Comment la critique cinématographique peut-elle s'égarer à ce point ? La nouvelle cinéphilie semble se baser sur les émois d'enfance des journalistes au lieu de se délecter de l'histoire du cinéma. Le déplacement s'est exercé de cet obscur objet du désir à celui du sujet qui se conjugue à la première personne du singulier quand la convention n'impose pas le pluriel. Le cinématographe s'est effacé devant la plasticité des images et les contes démonstratifs. Les évocations poétiques sont remplacées par les effets spéciaux. La mythologie a cédé la place au matraquage publicitaire. On gobe Eastwood ou Spielberg dont l'idéologie nauséabonde n'a d'égal que leur conformisme. On encense Woody Allen et l'on ignore Albert Brooks. Les auteurs qui se risquent à l'expérimentation pour retrouver la magie du cinématographe sont marginalisés. Notre époque ne supporte le radicalisme que lorsqu'il est marchand ou qu'il se marginalise lui-même dans des sphères élitaires.
Quelques bonnes surprises parmi d'autres... L'Italien Paolo Sorrentino (Le conseguenze dell'amore, L'amico di famiglia, Il Divo, This Must Be The Place, La grande bellezza) est taxé de maniérisme stérile alors qu'il est l'un des rares à s'interroger sur le rapport son/image et à intégrer les expressions audiovisuelles populaires à des montages savants. On se repaît de la sinistrose répétitive d'un Hanecke en passant à côté du Grec Yórgos Lánthimos (Canine, Alps) dont chaque cadre est à la mesure de son sujet. Dans un registre plus classique Susanne Bier (The One and Only, Brothers, After the Wedding, Things We Lost in the Fire, Revenge, Love is all you need) continue à filmer ses psychodrames ou comédies sans qu'on y fasse attention ; le succès de la comédienne Sidse Babett Knudsen, Birgitte Nyborg dans Borgen, ouvrira peut-être une porte à la réalisatrice danoise. La morgue incisive de Guillaume Nicloux (Le poulpe, Une affaire privée, Cette femme-là, La clef, Holiday, La religieuse) rappelle le Mocky des meilleurs jours. On pourrait repérer une constante chez tous, une sorte d'euphorie qui rejette les lamentations de ceux que la critique encense. Et les comédies potaches d'Appatow ou Wes Anderson n'arrangeront rien à l'affaire. Ce ne sont ici que des pistes. Libre à vous de trouver votre bonheur ailleurs. Au delà d'une résistance joyeuse tous ont en commun la critique de la bourgeoisie et du pouvoir. L'association des deux n'a plus la côte depuis que de "jeunes" universitaires ont pris le pouvoir dans la presse spécialisée. À suivre.