne n'avait jamais entendue. La techno expérimentale renoue ainsi avec ses origines, après avoir été considérablement dévoyée. Toutes les musiques finissent un jour ou l'autre par être récupérées par le business, par bribes ou intégralement.
Je suis impatient d'entendre (et de voir !) ce qui se passera lors de cette soirée organisée par Xavier Ehretsmann du label La Source. Je n'en ai absolument pas l'habitude, ignore ses codes, mais suis curieux de découvrir d'autres méthodes de jeu et même de communication. Par exemple, c'est 6 euros l'entrée jusqu'à 22h, ensuite le tarif monte à 8 ! J'ai eu du mal à trouver du papier bleu pour photographier le flyer comme Xavier nous l'avait demandé. J'ai découpé une chemise en carton qui s'est un peu coincée dans l'imprimante, laissant des traces au centre de l'image... Preuve d'authenticité qui le comblera ! En fond j'ai pris les deux claviers que j'utiliserai ce soir, mais j'emporterai quelques instruments acoustiques pour jouer en duo avec le New Yorkais du New Jersey d'origine colombienne Jorge Velez (Versatile, Italians Do It Better, Echovolt, Rush Hour, L.I.E.S., Skudge). L'Américain DJ Ron Morelli (L.I.E.S, Hospital Productions, Echovolt Records) parraine la soirée en ouvrant le bal à 21h et l'Australien DJ Tuff Sherm aka Dro Carey (The Trilogy Tapes, Opal Tapes, Ramp, Hum + Buzz) fermera le ban de minuit à 2h du matin. Entre temps Jorge aura joué en solo, puis ce sera mon tour. C'est le moment épineux parce que je ne sais pas si l'on attend de moi un style particulier. On m'assure que non. Tant mieux. Alors j'improviserai à ma sauce en y mettant peut-être un plus de rythme que d'habitude, mais de là à faire danser cela m'étonnerait, ma techno est maximaliste, trop complexe ! J'ai tout de même choisi deux machines que je n'utilise plus trop. Raison de plus. J'en profite. Le moment le plus excitant est notre duo. J'ai eu l'immense plaisir de passer une journée à discuter avec Jorge de musique, de toutes sortes de musiques, de cinéma (il est monteur vidéo à la télé américaine), de littérature et nous avons énormément de références communes. L'improvisation musicale figurera la suite de notre conversation...

mardi 22 octobre 2013

The Pervert's Guide to Ideology


"Nous sommes responsables de nos rêves." Le philosophe Slavoj Žižek annonce la couleur, brillante démonstration en Technicolor et effets spéciaux made in Hollywood puisqu'une fois encore il s'appuie sur les blockbusters pour renverser nos idées préconçues sur la manipulation dont nous sommes à la fois les victimes et les auteurs. Suite de son Pervert's Guide to Cinema déjà réalisé avec la cinéaste Sophie Fiennes qui psychanalysait la société au travers de films grand public, la nouvelle production, The Pervert's Guide to Ideology, débusque les intentions cachées derrière les images dont nous nous repaissons. Ces rêves, fabriqués sur mesures, façonnent nos convictions et nos pratiques collectives. Au travers des films, mais aussi de la musique ou d'événements marquants de notre actualité comme le 11 septembre, l'attentat d'Oslo ou les émeutes en Grande-Bretagne d'août 2011, l'idéologie sous-jacente structure nos fantasmes en mutation. Pendant deux heures d'une rare intensité Žižek nous plonge dans cet univers fantasmagorique dont il recrée les décors et la lumière pour s'y fondre lui-même. Son humour caustique est vivifiant, son esprit de contradiction nous permettant d'envisager une porte de sortie hors de ce qui semble immuable.
Le philosophe s'inspire des extraits abondants qu'il nous livre, cette fois Le triomphe de la volonté (1935) de Leni Riefenstal, Le Juif éternel (1940) de Fritz Hippler, Brève rencontre (1945) de David Lean, La chute de Berlin (1950) de Mikhail Chiareli, La prisonnière du désert (1956) de John Ford, West Side Story (1961) et La mélodie du bonheur (1965) de Robert Wise, Les amours d'une blonde (1965) et Au feu les pompiers (1967) de Milos Forman, L'opération diabolique (1966) de John Frankenheimer, If.... (1969) de Lindsay Anderson, MASH (1970) de Robert Altman, Zabriskie Point (1970) de Michelangelo Antonioni, Cabaret (1972) de Bob Fosse, Orange mécanique (1971) et Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick, Les dents de la mer (1975) de Steven Spielberg, Taxi Driver (1976) et La dernière Tentation du Christ (1988) de Martin Scorsese, Brazil (1985) de Terry Gilliam, They Live (1988) de John Carpenter, Titanic (1997) de James Cameron, I Am Legend (2007) de Francis Lawrence, The Dark Knight (2008) de Christopher Nolan…
La version que j'ai visionnée en anglais ne portait aucun sous-titre, mais dès la conférence à laquelle nous avions assisté il y a cinq ans nous avons été emballés par la force de conviction du philosophe que son accent slovène et ses postillons nous rendent aisément compréhensible malgré notre anglais de cuisine. Ses propos sont évidemment plus complexes que mon mince résumé. Lacanien, il souligne la culpabilité dans l'incapacité à jouir suffisamment et, marxiste, il débusque l'hypocrisie cynique de la morale catholique ; la mélancolie naît de la faiblesse du désir. D'une bouteille de Coca ou d'un Kinder-Surprise Žižek décelle le surplus allusif, et avec la IXe symphonie de Beethoven il démontre que l'objet peut être porteur d'idéologies contradictoires, réceptacle ouvert à tous les contenus. Mais rien n'est aussi neutre qu'il le semble. Starbucks surtaxe son café sous des prétextes écologiques ou solidaires, mais ne vend en fait qu'un succédané idéologique. L'anti-consumérisme est compris dans le prix du produit décomplexé ! Et lorsque les mots viennent à manquer surgit la violence. Les symboles sont glissants comme montré avec le groupe Rammstein pervertissant l'idéologie nazie. Le capitalisme, dont les crises sont les garantes de sa permanence, est prêt à tout sacrifier pour défendre l'idée de nécessité : nos vies, la nature, etc. Le Grand Autre, l'ordre secret des choses, tente de justifier les totalitarismes en déresponsabilisant chacun, soi-disant pour les besoins de l'Histoire. Žižek démontre qu'il n'existe pas de Grand Autre et que nous sommes seuls. Kafkaïen, il rappelle que la bureaucratie n'est qu'une jouissive manifestation laïque du divin. Contrairement à la perversion, l'hystérie est subversive parce qu'elle est l'expression du doute. Toutes les nouvelles inventions en découlent. Mais nous préférons sauver les apparences en nous rendant complices de ce qui nous opprime. Chacun peut pourtant réagir subjectivement à sa manière face à l'objectivité apparente des faits. Nous pouvons choisir nos rêves en acceptant ceux que la consommation nous dicte, mais le premier pas vers la liberté n'est pas de transformer la réalité pour qu'elle coïncide avec nos rêves, il s'agit de rêver autrement. C'est forcément douloureux. On ne peut rien attendre de l'avenir. Tout dépend de notre volonté…

lundi 21 octobre 2013

Pasolini exposé à la Cinémathèque


L'exposition Pasolini Roma ne pâtit pas du storytelling qui handicapait celle sur Jacques Demy, cinéaste au moins aussi critique que féérique.
Il est notoire que le poète et cinéaste italien était communiste et homosexuel. Quel qu'en soit le mystère encore irrésolu, son sinistre assassinat fut certainement la conséquence de sa liberté de penser et de vivre. Sa filmographie ou ses prises de position politiques firent scandale plus d'une fois. L'exposition présentée à la Cinémathèque Française jusqu'au 26 janvier 2014 rend justice à toutes les facettes du poète, modèle d'esprit indépendant sensible à la misère du monde. Étudiant à l'Idhec, j'entendais souvent Jean-André Fieschi parler de "Pier Paolo" sur qui il avait réalisé dès 1966 un documentaire admirable, Pasolini l'enragé, où le cinéaste répond en français en exposant merveilleusement son approche cinématographique. Trente ans plus tard Jean-André retrouvera Ninetto le messager, amant et acteur fétiche de Pier Paolo. Les photographies, textes, extraits de films, témoignages rassemblés chronologiquement par Gianni Borgna, Alain Bergala et Jordi Balló en six sections sont extrêmement touchants.


Après son arrivée à Rome depuis le Frioul, son premier roman et ses collaborations avec Fellini et Bolognini, Pasolini tourne successivement Acatone, Mamma Roma et La Ricotta, mon préféré avec Uccellacci e uccellini (Des oiseaux, petits et gros). L'analyse marxiste y est développée avec la plus grande fantaisie inventive. À partir de là, sa révolte ne fera que s'amplifier, contre la bourgeoisie qu'il a toujours exécrée, contre les raccourcis idéologiques qui lui feront prendre, par exemple, la défense des CRS, fils de pauvres, contre les étudiants fils-à-papa. De même il s'insurgera contre la télévision, cage de l'opinion publique. Les scandales se succéderont toute sa vie, du roman Raggazzi di vita en 1958 à son ultime film, Salò ou les 120 Journées de Sodome, en 1975, en passant par Théorème, Porcherie, etc. La plupart des spectateurs de Salò que j'ai rencontrés n'ont pu soutenir la vue du film jusqu'au bout, fermant ou clignant des yeux devant l'horreur ou la violence des scènes qui renvoient à nos propres démons. Il représente l'un des films majeurs de l'histoire du cinéma parce que justement, selon la formule de Jean Cocteau, Pasolini y montre jusqu'où l'on peut aller trop loin. Pas au cinéma, mais dans l'histoire de l'humanité. Le goût du risque l'anime avec le même force que celle du langage. La recherche de l'intégrité et les contradictions qu'elle génère le poussent aux extrémités. On sort de l'exposition avec un terrible regret, celui de n'avoir jamais rencontré cet écorché vif, révolutionnaire hypersensible, amoureux du monde au point de le combattre jusqu'à ce que justice soit faite. Bel exemple, quoi qu'il en coûte !

vendredi 18 octobre 2013

La Maison de la Radio


Le DVD du nouveau documentaire de Nicolas Philibert est sauvé par ses bonus. Le réalisateur filme de manière très banale ce montage choral sur le hors-champ des ondes. Si l'on n'est jamais entré dans la Maison de la Radio, avenue du Président Kennedy à Paris, on sera peut-être séduit de découvrir quelques visages dont on ne connaît que les voix, ou d'arpenter les couloirs que Jean-Luc Godard immortalisa pour Alphaville en 1965. Le tournage est censé se passer le temps de deux tours d'horloge, mais je n'ai pas repéré celles qui ornent tous les studios, connectées au même ordinateur central. Moins catastrophique que Nénette (2010), regard paresseux sur l'orang-outang du Jardin des Plantes, on ne s'ennuiera pas, mais on n'apprendra pas grand chose non plus. On est loin de La Voix de son maître coréalisé avec Gérard Mordillat ou du Pays des sourds. Philibert a tout de même toujours eu la fâcheuse manie de couper juste avant que cela devienne vraiment intéressant comme dans La moindre des choses. Ici tout est découpé en confettis, hymne au travail certes, mais promenade basique digne d'un guide vidéo acheté à la sortie de n'importe quel monument historique. Des séquences musicales viennent ponctuer la promenade et on sera probablement ravis de croiser le duo d'Antonio Placer et Jean-Marie Machado, ou les automates musicaux de Pierre Bastien.
C'est d'ailleurs un bonus musical de 38 minutes qui sauve cette galette, lectures de Jacques Bonnaffé accompagné par le clarinettiste Louis Sclavis (qui ne joue pas de sax comme écrit sur le boîtier !). Interprète de nombreux livres audio, le comédien est un habitué des lectures en musique. Pendant le Festival d'Avignon au Musée Calvet il évoque les héros du Tour de France en improvisant les intermèdes de Forcenés. Le musicien fait sonner les rayons de sa sanza dans les montées, joue de l'harmonica dans les descentes, bruite les plats, mais ne se laisse pas distancer par le cornet à pistons de Bonnaffé. Leur complicité est explicite. Le montage de Philibert, qui manque fondamentalement de point de vue, n'a rien de notable, mais on est contents comme avec le petit interview du météorologiste Joël Collado (Ed. Montparnasse).

jeudi 17 octobre 2013

Pôle-Emploi, dernière étape ?


Il y aura de nombreux points d'exclamation dans l'histoire que je vais raconter aujourd'hui. Pour arriver au bout de mes peines, du moins je l'espère, il m'aura fallu beaucoup de courage, d'entêtement, de patience, d'humour, de persévérance, de résistance et du temps, beaucoup de temps qui l'eut été plus intelligent et productif de passer autrement.
Espérons donc que c'est le dernier billet que j'écris sur mes aventures d'intermittent du spectacle voué à la retraite dans un avenir plus ou moins proche. J'aurai comptabilisé les trimestres nécessaires le 1er avril 2015. Ce n'est pas une blague. J'ai déjà publié quelques épisodes de cette Passion des temps modernes : La retraite au flan bof, Overdose d'incompétence, Assez d'hics !, Rebelote à Pôle-Emploi. Il semble que je sois enfin tombé sur un salarié compétent de cette officine. Cela se termine toujours ainsi, mais il faut s'accrocher !
J'ai déjà expliqué ici que mes courriers ne parviennent jamais à mon agence locale: comme ils sont filtrés par l'agence régionale qui ne les fait pas suivre, je les dépose dans leur boîte aux lettres ! D'où d'indispensables visites que je commets régulièrement le mercredi matin dès 9h (en arrivant une demi-heure plus tôt) pour ne pas me coltiner des queues de quarante personnes. Le mercredi est le jour le moins fréquenté, remercions les enfants en âge scolaire ! La question épineuse concernait le maintien de mes allocations à l'approche de la retraite. En effet il est important de savoir qu'à partir de 60 ans et des poussières nous pouvons bénéficier des allocations, jusqu'à l'obtention du nombre suffisant de trimestres pour bénéficier de sa retraite à taux plein, sans avoir besoin de réunir les sempiternels 43 cachets minimum de 12 heures (ou 507 heures). Il suffit de continuer à pointer et cela devrait aller comme sur des roulettes.
Sauf que Pôle-Emploi m'écrivait systématiquement, vous allez comprendre que cet adverbe est le seul correct, que je devais justifier de 9000 heures de travail dont 1521 dans les 3 dernières années ou d'au moins 15 ans d'activité, et, seconde condition, d'au moins 100 trimestres d'assurance vieillesse tous régimes confondus (cette condition a déjà été abordée lors de mes précédents articles et résolue !). Réunissant toutes ces conditions, et bien d'autres mais je vous fais grâce de moult détails de taille, je fus surpris que l'on me réponde à quatre reprises que non, sans pour autant m'en expliquer la raison. Car je totalise plus du double d'heures requises et près de 40 ans d'activité salariée ! Je réclamais, on me répondait toujours la même chose. J'ai fini par avoir une personne diligente au 3949 pour m'apprendre que Pôle-Emploi n'avait trace de moi que depuis juin 1999, soit 25 ans de carrière égarés ! Pour une fois je pris l'absurde nouvelle avec le sourire puisque j'avais consciencieusement conservé toutes mes feuilles de salaire, classées année par année. Comme il n'y a aucun contact possible entre le service téléphonique de Pôle-Emploi et leurs agences il me fut conseillé de faire des photocopies des années manquantes et de m'y déplacer. Vu le nombre inimaginable de feuilles, j'y suis allé avec mes originaux dans une brouette. En me voyant arriver avec un énorme carton la jeune fille de l'accueil me demanda ce que je venais livrer. Je clamai haut et fort que c'était les 25 ans de carrière que Pôle-Emploi avait perdu. Devant le scandale évoqué je fus reçu illico et l'on me donna un double rendez-vous, soit deux fois 45 minutes qui se suivent. Trois quarts d'heure est l'unité de rendez-vous à Pôle-Emploi.
Si vous avez réussi à me suivre jusqu'ici c'est maintenant le plus savoureux. Un logiciel informatique (qui ne fait toujours pas les additions, c'est au préposé de compter sur ses doigts) a remplacé le précédent que les plus jeunes employés sont incapables d'utiliser. Or celui-ci ne remonte pas au delà de 1999, le suivant non plus évidemment ! Les archives sont inaccessibles à l'un comme à l'autre. Si vous avez le sens des chiffres vous comprendrez qu'un système qui doit vérifier que l'intermittent a bien 15 ans d'ancienneté, mais qui ne peut remonter que 14 ans en arrière, provoque des crises, d'hilarité ou dramatiques selon les dispositions du sujet. J'aimerais savoir qui a réalisé les deux systèmes informatiques et combien ils furent facturés. Cela sent le scandale à plein nez...
Il ne reste donc qu'une solution, apporter suffisamment de feuilles de salaire antérieures à la date absurde. Le préposé aura la gentillesse de les rentrer une par une dans sa machine et de les photocopier. Heureusement il me manquait seulement 500 heures pour arriver au compte et ma brouette s'avéra exagérée en regard des exigences administratives. Si aucun de mes employeurs ne remplit de manière fantaisiste les AEM je ne suis plus susceptible de retourner jamais faire la queue à Pôle-Emploi, ce qui est un peu triste puisque je ne pourrai plus faire rire mes camarades en leur détaillant ses rouages kafkaïens. Heureusement l'administration française a d'autres ressources !

P.S.: conservez précieusement toutes vos feuilles de salaire en les classant année par année ;-)

mercredi 16 octobre 2013

Des films tout de même


Comment la critique cinématographique peut-elle s'égarer à ce point ? La nouvelle cinéphilie semble se baser sur les émois d'enfance des journalistes au lieu de se délecter de l'histoire du cinéma. Le déplacement s'est exercé de cet obscur objet du désir à celui du sujet qui se conjugue à la première personne du singulier quand la convention n'impose pas le pluriel. Le cinématographe s'est effacé devant la plasticité des images et les contes démonstratifs. Les évocations poétiques sont remplacées par les effets spéciaux. La mythologie a cédé la place au matraquage publicitaire. On gobe Eastwood ou Spielberg dont l'idéologie nauséabonde n'a d'égal que leur conformisme. On encense Woody Allen et l'on ignore Albert Brooks. Les auteurs qui se risquent à l'expérimentation pour retrouver la magie du cinématographe sont marginalisés. Notre époque ne supporte le radicalisme que lorsqu'il est marchand ou qu'il se marginalise lui-même dans des sphères élitaires.
Quelques bonnes surprises parmi d'autres... L'Italien Paolo Sorrentino (Le conseguenze dell'amore, L'amico di famiglia, Il Divo, This Must Be The Place, La grande bellezza) est taxé de maniérisme stérile alors qu'il est l'un des rares à s'interroger sur le rapport son/image et à intégrer les expressions audiovisuelles populaires à des montages savants. On se repaît de la sinistrose répétitive d'un Hanecke en passant à côté du Grec Yórgos Lánthimos (Canine, Alps) dont chaque cadre est à la mesure de son sujet. Dans un registre plus classique Susanne Bier (The One and Only, Brothers, After the Wedding, Things We Lost in the Fire, Revenge, Love is all you need) continue à filmer ses psychodrames ou comédies sans qu'on y fasse attention ; le succès de la comédienne Sidse Babett Knudsen, Birgitte Nyborg dans Borgen, ouvrira peut-être une porte à la réalisatrice danoise. La morgue incisive de Guillaume Nicloux (Le poulpe, Une affaire privée, Cette femme-là, La clef, Holiday, La religieuse) rappelle le Mocky des meilleurs jours. On pourrait repérer une constante chez tous, une sorte d'euphorie qui rejette les lamentations de ceux que la critique encense. Et les comédies potaches d'Appatow ou Wes Anderson n'arrangeront rien à l'affaire. Ce ne sont ici que des pistes. Libre à vous de trouver votre bonheur ailleurs. Au delà d'une résistance joyeuse tous ont en commun la critique de la bourgeoisie et du pouvoir. L'association des deux n'a plus la côte depuis que de "jeunes" universitaires ont pris le pouvoir dans la presse spécialisée. À suivre.

mardi 15 octobre 2013

Il faudrait interdire le piano dans les films


Il faudrait interdire le piano dans les films, et huit mesures plus tard le peloton de cordes sirupeuses qui redondent, banalisent et formatent la scène qu'ils accompagnent. Les réalisateurs américains à l'origine de cette fâcheuse manie pensaient probablement que le public était trop stupide pour comprendre qu'il s'agissait d'une séquence sentimentale. Envoyez la purée !
D'excellents films, ou du moins qui devraient l'être, sont considérablement affadis par cette épouvantable convention qui consiste à souligner les effets dramatiques avec la musique. Comme si le jeu des comédiens ne suffisait pas à exprimer ce que dicte le scénario, comme si l'éclairage, le cadrage, le montage s'avéraient incapables à diffuser les émotions, comme si le cinématographe était impuissant et, démissionnant, appelait au secours l'indicible médium, la musique, fantasmée ou crainte par la plupart des réalisateurs. Plutôt que d'y avoir recours pour son potentiel à apporter du sens de manière complémentaire ils soulignent les effets au marqueur fluo. L'orchestre le plus pompier les rassure, soupe pseudo classique ou vieille scie mille fois rabâchée. Elle ne se manifeste pas seulement dans les scènes sentimentales. Les scènes d'action obéissent aux mêmes lois réductrices. Effacez la piste musique de la majorité des films d'aujourd'hui et le style des cinéastes se révèle comme par enchantement. Quelques rares voyants y échappent, refusant son apport ou l'utilisant à contre-emploi, entendre qu'ils ou elles se posent la question de ce que la musique peut bien apporter de sens ou d'émotion qui ne soit déjà exprimé dans le film. Ils devraient systématiquement s'interroger : faut-il vraiment de la musique ? Que peut-elle ajouter ? Joue-t-elle en référent culturel ou doit-elle ressembler à rien de connu jusqu'à devenir la référence ? La musique de film est une catastrophe lorsqu'elle devient un genre. C'est devenu l'élément le plus conventionnel, elle s'accroche impitoyablement au revers de la veste comme une médaille. Ce cache-misère en fer blanc plombe le film comme les scénarios explicatifs qui ne laissent plus aucune place à l'interprétation du spectateur. Tant d'excellents cinéastes mériteraient de travailler avec de véritables compositeurs, conscients du potentiel extraordinaire du son en regard des images.


À moins de désirer endormir le public plutôt qu'aiguiser son sens critique, à moins de vouloir faire ressembler son film à tous les autres, à moins de négliger le pouvoir du son pour jouer de la formidable dialectique audiovisuelle, à moins d'être sourd, on s'interdira désormais le piano et les cordes !

lundi 14 octobre 2013

Un cocktail, des Cocteau


Le 11 octobre 1963 la radio annonça la mort d'Édith Piaf. En fin de journée Jean Cocteau apprenant la nouvelle s'éteignit à son tour. Grâce aux techniques du XXe siècle le timbre de leurs voix deviendra immortel. L'un et l'autre étaient deux merveilleux conteurs. Piaf jouait ses chansons en comédienne. Cocteau ne s'y était pas trompé en lui écrivant Le bel indifférent où elle ne fait que parler devant son amant muet. Le poète n'eut pourtant jamais de meilleur interprète que lui-même pour dire ses textes. Il faut absolument réécouter les poèmes d'Opéra ou ses Portraits-souvenir qu'il enregistra sur microsillon. Cocteau fait sonner chaque syllabe en musicien inventif, leurs images explosant le sens et interrogeant l'auditeur devant l'inouï. Amateur de rythmes, il adorait son ami Stravinsky et il avait acquis la première batterie de jazz arrivée en France. Fasciné par le réel il le transposait en rêve. Il pratiqua ainsi tous les genres en les abordant en poète : littérature, cinéma, peinture, journalisme, ballet, théâtre, etc. De quoi en irriter plus d'un à commencer par les surréalistes, en particulier Breton, qui le reléguèrent à une ringardise de faiseur bourgeois pour camoufler leur propre arrogance et une homophobie face à un extraverti qui osait revendiquer ses choix haut et fort.

Comme Edith Piaf, Jean Cocteau découvrit et révéla quantité d'artistes dans des domaines extrêmement variés. Jean Genet n'en est pas le moindre, poète inconnu et délinquant récidiviste qu'il sauva de la prison et du bagne. Le Groupe des Six lui doit leur renommée ; là encore Poulenc, Milhaud, Honegger, Auric, Durey, Tailleferre (oui une femme !) faisaient figure de néoclassiques pour les bien-pensants de l'avant-garde. Comme si un autre point de vue pouvait leur faire de l'ombre ! Et pourtant ! Pourtant comment ne pas voir le génie cinématographique encensé par la Nouvelle Vague ? Du Sang d'un poète au Testament d'Orphée en passant par La belle et la bête, comment ne pas être subjugué par l'originalité et la perspicacité du cinéaste ? Il est l'auteur du concept de synchronisme accidentel au cinéma, pas seulement pour avoir compris le rôle de la musique, mais clé de toute vie.

Très jeune, grâce à Jean-André Fieschi, je fus séduit par son œuvre, même si je mis plus de temps à comprendre son travail graphique, mais tout est lié chez Cocteau. J'achetai alors tous ses livres chez les bouquinistes des quais le long de la Seine, je fouinais chez les antiquaires pour y trouver les 33 tours, j'écoutais sa voix, l'une des plus suggestives avec celles de Jean-Luc Godard et de Jacques Lacan. Jamais aucun récitant ne lui arriva à la cheville pour L'histoire de soldat de Stravinsky sur un texte de C.F.Ramuz, un autre écrivain mésestimé, considéré à tort comme auteur de romans paysans alors que ce visionnaire possède l'une des plus belles langues de la littérature francophone et qu'il est le modèle d'un autre Vaudois, cinéaste dialectique s'il en est. Si Aragon et Céline sont des géants il serait temps de réhabiliter Cocteau, Ramuz et Cendrars.

Combien de fois ai-je cité Cocteau ? Une des pièces du Drame se nomme d'ailleurs "Ne pas être admiré, être cru.", exergue d'Une histoire féline... Sur ma carte de visite j'avais écrit "Le matin ne pas se raser les antennes" (Journal d'un inconnu). Une litho originale pend dans le studio. On comprend parfois de travers "Ce que le public te reproche, cultive-le : c'est toi" (Le Potomak)... André Fraigneau lui demande : "S'il y avait le feu chez vous, quel est l'objet que vous préféreriez et que vous emporteriez ?" Et Cocteau de répondre : "Je crois que j'emporterais le feu"... "Les miroirs sont les portes par lesquelles la Mort va et vient... Du reste, regardez-vous toute votre vie dans une glace et vous verrez la Mort travailler comme des abeilles dans une ruche de verre" (Orphée).... "Puisque ces mystères me dépassent feignons d'en être l'organisateur" (Les Mariés de la Tour Eiffel), etcétéra.

vendredi 11 octobre 2013

Analyse au fil d'1/2


Francis Gorgé a retrouvé un dessin qu'il avait fait de notre trio avec Bernard Vitet. Nous étions au début des années 80. Un fil magique reliait Un Drame Musical Instantané. Si le cordon ombilical alimentait la guitare de Francis en sauteur façon Pete Townsend il passait par une oreille de Bernard et ressortait par l'autre tandis que j'y faisais le funambule. Mon corps abritait mille et un mots, la carapace de Bernard le laissait allumer une énième Bastos. La forêt de sapins rappelait la FranSuisse, le scarabée l'animal adoré, le téléphone une fâcheuse manie, et le public rêvé à la mode Hetzel d'applaudir nos facéties improvisées !
Nous avions tôt compris qu'il fallait accompagner nos inventions musicales de tout un matériel graphique qui, au moins, attire l'attention. Les journalistes qui ne comprenaient pas grand chose à notre travail nous faisaient toujours des compliments sur nos pochettes de disques. Dans les années 70 seule la pop avait saisi l'importance de l'adéquation entre la musique et le visuel qui l'habillait. La Fnac, avant de devenir le fossoyeur de la culture, nous offrait ses vitrines intérieures de 122x78cm lorsque nous proposions une création plastique réalisée par les décorateurs avec qui nous travaillions, comme Raymond Sarti ou Marc Boisseau. Kind Lieder, Sous les mers ou L'homme à la caméra sont restés affichés jusqu'à un an, une chose incroyable aujourd'hui. Sur scène c'était la même chose. Bernard disait que nous proposions toujours une image et qu'il fallait donc la contrôler. Son look était impeccable, la cigarette coincée entre l'annulaire et l'auriculaire pendant qu'il appuyait sur ses pistons, lunettes noires ou monocle, bottes cirées.
En octobre 1977 Francis avait réalisé pour Libération une petite bande dessinée qui annonçait notre résidence de trois semaines à La Vieille Grille. Il nous avait campé en Pieds Nickelés à qui nous ressemblions étonnamment. Bernard était évidemment Ribouldingue, Francis Croquignol et moi Filochard. Je vais fouiller dans les archives pour la retrouver. J'y ai mis le nez après qu'une étudiante de Toulouse ait émis le désir de remonter L'homme à la caméra avec la partition que nous avions composée pour grand orchestre. Nous jouions à Paris tous les jours enchaînant le Riverbop, le Théâtre Mouffetard, la Maison de la Radio, le Musée d'Art Moderne, etc. Il y avait évidemment dix fois moins de musiciens et dix fois plus de lieux où jouer ! Tout était plus facile, il y avait une vraie curiosité pour des expériences originales. Le formatage est venue ensuite, lorsque les décideurs, avec l'âge, sont devenus cyniques ou qu'ils ont été remplacés par des personnes formées dans des écoles de commerce. On voit bien le résultat dans les majors ou à la télévision. Heureusement une époque effervescente semble renaître, mais les conditions économiques sont nettement moins favorables.

jeudi 10 octobre 2013

"Défense de" réédité en vinyle


Avant de briser la cellophane qui recouvre la réimpression vinyle de Défense de on peut lire sur le sticker :
Birgé/Gorgé/Shiroc 'Défense de' LP + bonus DVD ! Première réédition en vinyle de cet album culte de 1975. Défense de était le premier album de Jean-Jacques Birgé et Francis Gorgé, avant la fondation d'Un Drame Musical Instantané avec Bernard Vitet en 1976. Défense de est devenu un LP culte qui se vend une petite fortune, particulièrement depuis que son caractère de musique française avant-garde/expérimentale/synthé précoce fut signalé sur la fameuse liste de Nurse With Wound. Fauni Gena fait revivre en vinyle cette œuvre légendaire de l'histoire musicale grâce à une édition top class comprenant les annotations de Jean-Jacques Birgé lui-même, plus un DVD bonus incluant près de 6 heures de pièces rares et le film de Jean-Jacques Birgé et Bernard Mollerat La nuit du phoque.
Les Barcelonais de Wah-Wah Records publient ainsi sous la référence Fauni Gena 030 mon premier disque qui inaugura le label GRRR que je venais de créer. Le label israélien MIO l'avait réédité en 2003 en CD avec le même DVD, mais c'est la première fois qu'il revient sous sa forme initiale, ici avec un livret 4 pages de 30x30cm où figurent de nombreuses photos de Thierry Dehesdin et les notes de pochette que j'avais écrites pour MIO il y a dix ans. Lorsque j'évoque l'avenir je me rends compte que j'aurais pu les mettre à jour, mais ce genre de publication joue de la perspective du temps autant qu'il affiche sa permanence. Car, à mon humble écoute, Défense de n'a pas pris une ride. Je suis étonné de préférer aujourd'hui la face B, en particulier le réveil où, en duo avec Francis Gorgé, nous mêlons les possibilités du multipistes à la fraîcheur de l'improvisation.
L'accroche publicitaire rappelle que Francis et moi avions commencé à jouer ensemble au lycée en 1970. L'album avait commencé par être enregistré chez le père du producteur de free jazz Sébastien Bernard qui possédait un orgue à tuyaux, un piano électrique, un xylophone et un violoncelle, puis sa défection et la rencontre quelques mois plus tard du percussionniste Shiroc nous avait amenés à remplacer deux des quatre morceaux par de nouvelles pièces en trio ou en quartet avec le pianiste Jean-Louis Bucchi. Notre ami le saxophoniste Antoine Duvernet faisait également des apparitions sur les deux pièces initiales. À la fin des six heures d'inédits du trio présents sur le DVD et intitulées June Sessions nous formâmes un quartet avec un second percussionniste, Gilles Rollet. Enfin le DVD inclut le film expérimental (sous-titré en français, anglais, hébreu et japonais) que je réalisai avec Bernard Mollerat en 1974 et qu'encensèrent plus tard nombreux critiques américains.
Nous avions 22 ans et une terrible envie de mordre. Les titres du disque et des quatre pièces formaient une seule phrase : Défense de / crever / la bulle opprimante, / Le réveil / pourrait être brutal. Avec la réputation dont jouit l'album (surtout à l'étranger !) il est probable que cette édition limitée sera aussi vite épuisée que le furent le vinyle original et sa réédition en CD.

P.S. pro : je ne sais pas à quels journalistes envoyer cet ovni. Qui parmi eux s'intéresse aujourd'hui aux rééditions en vinyle de disques des années 70 ?

mercredi 9 octobre 2013

Miaulique


Sacha Gattino, avec qui je termine le design sonore de l'exposition Le Gameplay s'exhibe qui ouvrira ses portes le 22 octobre à La Cité des Sciences et de l'Industrie et dont le site perso révèle quantité d'informations et de liens précieux sur le son et les instruments de musique inhabituels, me suggère de commander Miaulique, un livre sur les musiques de chats accompagné d'un précieux CD.
Je possédais déjà Le mystère des chats peintres publié chez Taschen, acquis sur les conseils d'un autre ami de la gente féline, Jean-Pierre Mabille. J'imagine qu'ils avaient respectivement partagé leurs studieuses lectures avec Cache-cache et Poussière comme je le fais moi-même avec Scotch à qui je lis régulièrement l'Histoire féline de Cocteau sans que cela lui fasse ni chaud, ni froid. Ne serait-il pas concerné par les titres de noblesse ? Chez déjà chat !
Miaulique, le livre rédigé par Jean-Claude Lebensztejn (Le Passage) est illustré de fabuleuses peintures et estampes où se reconnaissent, entre autres, Téniers, Jan Brueghel, Watteau, Grandville, Halsman, et autant d'orchestres où figurent des chats. S'intéressant à la musique féline en littérature comme dans les arts, l'auteur cite Mme d'Aulnoy et les frères Grimm, Hoffmann, Champfleury et Paradis de Moncrif ! La comparaison du miaulement avec la dissonance est injuste (à moins que l'injustice s'exerce envers la dissonance !) et les malheurs qu'on leur a fait subir dans les foires et sur les terrains vagues sont évidemment atroces et débiles. C'est joué avec le Diable. Je sais, Nicolas, nous avons fait tourner des chats par la queue comme des rhombes une nuit de grand vent, mais ce n'était qu'en rêve ! Le passage à l'acte est une ligne jaune que l'on ne franchit pas, même sur des pattes de velours. J'ai souvent enregistré ou mimé des chats dans mes créations et pour Crasse-Tignasse je chantais "Miaou Miaou Mi, Miaou Miaou Miac" sur les cendres de Pauline et les allumettes.
Si vous trouverez quelques partitions, j'ai un petit faible pour le CD accompagnant cette "fantaisie chromatique". D'Adriano Banchieri (1608) à Paul Whiteman (1928) le Concert miaulique est un ravissement. Un duo de Leonardo da Vinci, le duo des chats de Rossini qui n'est pas de lui mais de l'Anglais Robert Lucas de Pearsall dit G. Berthold, l'autre duo miaulé de Ravel dans L'enfant et les sortilèges, une Berceuse de Stravinsky, Felix The Cat de Whiteman avec Bix Beiderbecke et Franky Trumbauer, un Capriccio de Farina, Kitten on the Keys de Zez Confrey... Un très joli cadeau pour quiconque pense qu'une maison sans chat est comme un violon sans âme !

mardi 8 octobre 2013

Le silence gratte où ça vous démange


Minuit l'heure du crime. Je profite du calme du soir pour poser Sounds of Silence sur le tourne-disques. L'objet est conceptuel. Un sticker jaune barre la pochette de Simon & Garfunkel comme une voie sans issue sur l'autoroute musicale. Vingt-neuf plages de silence se succèdent sur les deux faces du 33 tours 30 cm réalisé par Patrice Caillet (auteur du livre Discographisme récréatif), Adam David et Matthieu Saladin. C'est plutôt le Périphérique une nuit où les services d'entretien ont fermé toutes les issues. Ça tourne en rond, mais ça avance tout de même et ça travaille. Non, vous n'entendrez pas 4'33" de John Cage conçu pour la scène. L'anthologie rassemble exclusivement des enregistrements dont les auteurs sont Andy Warhol, John Lennon, Maurice Lemaître, Sly & the Family Stone, Robert Wyatt, John Denver, Whitehouse, Orbital, Crass, Ciccone Youth, Afrika Bambaataa, Yves Klein, etc. Aux imperfections des supports originaux le vinyle ajoute les siennes. Il révèle une variété inouïe, c'est le cas de le dire, de manières de concevoir le silence : performative, mémorielle, politique, critique, abstraite, poétique, cynique, farceuse, technique, promotionnelle, absurde, indéterminée. À la première écoute je me laisse aller sans savoir qui se tait. C'est reposant. À la seconde je suis les notes de pochette. Les circonstances dessinent une histoire de la production discographique à travers ses silences. C'est dense et prenant. Ça piquotte. Ça craquotte (coprod. alga marghen - Sound-Houses/FRAC Franche Comté - Incertain sens).

lundi 7 octobre 2013

Non, je ne suis pas journaliste


Non, je ne suis pas journaliste. Mais que suis-je alors pour tenir cette chronique quotidienne depuis 9 ans, soit près de 2700 articles au compteur. Et quid des autres casquettes qui me coiffent un jour sur l'autre ? Les véritables journalistes ont coutume de m'affubler du terme de touche-à-tout, je préfère quand les flatteurs ajoutent "de génie" pour que leur qualificatif n'apparaisse pas trop dépréciateur. Il est certain qu'après quarante ans d'activité, vivre de mon travail atypique peut laisser penser aux sceptiques qu'il doit tout de même y avoir quelque chose de bien dans ma musique bizarre ou mes innommables créations !
J'adore la réponse de Jean Cocteau qui en face de profession écrivait "sans (toutes)". Suis-je vraiment cinéaste pour ne repasser à la réalisation que tous les vingt ans ? Écrivain pour n'avoir écrit que deux romans ? Producteur pour n'avoir jamais produit que mon travail ou celui de mes proches ? Difficile d'en dire autant de mon travail sonore. J'ai composé plus de mille œuvres, publié des dizaines d'albums, composé la musique de centaines de films, CD-Rom, sites Internet, œuvres interactives, spectacles, etc., et réalisé un nombre incalculable de travaux aujourd'hui assimilés au design sonore. En octobre 2009 j'avais rédigé un billet d'autosatisfaction intitulé Orgueil, histoire de me remonter le moral dans un moment de doute ? Ou au contraire, comme aujourd'hui, soulagé que les affaires reprennent ! Je ne manque jamais de travail, mais parfois les projets rémunérés ou les retours sur investissement se font attendre.
En tout cas, je ne suis pas journaliste. Encore que Cocteau, toujours lui, parlait de poésie de journalisme comme il disait poésie de cinéma ou de théâtre. Peut-être en avais-je assez de lire des inepties ou simplement rien du tout sur les sujets qui me passionnent ? J'évite ce dont tout le monde parle et que les pros traitent avec zèle, à moins d'avoir un point de vue personnel ou différent, et n'écris que lorsque l'inspiration se présente. Si je passe trois heures par jour à tenir ce journal extime en tentant d'être le plus sincère possible c'est avant tout pour transmettre à mon tour ce qui me fut légué par mes maîtres et par la vie expérimentale que j'eus la chance de mener jusqu'ici. À mon âge partager est devenu plus indispensable que jamais. Après avoir accumulé tant de trésors je sais maintenant que je n'aurai plus le temps d'en profiter. Relire ma bibliothèque, réécouter ma discothèque, revoir tous les films... J'ai gardé des vêtements que je ne remettrai jamais, conservé des machines que je ne rebrancherai pas... Donner est aussi agréable que recevoir.

Photo © Gérard Touren

vendredi 4 octobre 2013

À l'ombre de la République


Sur Médiapart Sophie Dufau a très bien couvert le documentaire de Stéphane Mercurio, À l'ombre de la République, lors de sa sortie en salles. La parution en DVD des films reste une activité mal rapportée par la presse tant généraliste que spécialisée. Aussi, quand l'occasion se présente, c'est à ce moment que ma chronique prend son sens.
Les Éditions Montparnasse publient donc en DVD le film de Stéphane Mercurio dont j'avais déjà évoqué le film sur son père, le dessinateur Siné, Mourir ? Plutôt crever ! Son travail sur l'univers carcéral et psychiatrique est agrémenté d'un entretien, d'un petit court-métrage avec Zazie et d'une longue émission radiophonique avec le contrôleur des prisons Jean-Marie Delarue qui lui a permis d'entrer dans ces lieux fermés rarement visités. Le CGLPL, Contrôle Général des Lieux de Privation de Liberté, est de création récente. La réalisatrice n'a pas eu le droit de filmer dans un commissariat, mais elle a réussi à suivre une quinzaine de contrôleurs à la maison d'arrêt de femmes de Versailles, l'hôpital psychiatrique d'Evreux, la centrale de l'Île de Ré et la nouvelle prison de Bourg-en-Bresse.
Révoltant est le sentiment qui ne vous quittera plus, du début à la fin. Si les longues peines ont dû commettre de graves délits, souvent avec mort d'homme, mais pas obligatoirement, leurs conditions de détention sont indignes d'une société qui prétend les leur infliger pour les rééduquer. Pendant leurs longues années d'emprisonnement les condamnés sont abandonnés à leur sort. Ils sont surexploités par des sociétés qui ont signé des contrats avec l'État, humiliés par des gardiens inhumains ou simplement livrés à une solitude qui ne signifie plus rien avec le temps. Après quinze ans leur réinsertion paraît une illusion. La prison telle qu'elle est pratiquée ne fait que créer des fauves, quand le suicide ne présente pas la seule porte de sortie envisageable. Ne croyez pas tout savoir pour avoir lu ces lignes, il faut le voir pour le croire. Les couleurs vives dont on a repeint les murs cachent une misère d'un autre siècle et la justice de classe éclate à l'écran.


Le contrôle de la maison d'arrêt de femmes de Versailles révèle le fait divers où son directeur vécut une histoire d'amour avec une jeune détenue, appât du gang des Barbares. Les privilèges des unes alimentèrent la colère des autres. Comme pour ceux qui témoignent à la centrale de l'ïle de Ré il leur aura fallu du courage pour parler à visage découvert au risque de représailles. Mais qu'ont-ils ou elles à perdre encore ? Perdre les quelques euros gagnés pour des dizaines d'heures de travail ? Passer au pain sec et à l'eau ? La chambre d'isolement ? La France a aboli la peine de mort, mais les punitions qu'elle inflige à ses délinquants est aussi indigne de la morale qu'elle prétend défendre. Stéphane Mercurio fait œuvre de salut public.

jeudi 3 octobre 2013

Au quart de tour


Jouer ensemble sans concertation exige une gymnastique schizophrénique consistant à écouter en même temps que l'on s'exprime. L'improvisation libre, que j'ai toujours préféré appeler composition instantanée, devrait autoriser d'aborder tous les genres, styles, mélodies, rythmes, etc. Toute association de sons devrait être possible comme dans une conversation entre convives bienveillants, et encore... Car les conflits ne sont pas interdits dès lors que le résultat global en bénéficie. Il s'agit donc de réduire au plus court le temps entre la composition et l'interprétation, et ce, sauf solo, sous forme collective ! Comme dans la vie, des relations d'amitié se tissent, faisant fi des divergences d'opinion puisque seule la résultante des forces nous importe. Il est inévitable alors de rattraper des balles au vol même lorsque les coups sont tordus. Par goût, de mon côté comme dans tout ce que j'approche, je cherche toujours à être complémentaire plutôt que redonder en suivant le mouvement !
Si néanmoins à La Java je sous-jouais pour intégrer mes sons orchestraux au subtil jeu harmonique du pianiste Benoît Delbecq (à la trompette, clin d'œil à Bernard Vitet, sur la photo de Gérard Touren © 2013 !), quelques jours plus tard au Triton nous préférions composer de courtes pièces instantanées nous obligeant à entrer dans l'ambiance de chacune avec une promptitude vertigineuse. Il arrive que l'on commence tous ensemble, mais une ou deux secondes suffisent à changer son fusil d'épaule en entendant le premier son produit par un camarade. J'écris entendre car je ne suis pas certain que nous écoutions, préoccupés par ce que nous jouons nous-mêmes. Suivre plusieurs discours simultanément tandis que l'on joue soi-même exige une concentration à la fois excitante et épuisante. Le saxophoniste alto Antonin-Tri Hoang et le violoncelliste Vincent Segal réagissaient au doigt et à l'œil grâce à leurs oreilles dressées dans notre univers nocturne où j'enchaînai piano préparé, sons de la banquise, trompette à anche et transe rythmique. Sur cette quatrième et dernière pièce nous rejoignirent la chanteuse Élise Caron se servant de son extinction de voix comme en aïkido et le percussionniste Edward Perraud jonglant avec ses cymbales en saltimbanque, trait commun à nous tous.

mercredi 2 octobre 2013

Art Sonic renouvelle le quintette à vent


En musique classique, le quintette à vent est un ensemble de musique de chambre composé d'une flûte, d'un hautbois, d'une clarinette, d'un cor et d'un basson ou d'un autre instrument de chaque famille : piccolo, cor anglais, clarinette basse... Son répertoire s'est particulièrement développé au XXe siècle avec ce que l'on a coutume d'appeler la musique contemporaine. Mais que signifie ce terme ? La réponse est on ne peut plus simple : qui est de notre temps. Or il existe tant de temps concomitants que selon les milieux sociaux le terme pourrait aussi bien s'appliquer aux pires variétoches que déverse la télévision qu'aux recherches artistiques les plus pointues. Sous ma frappe il s'agit évidemment de souligner la chronicité la moins formatée, soit une démarche qu'il serait plus juste de qualifier d'anachronique ! Le serpent se mord la queue. Le serpent est l'ancêtre du tuba, mais il n'a rien à faire dans ce quintette. Alors ?
Alors Cinque Terre, le premier album de l'Ensemble Art Sonic, est un pur ravissement. D'abord parce qu'il ne suit pas la mode, ni celle des cénacles de la musique contemporaine officielle, ni la petite boîte étroite dans laquelle les marchands voudraient enfermer les jazzmen. Leur musique inventive ne craint ni un certain néoclacissisme impressionniste, ni la musique répétitive des minimalistes américains, ni les recherches de timbres héritées de leur travail sur le souffle assisté par ordinateur. En concert le flûtiste Jocelyn Mienniel et le clarinettiste Sylvain Rifflet poursuivent leurs recherches sur la spatialisation avec leur orchestre acoustique pour lequel ils composent ou pour lequel ils adaptent des pièces de leurs amis, ici Xiasme, le tube d'Edward Perraud, et Herbes luisantes d'Antonin-Tri Hoang qui a d'ailleurs joué le rôle de conseiller musical pour le CD (label drugstore malone). La virtuosité ne cède jamais le pas devant la sensibilité que développent les interprètes, unis dans le son comme les cinq doigts de la main. Jeu de mains, jeu de vilains. Ceux-là ont mis les doigts sur toutes les clefs pour qu'aucune serrure ne résiste à leur fougue. Si j'ai souvent évoqué avec enthousiasme le travail de Mienniel et Rifflet dans cette colonne voilà qui donne très envie de découvrir les autres facettes du hauboïste Cédric Chatelain, du corniste Baptiste Germser et de la bassoniste Sophie Bernado. Leur prestation en public m'avait enchanté. Leur disque n'a pas quitté la platine de la soirée, au point que j'ai attendu minuit passé pour poser sur le tourne-disques la réédition de Défense de qu'un transporteur avait livrée dans l'après-midi.
Wah Wah Records vient en effet de represser en vinyle mon premier 33 tours (1975) agrémenté de mon premier film, La nuit du phoque (1974), et de six heures de musique de Birgé Gorgé Shiroc sur un DVD offert en bonus ! Il est tard, on en reparle bientôt, comme des chansons de Michèle Buirette avec Max Robin, Moïra Montier-Dauriac et Lucien Alfonso que je continue d'enregistrer demain...

mardi 1 octobre 2013

Fulgurance des défilés


En allant assister au défilé du couturier Issey Miyake j'avais une photo en tête pour y avoir pensé l'an dernier après la bataille. L'armée de snipers aux objectifs gros comme des bazookas a très peu de temps pour shooter les mannequins anorexiques qui arpentent le long et étroit podium déroulé entre deux gradins où des centaines de spectateurs les imitent avec leurs smartphones ou leurs caméras. J'en suis cette année. Si le placement des invités prend une bonne heure le défilé ne dure que quelques minutes. Envoyez c'est pesé. Poids plume. Les voiles s'envolent.


Sous la houlette du directeur artistique Roy Genty, le musicien japonais Ei Wada du groupe Open Reel Ensemble transforme une douzaine de vieux téléviseurs Braun reliés à des enregistreurs vidéo guidés par ordinateur pour constituer une sorte d'immense pad de synthétiseur lui permettant d'accompagner musicalement la présentation de la nouvelle collection printemps-été. Il utilise les propriétés électrostatiques des écrans cathodiques pour composer de petites mélodies minimalistes ou des rythmes en contrôlant des samples à raison d'un par écran. Son Braun Tube Jazz Band est placé au bout du podium, là d'où apparaissent les filles...


Je me demande chaque fois pourquoi la plupart des couturiers n'engagent que des mannequins filiformes qui font mal à regarder tant elles ont du mal à marcher. Pensent-ils sérieusement que ces cintres sur pattes mettent en valeur leurs créations ? Il me semble qu'une variation de formes permettrait mieux aux femmes d'imaginer à quoi ressembleront les vêtements sur elles. La légion de photographes amateurs en embuscade à la sortie du chapiteau dressé dans le Jardin des Tuileries ne s'y trompe pas, mitraillant les spectateurs élégants aux tenues les plus originales.