70 novembre 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 novembre 2013

L'inconnu du lac en DVD


Alain Guiraudie dresse un portrait extrêmement fidèle d'un lieu de drague homosexuel en évitant les clichés comme dans tous ses films. Ses origines paysannes lui permettent d'imaginer des personnages sortant heureusement du moule bourgeois. Ses héros sont bûcheron ou vendeur de fruits et légumes sur les marchés. Le rythme épouse les hésitations et les impulsions des garçons, mais la chorégraphie, presque trop élégante, produit une lenteur antonionienne qui me laisse sceptique. Le réel est si insistant qu'on en regrette le monde fantasmé de son fabuleux Roi de l'évasion où l'humour était beaucoup plus présent. Lorsque la passion glisse vers le thriller on saisit encore la force de Guiraudie à tordre le cou de la convention. Aucun de ses films ne laisse jamais indifférent.


En plus du scénario de 88 pages, l'édition en double DVD de L'inconnu du lac offre de nombreux bonus passionnants tels l'interview tendre de Guiraudie par João Pedro Rodrigues, des entretiens, lors du Festival de Cannes où l'équipe de 41 personnes monte sur scène, avec les acteurs Pierre Deladonchamps, Christophe Paou, Patrick D'Assumçao et la productrice Sylvie Pialat évoquant la manière de jouer les scènes de sexe. La genèse de l'affiche, étonnamment censurée à Versailles et Saint-Cloud, est commentée par le directeur artistique Roy Genty. On comprend qu'un pays puritain et hypocrite comme le Liban ait interdit le film ! Les scènes érotiques très crues sont d'une rare sensualité et peuvent paraître très provocantes à certains spectateurs. Epicentre Films offre enfin photos de tournage et scènes coupées, mais aussi le premier court-métrage de Guiraudie, Les héros sont immortels, qui rappelle le style naturaliste des dialogues de L'inconnu du lac.

jeudi 28 novembre 2013

Guilo Guilo


Guilo Guilo, ça chatouille les papilles. Ma maman nous avait invités pour mon anniversaire dans ce restaurant japonais de cuisine inventive situé près des Abbesses, hautement conseillé par mon camarade Sacha Gattino. Le menu unique change chaque mois. Le chef Eijchi Edakuni a beau n'être à Paris que les mois pairs, nous sommes restés scotchés par les parfums subtils de cette soirée inoubliable. Lorsqu'il officie dans ses enseignes kyotoïte ou hawaïenne, son second prend le relais avec maestria. Tandis que je travaillais au Japon j'avais pu constater l'extraordinaire variété de mets les plus exquis. Les sushis et les yakitoris sont l'équivalent de nos sandwichs ou des tapas. Le menu de Guilo Guilo est à 45 euros, comptez 8 euros de supplément pour ses célèbres sushis au foie gras et évitez l'alcool si vous n'en avez pas les moyens car là ça fait très mal...
Il existe d'autres excellentes adresses nippones à Paris comme Kiku ou Kinutoraya 2... Mais lorsque l'on est fan de cette cuisine légère et renversante le plus économique est d'apprendre à la faire ! Il y a deux ans Chloé m'avait offert le livre de Harumi Kurihara paru chez Flammarion, pour une parfaite cuisine familiale. Après avoir noté les ingrédients indispensables, faire ses courses chez K-Mart, rue Sainte-Anne, moins cher que nombreuses épiceries du quartier de l'Opéra.


Le menu du 5 novembre était composé de :
1. Huitre grillée avec algues et sauce sésame
2. Bento avec tofu de crabe aux œufs de lump et wasabi, vermicelles au miso, marron, omelette au saumon grillé, aubergine marinée, tempura aux pistaches, etc.
3. Tempura de morue aux cèpes
4. Sushis de thon gras sauce lie de saké et radis daikon
5. Tofu glacé à la truffe
6. Shabu shabu avec sashimi de daurade sauce Ponzu, bouillon arrêtes de daurade, champignons shitaké, chou chinois, tofu
7. Bol de riz poisson liche poivre caramélisé avec salsifis caramélisés, sésame, algues et légumes racines de lotus
8. Sushi de foie gras
9. Panacotta au marron avec glace au café
Elsa qui a pris les photos n'a évidemment pas noté tous les détails, mais à quoi bon puisque tout réside dans des effluves intraduisibles ? Cela valait franchement le coup d'avoir 61 ans.

mercredi 27 novembre 2013

Coffret DVD/Blu-Ray d'Alain Robbe-Grillet


Il y a deux bonnes raisons d'acquérir le coffret d'Alain Robbe-Grillet. La première vaut pour la qualité des trois premiers films, la seconde pour l'inventivité sonore exemplaire de Michel Fano sur les six premiers. En bonus les savoureuses présentations de Catherine Robbe-Grillet, de son nom de plume Jean(ne) de Berg, célèbre maîtresse du BDSM, et les entretiens avec celui qui fut surnommé "le pape du Nouveau Roman".
Michel Fano, qui incita Robbe-Grillet à passer de la littérature au cinéma, ne trouvera jamais meilleure collaboration pour mettre en pratique son concept de partition sonore. L'organisation des sons (bruitages, musiques, voix) y est musique et fait sens, participant de manière active au scénario, ponctuant et soutenant l'action de manière complémentaire. Il sait jouer des références culturelles ou construire des évocations que chaque spectateur interprète à sa façon. Les sonorités se transforment en une alchimie syntaxique où les filtres et résonances malaxent la matière pour créer un véritable langage accordé avec les fantaisies du réalisateur.
Leurs trois premiers films sont des merveilles : L'immortelle (1963) tourné dans une Istambul aujourd'hui perdue, le chef d'œuvre Trans-Europ-Express (1966), sorte de polar gigogne où l'on sent déjà poindre l'humour et le style bande dessinée à l'époque où Robbe-Grillet écrit L'année dernière à Marienbad pour Alain Resnais, et L'homme qui ment (1968) avec Jean-Louis Trintignant comme le précédent. Malgré ses recherches inventives sur l'écriture cinématographique où règnent le mystère et le rêve, Robbe-Grillet se complaît ensuite dans un érotisme de bazar où le sadomasochisme ne peut que mettre en scène un théâtre régressif en réponse au jeu du pouvoir. Ses faux-semblants ont quelque chose de potache dans cette sublimation de la sexualité. Décors, accessoires et costumes apparaissent désormais pour ce qu'ils sont, des artifices. On pourrait s'en délecter si le rythme n'en devenait monotone à force de vouloir nous faire croire au sérieux de l'entreprise. L’Éden et après (et sa version télé N. a pris les dés..., 1971), Glissements progressifs du plaisir(1974), Le jeu avec le feu (1975), La belle captive (1983), C'est Gradiva qui vous appelle (2006) ne sont que des contes de mille et une nuits dont les acteurs perpétuent des jeux d'enfants terribles où la transgression est plus amusante que provocante. Il n'empêche que nous avons affaire à un véritable auteur qui offre une vision très personnelle de ce qu'il était coutume d'appeler le cinématographe. (Ed. Carlotta)

mardi 26 novembre 2013

Mes dentistes ne disaient rien


Si les dentistes nous disaient qu'il faut évidemment se brosser les dents, aucun ne nous expliquait jamais les supplices que nous allions subir si nous ne respections pas scrupuleusement leurs conseils. Peut-être parce qu'il vient de débuter dans le métier et qu'il n'est pas encore usé, mon praticien me donne tous les détails du pourquoi et du comment je me retrouve sur son fauteuil des heures durant, la bouche ouverte à m'en décrocher la mâchoire, avec dévitalisations, implants et couronnes à la clef. Si j'avais été plus discipliné j'aurais probablement encore toutes mes dents, blanches et jolies. Comme la plaque dentaire se constitue en huit heures il insiste pour que je passe le fil dentaire fluoré (Inava) le soir avant de me laver les dents avec la brosse électrique (Oral B de Braun Professional Care 1000, l'une des moins chères des efficaces) et du dentifrice fluoré (1450 ppm minimum) que je passe déjà chaque matin. Trois secondes sur chaque dent en laissant la brosse faire le travail, trois secondes aussi sur le dessus et trois secondes à l'arrière. Il étaye sa démonstration de petits dessins et répond à toutes mes questions. Sa précision lui fait encore découvrir plusieurs caries qui avaient échappé au précédent, parti sans prévenir exercer en Bretagne.
Aujourd'hui la facture est encore plus salée que les tortures à endurer sur le fauteuil à bascule. La Sécurité Sociale considère que l'on peut vivre sans dents et les mutuelles remboursent scandaleusement peu dans ce secteur de santé. On accuse souvent les dépassement d'honoraires qui montent à trois milliards d'euros quand les bénéfices des mutuelles seraient de 25 milliards. Les miens se dissipent brutalement parce qu'aucun dentiste ne m'a jamais expliqué clairement ce que me réservait l'avenir...

lundi 25 novembre 2013

Radio Campus podcasté


Le podcast de l'émission BŒUF sur Radio Campus dont j'étais l'invité le 2 novembre dernier vient d'être mis en ligne...
Comme c'est une émission sur les musiques électroniques j'avais apporté mon premier enregistrement de 1965, un extrait de la réédition de Défense de en duo avec Francis Gorgé (1975) où je jouais de l'ARP 2600, un radio edit de circonstance de la radiophonie de Crimes Parfaits (1981) et un inédit intitulé Furioso composé en 2000 pour un film qu'Étienne Mineur n'a jamais terminé !
J'interviens de 22'45 à 1h20'... et reprends à 1h42'05" pour une petite improvisation live au Tenori-on !
Le DJ Set est signé BOEUF et Mad:AM, l'animateur est KODH, le chroniqueur Maxime et la réalisatrice Mélanie.

Coucou Bazar, derniers jours


L'exposition de Coucou Bazar de Jean Dubuffet, présentée sous la grande nef du Musée des Arts Décoratifs à Paris, fermera ses portes dimanche prochain.
Des figurants ont enfilé les costumes imaginés par Dubuffet pour le gigantesque tableau animé qu'il composa en 1973. Comme de petits pachydermes, Nini la Minaude, La Simulatrice, Le Grand Malotru ou Le Triomphateur dansent d'un pas sur l'autre devant les figures de bristol d'époxy, de résine stratifiée ou de tartalane amidonnée. Dans les coulisses quantité de dessins, maquettes, costumes et documents audiovisuels accompagnent ce Bal de L’Hourloupe, encore nommé Bal des Leurres. Une salle rassemble les instruments de musique du monde avec lesquels le peintre enregistrait ses improvisations brutes sans connaissance aucune de leurs techniques. Quel ne fut pas mon étonnement lorsque j'entendis en 1970 le disque de La fleur de barbe ! De quoi décomplexer définitivement mes premiers pas de musicien autodidacte... Fâché avec l'institution, Dubuffet avait légué 160 œuvres aux Arts Décos qui est un musée privé. Y présenter Coucou Bazar lui aurait plu. Profitez de l'occasion exceptionnelle de l'admirer et emmenez-y les enfants !

vendredi 22 novembre 2013

Nems Cha Sõ


Devrais-je arrêter d'acheter des Nems pour ne pas penser à Bernard ? Il partageait ce goût pour les boulettes de porc fermenté à tel point que c'était la seule chose qui lui faisait plaisir que je lui apporte à l'hôpital. Continuer à en manger me rend triste depuis qu'il est parti. Je lui coupai en petits morceaux pour qu'il puisse les avaler alors que je n'en fais goulument qu'une bouchée. Il les accompagnait de gorgées de Coca, un drôle de médicament dont la teneur en sucre équivaudrait à du poison si consommé à haute dose. J'en bois parfois pour me réveiller ou faire passer une nausée. En France on appelle erronément Nems les pâtés impériaux alors que ce sont des Chả giò (prononcé tiaï ho), peut-être parce qu'au Nord-Vietnam on les appelle Nem rán ? Le porc fermenté est haché avec de l'ail, du sucre, du sel, du piment... Il est ensuite enveloppé dans de l'aluminium et serré dans du papier avec un élastique, puis conditionné par dix dans un petit filet. Si la date de péremption est évidemment indiquée il n'est pas rare d'y lire une date avant laquelle il est déconseillé de le consommer. Les Nems me font aujourd'hui le même effet que les photographies de mon camarade. L'émotion est trop forte. Impossible de m'habituer à sa disparition. Je me le remémore tel qu'il avait la soixantaine, en pleine forme, plutôt que le vieux monsieur à la barbe blanche des derniers temps. D'autres boiraient à sa mémoire. Chaque bouchée me rappelle les merveilleuses années où nous avons œuvré ensemble et tant de fois refait le monde.

jeudi 21 novembre 2013

Comment lire S.


Fort d'être un livre, S. est d'abord un objet étonnant dont la version sur tablette ôterait le plaisir de le feuilleter comme on tient un trésor entre ses doigts. L'étui recèle le roman Ship of Theseus du mystérieux auteur V.M.Straka. Dans ses marges les annotations des lecteurs qui l'ont emprunté à la Bibliothèque Laguna se sont muées en une conversation qui ajoute un nouveau récit à l'énigme du roman. Des articles de journaux, cartes postales, nappe de restaurant griffonnée, lettres, photographies sont glissés entre les pages. À la dernière se trouve un casseur de code.
Imaginé par le scénariste/réalisateur J. J. Abrams (Armageddon, Mission Impossible 3, Star Trek, Super 8, Star Wars épisode VII, créateur des séries télévisées Alias, Lost et Fringe), mais entièrement écrit par le romancier américain Doug Dorst (Alive in Necropolis, The Surf Guru), S. est un objet ludique, roman à clés dont on ne serait pas surpris qu'il s'agisse du premier mouvement d'une œuvre multimédia avec justement un film à la clé.


Merveilleux cadeau pour Noël, l'objet a un avantage, son prix modeste au regard du travail qu'il a exigé (28€), et un inconvénient, il n'existe pour l'instant qu'en anglais. L'éditeur Michel Lafon annonce la sortie de la version française pour le 9 janvier (24€), mais c'est alors fichu pour Noël !


Je me suis demandé comment lire S. tant la conversation des jeunes lecteurs dans les marges du roman sont prenantes. Ça tricote sévèrement. Il semble que le meilleur moyen consiste à lire Ship of Theseus sans s'en préoccuper, puis de le reprendre depuis le début pour une nouvelle aventure avec les jeunes protagonistes qui l'ont découvert avant vous. Peut-être faut-il marquer délicatement au crayon les indices insérés avant de les mettre à part, pour ne pas risquer de les faire tomber pendant la lecture et perdre les endroits où ils ont été glissés ? S. rappelle évidemment dans sa conception la correspondance de Sabine et Griffon par Nick Bantock que Peter Gabriel avait plus tard adaptée en CD-Rom. Une chose est certaine, si vous pénétrez son mystère, l'ouvrage d'Abrams et Dorst vous occupera un bon moment !

mercredi 20 novembre 2013

L'ultimatum, en quatrième vitesse !


Parmi les sorties DVD et Blu-Ray à mettre au pied du sapin, deux films de Robert Aldrich plairont à ceux qui aiment les thrillers avec un fond politique. Le premier est un des chefs d'œuvre du genre puisqu'il s'agit de Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse, 1955). Il met en scène Mike Hammer, célèbre détective créé par le romancier Mickey Spillane, aux prises avec une boîte de Pandore des plus contemporaines. Filmé et monté de main de maître, accumulant les scènes d'anthologie, ce polar paranoïaque swingue méchamment, sexy et mortel. Le scénariste A.I. Bezzerides tordit totalement le cou à l'original et Spillane n'aimait pas le film, mais les meilleures adaptations prennent toujours le large, sinon autant lire le bouquin ! Les bonus de Carlotta ne sont pas à la hauteur de ceux de la version publiée par Criterion, mais la copie restaurée est excellente et les sous-titres français...


Même s'il n'est pas aussi réussi que ceux fabriqués maison par/pour Carlotta, le bonus de Twillight's Last Gleaming (L'ultimatum des trois mercenaires) est beaucoup plus intéressant sur le film autant que sur Aldrich. Relativement méconnu, c'est un suspense haletant qui dénonce à la fois les dangers du nucléaire et le cynisme du gouvernement américain face à son échec au Vietnam. Le raid sur le silo 3 est mené par un général prêt à tout, incarné par Burt Lancaster qui a déjà tourné Bronco Apache (1954), Vera Cruz (1954) et Fureur Apache avec Aldrich. Encore marqué par la Guerre froide il préfigure les scandales présidentiels américains. Le montage en multi-écrans (split screen) permet de suivre les actions parallèles en temps réel tout au long de ce terrible dimanche 16 novembre 1981 (le film date de 1977 !).


L'ultimatum des trois mercenaires est souvent considéré comme le dernier grand film de Robert Aldrich, mais c'est rater le fabuleux ... All the Marbles (Deux filles au tapis, 1981) où Peter Falk joue le rôle d'un looser, manager de deux catcheuses ! Nous en avons profité pour nous concocter un festival Aldrich avec, en plus de ceux cités plus haut, d'autres films passionnants tels The Big Knife (Le grand couteau, 1955), Attack (Attaque, 1956), Autumn Leaves (1956), The Garment Jungle (cosigné avec Vincent Sherman qui le termina, 1957), What Ever Happened to Baby Jane? (Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, 1962), Hush... Hush, Sweet Charlotte (Chut... chut, chère Charlotte, 1964), The Dirty Dozen (Les Douze Salopards, 1967), The Legend of Lylah Clare (Le Démon des femmes, 1968), The Killing of Sister George (Faut-il tuer Sister George ?, 1968)... C'est déjà pas mal, même si le réalisateur en a raté quelques autres que je préfère oublier !

mardi 19 novembre 2013

Créativité pour La Revue du Cube #5


Après Empathie, Utopie, Confiance, Après l'humain, le n°5 de La Revue du Cube a pour thème Créativité. J'aurai le plaisir d'en débattre ce mardi soir à 19h30 à Issy-les-Moulineaux, avec Vincent Ricordeau, fondateur de KissKissBankBank, et Dana Filippova, connector à Ouishare, projet collectif qui promeut le développement de l'économie collaborative. Lors du débat retransmis en direct nous devrons répondre à la question de Nils Aziosmanoff : « Connecté au savoir planétaire et assisté par les machines qui pensent, l’homme augmente ses capacités et se libère de nombreuses tâches. Mais entre émancipation et aliénation la frontière est parfois mince, et beaucoup s’inquiètent du fait que la science va plus vite que la conscience. Face à cette accélération, comment favoriser les dynamiques d’intelligence connective et de co-création du monde qui vient ? »
La Revue du Cube (en ligne et gratuite) offre une trentaine de réponses dont la mienne que vous trouverez en bas de ce billet (en cliquant sur Lire la suite). J'ai été particulièrement intéressé par celles de Dana Filippova mettant en valeur l'alchimie de l'intelligence collective, de Pierre de La Coste comparant notre intelligence à celle des hommes préhistoriques (il co-animera le débat avec Aziosmanoff et Eloi Choplin), de la psychothérapeute Marie-Anne Mariot soulignant les risques indispensables que prennent les créateurs, d'Alain Caillé autour du manifeste convivialiste, d'Étienne Armand Amato pointant quelques processus qui mériteraient d'être débattus un par un comme tous les textes des autres rédacteurs... De passionnantes (presque) fictions de Vincent Lévy, Jacques Lombard, Olivier Auber et d'autres complètent le panorama, mais le bouquet final revient à l'entretien avec le philosophe et essayiste altermondialiste Patrick Viveret, conseiller référendaire à la Cour des Comptes, qui remet sévèrement en cause les appellations crise ou révolution numérique, replaçant le débat dans la logique guerrière qui pourrait mener à la catastrophe si l'humanité n'apprend pas à vivre ensemble et à mieux s'aimer. Ses réponses sont d'une telle clarté que je recommande son indispensable lecture à tous les camarades qui se demandent comment éviter le pire en visant le meilleur...

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lundi 18 novembre 2013

Réminiscences interactives pour *di*/zaïn #9


Alphabet est définitivement le plus beau et émouvant CD-Rom de cette époque, un vrai jouet vidéo !, twitte Étienne Mineur comme je suis à l'antenne pour le 9ème *di*/zaïn qui a investi La Gaîté Lyrique. Le thème de la soirée, Réminiscences interactives, permet d'évoquer l'histoire des interfaces dans le monde de l'informatique.


À 32'30 Jean-Baptiste Labrune montre que tout ce que nous utilisons aujourd'hui a été inventé entre les deux guerres mondiales. Il fait ainsi défiler avec humour et à propos des interfaces de 1918 à 1977, souvent imaginées pour l'Armée : projection rétinienne de 1945, console SAGE de 1950, des multitouch précédant la souris, la Sensorama, le Sketchpad de 1963, etc. Vers 44'45 Geoffrey Dorne présente quelques tendances actuelles autour de la mémoire et du rêve, et de leur rematérialisation. À moins d'y sauter directement il vous faudra attendre la 52ème minute pour m'entendre présenter Alphabet. La soirée organisée par Les Designers Interactifs voit également défiler Philippe Michel et Daniel Sainthorant, Fabienne Schouler, Rémy Bourganel, Sylvie Tissot, chacun d'entre nous intervenant 10 minutes montre en main. Enfin des étudiants planchent en temps réel sur des questions ayant trait à l'inflation mémorielle et au droit à l'oubli...

vendredi 15 novembre 2013

On nous raconte des histoires


Le sous-titre de Storytelling, le livre de Christian Salmon, était La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits. Son essai, publié en 2007, montre comment la méthode marketing appliquée à la politique consiste à raconter des histoires pour influencer le consommateur ou l'électeur. Mais le storytelling est omniprésent dans nos vies. Il nous fabrique depuis notre naissance. Notre éducation, parentale et sociétale, nous fige dans un moule dont nous ne pouvons nous affranchir qu'après un travail considérable. Le désir auquel nous sommes incapables de répondre nous rend malade, à moins et jusqu'à trouver l'échappatoire, l'histoire d'une vie, de sa propre vie.

En matière de communication nos doutes s'étaient avérés justifiés après le faux massacre de Timișoara de 1989 en Roumanie. Aujourd'hui encore, remettre en question la version officielle du 11 septembre 2001 revient à se faire traiter de complotiste comme si l'incendie du Reichstag en 1933 ou celui de Rome au 1er siècle n'avaient jamais existé. Ils permirent pourtant à Hitler de se débarrasser des communistes et à Néron des Chrétiens. Aux États Unis, le mois qui suivit l'attentat contre les Twin Towers furent votées les lois liberticides du Patriot Act sans que personne n'ose lever le petit doigt. En matière de storytelling, l'arme de distraction massive n'est pas née d'hier. Plus le mensonge et la manipulation sont énormes mieux ça passe. L'invention du Christianisme, ou de n'importe quelle autre religion d'ailleurs, n'est-elle pas une preuve irréfutable de l'ampleur du complot ? Depuis vingt siècles on veut nous faire croire qu'un barbu est mort sur la croix pour tous les hommes et qu'en plus il fut ressuscité. Bel exemple de storytelling servant à contenir la révolte et galvaniser les foules, voire à les exploiter ! Avec la déclassification des archives américaines les insinuations sur la destitution de Mohammad Mossadegh en Iran en 1953 ou l'assassinat de Patrice Lumumba au Congo en 1961 s'avèrent exactes, comme la participation des avions américains le 11 septembre 1973 au Chili contre Salvador Allende, tous fruits des agissements de la CIA. Mais nous avons les mêmes en France...

Nous n'avons pas forcément besoin d'évènements aussi brutaux pour saisir les effets du storytelling. La prétendue démocratie est un autre exemple de leurre dont nous sommes pour la plupart victimes. On voudrait nous faire croire que les dirigeants de la nation sont nos représentants élus. Or nous avons beau glisser systématiquement un bulletin dans l'urne voilà des décennies que rien n'y change. Comme si nous avions le choix ! Comme si les politiques de la droite ou de ce qui est communément appelé la gauche étaient fondamentalement différentes ! Les acteurs jouent simplement à "good cop, bad cop" (le gentil flic et le méchant dans un interrogatoire), mais les deux servent les mêmes intérêts. L'exploitation de l'homme par l'homme est le moteur de nos civilisations. En France on entend que Hollande n'a pas respecté ses engagements, mais bien au contraire, il le fait scrupuleusement, non vis à vis de ses électeurs, mais vis à vis des banques qu'il n'a pas manqué de visiter avant son élection ou des grands patrons qu'il rencontre discrètement régulièrement. L'histrion qui l'a précédé s'est juste fait virer parce que son ego bling bling empêchait de le contrôler suffisamment, mais surtout parce que l'illusion de l'alternance est la clef du succès. Les Américains en savent quelque chose : Républicains ou Démocrates ne changent rien à la condition humaine, les pauvres s'enfoncent toujours un peu plus dans la misère, les écarts avec les riches se creusant chaque jour dramatiquement. La révolte est contenue.

Résumant rapidement, un psychanalyste lacanien m'expliquait que la névrose est le fruit de la charge que mettent les parents sur leur enfant et que celui-ci ne peut assumer. Du désir inassouvi des uns naît le mal-être des autres. Et il nous faudra dans le meilleur des cas de presque toute une vie et un travail considérable sur soi-même pour savoir qui nous sommes vraiment. Car en écrivant parents je pense au poids de la société qui n'agit pas autrement. Nous sommes nous-mêmes des produits du storytelling que la généalogie et la culture nous inculquent. Depuis que nous sommes nés on nous raconte des histoires, et nous les croyons. Nous y croyons parce que nous sommes de bons enfants prêts à perpétuer le récit des vainqueurs, puisque l'Histoire est celle des vainqueurs, de ceux qui survivent et l'écrivent. Il n'existe le plus souvent aucune autre trace. Tout n'est que storytelling. Une gigantesque illusion à laquelle nous ne pouvons répondre qu'en nous posant des questions fondamentales, des questions vitales : quelle vie ai-je véritablement envie de construire ? Quel intime désir m'anime encore sous la montagne de faux semblants que camouflent le progrès, la consommation à outrance, l'égocentrisme, la haine de l'autre, de cet autre qui est en moi et qui accouche du racisme ou du sexisme ? Comment utiliser intelligemment le peu de temps qu'il nous reste à vivre ? Cette question n'a pas d'âge au vu de notre taille infiniment négligeable à l'échelle cosmique ! Quelle histoire vais-je inventer qui soit la mienne et que je puisse partager avec mes semblables sans que l'on m'impose toutes ces fariboles qui n'ont d'autre finalité que m'asservir au modèle dominant ?

Dans son livre Christian Salmon cite le succès des blogs comme exemple de cet engouement pour les histoires. La grande majorité des blogueurs n'auraient d'autre motivation que de raconter la leur. Saurez-vous décrypter la mienne au travers de mes chroniques quotidiennes ? Tout n'est que storytelling. Ne doit-on alors faire confiance à personne ? Même à soi-même ? La mémoire nous joue de sacrés tours. La question est mal posée, car en cherchant à préciser son propre point de vue sans l'imposer à qui que ce soit on s'approcherait d'un équilibre que seule l'écoute permet d'affiner. C'est dans le rapport à l'autre que nous commençons à exister. Le storytelling nous construit, certes ; en prendre conscience permet de nous l'approprier et d'en proposer des variations dont la multiplicité est la garante de notre liberté. C'est lorsque le storytelling est une technique de formatage qu'il devient pernicieux. Penser par soi-même est un acte de résistance, la gageure d'une vie.

jeudi 14 novembre 2013

Lapin aphrodisiaque


J'étais certain qu'un jour ou l'autre on y viendrait ! L'association inattendue des termes renvoie Nabaztag à nos méfaits précédents. En m'envoyant la photo qu'elle a prise lors de son passage hier à Paris, Valérie n'a pas précisé de quelle boutique il s'agissait. Il n'empêche que huîtres, gingembre, ginseng, galanga, bourrache, romarin, basilic, ail n'ont jamais rien prouvé. Certains auteurs prétendent aussi que cannelle, ciboulette et vanille stimulent le plaisir féminin tandis que les hommes ont recours à l'avoine, au céleri, au cordyceps ! Quelques mouches cantharides dorment au fond d'un tiroir depuis 1972 ! Mais un lapin ? Ou alors très chaud, à la moutarde !

mercredi 13 novembre 2013

Improvisations de 1981


Mettre le nez dans les archives pousse à passer le chiffon à poussière sur des trésors dont on ignorait même la nature. D'une lampe retrouvant son éclat sort parfois un génie qui vous susurre un secret à l'oreille. Une photo glissée entre deux pages. Une boîte remplie de petits objets dont la promiscuité indique la proximité. Il y aurait une logique à l'égarement et une autre pour l'épanouissement. Certains souvenirs attendent d'être mûrs pour justifier qu'on les ai gardés si longtemps. Rares sont ceux sans valeur. À creuser consciencieusement les galeries on apprend qu'il n'existe aucun hasard dans la quête du sens. Il suffit de tirer sur un fil pour que la pelote se dévide et délivre son message en son cœur. Certaines trouvailles sont trop intimes pour être partagées. D'autres n'ont d'intérêt que dans l'exposition.
De temps en temps j'ouvre quelques boîtes plates et carrées dans lesquelles sont enfermées des bandes magnétiques. C'était après le fil, mais avant le numérique. Encore faut-il posséder la machine qui sache les lire. Le décryptage n'est pas aussi aisé qu'un livre ou la moindre impression. Mon Revox PR99 ne délivrait qu'un seul des deux canaux. Je l'ai descendu de son piédestal pour l'emporter en réparation. J'ai sorti trois autres magnétophones des placards. Le premier, un A77, diffusait une ronflette de la mort, puissant son sourd et grave écrasant tous ses cousins. Le moteur du second, un B77, refusa d'avancer. Le troisième, un gros Teac 4 pistes, finit par donner satisfaction. Je numérisai cinq bandes avant que ce dernier ne s'emballe. J'eus la très mauvaise idée de tenter d'arrêter les plateaux qui tournaient comme des fous. La forte détonation suivie d'une fumée blanche et d'une odeur de brûlé ne présage rien de bon. Un magnétophone qui ne tourne pas régulièrement laisse figer la graisse qui s'étale et grippe tout. J'ai réussi à terminer mon opération du week-end en empruntant à Olivier un cinquième magnéto, un Revox remis en fonction l'an passé et qui depuis dormait dangereusement sur une étagère.
Résultat des courses, un album d'une durée quasi double, 2h35 inédites d'un duo avec Hélène Sage, fruit de nos premières séances d'improvisation à l'été 1981, juste avant la création du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané. J'ai le plaisir d'y découvrir mon orgue Farfisa Professional que j'utilise en même temps que le synthétiseur ARP 2600 et une des premières boîtes à rythmes Boss. Ce sont les seuls instruments que j'ai jamais revendus, erreur certaine, du moins pour les deux premiers. Je suis également surpris de m'entendre à l'accordéon et à la contrebasse, tentatives totalement oubliées. Le reste de mon attirail est aussi varié qu'une mandoline, un violon, une trompette, un saxophone alto, le petit piano Michelsonne, des effets électroniques, etc. Quant à Hélène, excellente flûtiste et contrebassiste, elle passe allègrement du saxophone ténor à la clarinette basse, souffle dans sa célèbre bouilloire et fait vibrer ses cordes vocales dont elle est devenue depuis une spécialiste reconnue. Quant aux émotions que ces dix improvisations suscitent, je vous laisse le soin de vous les approprier. Elles sont en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org.

mardi 12 novembre 2013

Aheym du Kronos Quartet


Un album du Kronos Quartet est toujours une bonne nouvelle. Même lorsqu'il n'y a pas de grande surprise le choix du répertoire et l'interprétation vivifiante livrent une énergie communicative. La musique de ce nouveau CD est entièrement composée par Bryce Dessner, le guitariste du groupe rock indépendant The National. L'influence des minimalistes y est évidente, mais les déclinaisons récentes que leurs émules développent offrent des variations souvent plus excitantes que les dernières œuvres de Steve Reich dont l'inspiration musicale semble à cours. Les prétextes de Aheym, Little Blue Someting, Tenebre et Tour Eiffel sont néanmoins moins convaincants que le lyrisme qu'elles ont engendré. Si quelques arpèges rappellent le côté guitaristique du compositeur, le rock est rarement convié aux agapes. L'apparition du chanteur Sufjan Stevens, se multipliant sur plusieurs voies comme le quatuor, est un peu fugitive dans Tenebre, mais la fraîcheur du Brooklyn Youth Chorus dirigé par Dianne Berkun envahit puissamment Tour Eiffel, rejoint par Dessner, le percussionniste David Cossin, la pianiste Lisa Kaplan et le trombone Dave Nelson, confirmant le désir de positivité de l'ensemble. Ce trait caractéristique des jeunes musiciens d'aujourd'hui exprime-t-il alors une fuite devant l'entropie qui nous guette ou une volonté délibérée de retarder la catastrophe ?

lundi 11 novembre 2013

Passe-passe chorégraphique au Triton


L'ajout récent d'une seconde salle a donné aux propriétaires du Triton des idées délirantes de spectacles s'appuyant sur les ressources uniques de ce lieu principalement dédié à la musique. Jacques Vivante a imaginé un dispositif qui permet de faire communiquer le son, mais aussi les images d'une salle vers l'autre et réciproquement. Tant et si bien que des musiciens dans une salle peuvent jouer avec ceux de l'autre salle, ou accompagner une chorégraphie interprétée dans la pièce à côté !


Les participants au festival chorégraphique Dodécadanse s'en sont donnés à cœur joie. Vendredi soir, c'était au tour de la chanteuse Élise Caron, du batteur Edward Perraud et des danseurs Marlène Rostaing et Julyen Hamilton de glisser d'une scène à l'autre comme un changement de décor sur le plateau d'un théâtre. Le numéro de jonglage le plus acrobatique revenait aux techniciens contrôlant la lumière et les flux migratoires des coulisses en plus du son et de la vidéo. La partition des musiciens et des danseurs transformait les musiciens en danseurs, les danseurs se servant à leur tour de la voix pour évoquer la difficulté d'être ou commenter l'action. Ce jeu de vases communicants proposait aux spectateurs de chaque salle d'en changer à l'entr'acte. La permutation nous rappelait Lapin chasseur des Deschiens dont le décor représentait un restaurant côté salle et côté cuisine avec le public découvrant l'envers du décor à mi-parcours, la même scène rejouant deux fois.


Bitter Sweets, le CD d'Élise Caron et Edward Perraud paru chez Quark (L'autre distribution), m'avait énormément plu, kaléidoscope de saynètes pop déjantées. Si la chanteuse à facettes est une excellente comédienne, elle joue aussi remarquablement de la flûte. Quant au percussionniste il avale régulièrement son micro contact branché sur une application iPhone dont les sons trafiqués par un vieux KaosPad élargit sa palette orchestrale. Ainsi hameçonné il fait voler ses lignes au-dessus de sa tête tandis que la cantatrice virtuose incarne de multiples personnages, tel Alec Guiness dans Noblesse oblige. Sur scènes, Julyen Hamilton ne dédaigne pas non plus l'humour et Marlène Rostaing virevolte en s'appropriant les surfaces qu'elle rencontre sur son passage. La partie carrée s'improvise alors selon le planning des couples qui se font et se défont.

vendredi 8 novembre 2013

La Porte du paradis en DVD


La revendication de chef d'œuvre incite à la suspicion lorsqu'il s'agit d'œuvres récentes. Les journalistes relayant les services de communication annoncent toujours le dernier disque, le dernier film d'un auteur comme son meilleur, pour rattraper le coche qu'ils ont raté quelques années auparavant, d'où une forte déception qui ne profite nullement aux artistes encensés indûment dans l'instant. Suscitée par une même démarche mercantile, l'annonce de versions cinématographiques intégrales jette un doute sur leur opportunité. Il existe pourtant des films dont la version remasterisée et rendue à sa forme avant charcutage rend justice à son réalisateur. Qu'à l'instar de la version disparue de 9 heures des Rapaces (Greed) d'Eric von Stroheim on ne regrette pas éternellement ce que les diktats de production ou de distribution ont saccagé. La version Redux d'Apocalypse Now de Francis Ford Coppola fait partie de ces joyaux qui prennent leur véritable sens seulement après qu'une version conforme aux souhaits du réalisateur ait enfin été éditée.
Il en est de même avec La porte du paradis de Michael Cimino que publie Carlotta en Blu-Ray ou double DVD (avec 2 heures de bonus dont entretiens avec le réalisateur, les comédiens Kris Kristofferson, Jeff Bridges, Isabelle Huppert et David Mansfield). Le cadeau de Noël consiste en un coffret prestige accueillant en plus le CD de la bande originale, trois livrets (l'original de la première du film, un portfolio de photos de plateau, un essai de Jean-Baptiste Thoret et de nombreuses archives) et enfin la Bible du tournage, reproduction du script personnel de 288 pages de Michael Cimino avec annotations et dessins (sortie le 20 novembre) ! En 1980 j'étais resté sur ma faim et c'est seulement dans sa version restaurée que trente-trois ans plus tard l'œuvre m'est apparue dans toute sa beauté, à la fois plastique et critique. Entre temps la voix off et les flashbacks ont sauté au montage, et le film dure maintenant 216 minutes.


La Porte du paradis est un western qui ne ressemble à aucun autre. Il faudrait revenir à John Ford pour y déceler les racines brechtiennes, d'autant que le film de Cimino, digne héritier de Visconti, est avant tout une œuvre marxiste. Les États-Unis ont la mémoire courte. Peu de films évoquent la lutte des classes qui fut chaque fois réprimée sauvagement, ici en 1890, plus tard en 1929 (voir Les raisins de la colère). La grande bourgeoisie valse dans l'ignorance de ce que vit le reste de la population ; les riches éleveurs de bétail ne peuvent accepter l'immigration récente de pauvres cultivateurs venus d'Europe de l'Est. Les accusations de voleurs de bétail rappelle douloureusement le racisme qui renaît dans notre propre pays aujourd'hui. On les taxe d'anarchistes, comme si c'était le diable.
Si Christopher Walken, Isabelle Huppert, Jeff Bridges, John Hurt, Joseph Cotten et le reste de la distribution sont parfaits, le rôle principal tenu par le fade chanteur folk Kris Kristofferson semble une erreur de casting, insignifiant bémol au milieu du maelström général.
Le portrait impitoyable de l'Amérique ne pouvait plaire au tenants du storytelling du pays de la libre entreprise. Cimino déterre les racines du mal sur lesquelles poussera le capitalisme le plus cynique. La semaine dernière, nous regardions They Live de John Carpenter où la manipulation des esprits est des plus explicites. Le film fut assassiné. Les collabos ne pardonnent jamais à ceux qui crachent dans la soupe. Dans son remarquable texte figurant dans l'un des livrets Jean-Baptiste Thoret rappelle que Lucas et Spielberg ont transformé Hollywood en parc d'attractions juteux, faussant le jeu à la manière des fast-foods qui ont gommé le goût. Le film fut une catastrophe financière. Cimino, cinéaste de la mélancolie, a trop longtemps laissé les aveugles mépriser son travail. En remontant le film il l'a sorti de son statut maudit, érigeant un manifeste où les ambiguïtés du passé dessinent un présent qui semble inextricable à qui ignore les mécanismes fondateurs de l'entropie.

jeudi 7 novembre 2013

Retour à l'envoyeur


Que l'on m'envoie un disque, un film ou un livre on préférerait toujours ne susciter que des réactions dithyrambiques voire inconditionnelles. Et moi donc ? Comme Diaghilev s'adressant au jeune Cocteau un soir Place de la Concorde je rêve d'être étonné. Et à mon tour de devoir étonner lorsque mes œuvres sont sur la sellette. Pourtant le contenu d'une chronique est moins capital que signifier l'existence de l'œuvre critiquée. Il n'existe rien de pire que l'indifférence. Combien de destinataires font la sourde oreille et ne prennent pas la peine de répondre aux nombreuses sollicitations qui les assaillent quotidiennement ? On les comprend et l'on enrage. Ils sont débordés, les pauvres, assaillis par les propositions que leur poste occasionne.
Dans une chronique les sous-entendus sont parfois plus importants que les superlatifs, encore faut-il savoir les lire ! La critique parle toujours d'abord de celui ou celle qui l'a écrite avant la description de l'objet. Les journalistes qui l'ignorent nous endorment.
Les artistes et autres faiseurs devraient anticiper les réactions de ceux à qui ils s'adressent en connaissance de la production des sollicités... Combien de jeunes artistes ou producteurs envoient leurs disques ou appellent sans s'être préoccupé de savoir qui sont leurs interlocuteurs et ce qu'ils produisent ! Ils perdent à la fois leur temps et leur argent, s'exposant à la déconvenue voire à la dépression. Mieux vaut ne s'adresser qu'à quatre ou cinq personnes dont on aime le travail et le leur exprimer tout en suggérant que ce que l'on fabrique vibre en sympathie avec eux. Apprenons à être aimé par ceux et celles que nous aimons et à aimer celles et ceux qui nous aiment au lieu de nous battre contre des moulins à vent ! Jean Renoir prétendait que l'on ne convainc jamais personne qui ne veut être convaincu...

mercredi 6 novembre 2013

Apartheid en Israël


Pendant des années l'opinion internationale pointait l'Afrique du Sud pour sa politique d'apartheid. Les temps ont changé. Les noirs ont été remplacés par les pauvres, ce sont évidemment les mêmes, mais la séparation des populations n'est plus aussi patente. Aujourd'hui on ose à peine fustiger l'état colonialiste israélien dont la politique ne vaut guère mieux. Les lois n'y sont pas les mêmes pour les Israéliens et les Palestiniens. Deux poids deux mesures. Depuis des décennies Israël arrache orangers et oliviers pour installer ses colons sur des terres volées aux paysans palestiniens. Le terrain de la violence est le seul qu'envisage l'État colonialiste. La communauté internationale se tait de peur d'être assimilée à un vieil antisémitisme que la culpabilité du génocide des années 40 entretient malgré les exactions inimaginables auxquelles se livre l'armée israélienne. Un jour le nom de Tsahal sera pour tous synonyme de honte. À Bil’in en Cisjordanie les villageois défendent pacifiquement leurs terres sur lesquelles ne cesse de s'étendre illégalement une colonie d'immeubles blockhaus. Les soldats israéliens leur tirent dessus avec des lacrymogènes, avec des balles réelles.
Emad Burnat s'est acheté une petite caméra vidéo pour filmer sa famille. Il capte le quotidien de ses proches parqués chez eux, spoliés par une politique inique et absurde. Sa caméra vole en éclat. Au début du film il expose ses 5 caméras brisées. Il en est à sa sixième. Certaines lui ont sauvé la vie, d'autres ne l'ont pas empêché d'être gravement touché. L'Israélien Guy Davidi, qui coréalise le film, pousse Emad Burnat à être le plus personnel possible. Les reporters viennent seulement le vendredi pour filmer la manifestation, chaque fois réprimée dans le sang. Burnat tourne aussi les autres jours. Il suit les progrès de son plus jeune fils qui prend conscience année après année de l'horreur de la situation. Burnat filme tout. Il filme la rage, il filme la mort en direct, il filme les sourires des enfants parce qu'il faut vivre. Comme eux nous sommes partagés entre la tristesse et la colère.


J'ai hésité à regarder le DVD que publie blaq out. On sait tout. On devine le reste. De nombreux films ont été projetés, tant de témoignages qui n'ont rien changé à cette situation terrible. Par le truchement du home movie et grâce à l'opiniâtreté, Burnat et Davidi réussissent à montrer un quotidien bouleversant, exemplaire, et malgré tout plein d'espérance. Cinq ans de lutte pour que les bulldozers israéliens arrachent enfin les barbelés, mais plus loin du village s'érige un haut mur de béton, un mur de la honte de plus, qui ghettoïse les Palestiniens. Ces "Mensch" ont choisi de vivre debout en prônant la paix avec courage malgré tout ce qu'ils ont subi. Le cinéma peut ouvrir les yeux de ceux qui ne pourront plus dire qu'ils ne savaient pas. En toute sensibilité et intelligence il participe à la résistance.


P.S.: Emmy Award du meilleur documentaire...

mardi 5 novembre 2013

Vous prendrez bien une tranche de gâteau pour mon anniversaire ?


Pour mon anniversaire un joli cadeau m'est tombé du ciel, heureusement de pas trop haut, mais d'assez loin tout de même, puisque la cassette était posée sur la plus haute étagère des archives et qu'elle date de 1987. Sur la jaquette était écrit ECONOMIA en lettres capitales. Vérification faite, il s'agit bien des éléments de la musique que j'avais composée pour La Saga des Millar, un gigantesque spectacle audiovisuel immersif réalisé par Michel Séméniako pour La Cité des Sciences et de l'Industrie. La production avait duré trois ans et avait fini par ruiner Robert Boner (qui avait produit Sauve qui peut la vie avec Godard), miné par les délais de paiement considérables qui en mirent d'ailleurs plus d'un sur la paille. En fait, à son lancement, La Cité des Sciences prit tant de temps à payer tous les gagnants des appels d'offres que tous, ou presque, déposèrent le bilan, les agios bancaires avalant leurs bénéfices et au delà, car il leur fallait bien régler les salaires et, surtout, les fatales charges sociales. L'histoire est très immorale, les meilleurs y laissant leur peau puisqu'ils avaient remporté les concours. Le sujet de notre spectacle étant l'économie on appréciera ce mauvais tour à sa juste valeur. En 1778, John Millar, bien avant Marx, soutient que les rapports sociaux (y compris les relations entre les sexes !) sont fixés par les systèmes économiques ! Depuis nos mésaventures le service comptable de La Cité a fait de considérables progrès ; je me souviens que c'est la seule fois de ma vie où je fus contraint d'aller au Prud'hommes avec le reste de l'équipe pour être (partiellement) payé.
Je ne me rappelle pourtant que les bons souvenirs. Le plaisir que j'eus de travailler pendant de longues années avec Michel et sa compagne, Marie-Jésus Diaz, avant que l'une et l'autre retournent à la photographie, furent sans mélange. Aussi je découvre avec joie la musique dont il ne me reste que cette copie sur cassette. Je n'ai évidemment pas le mixage définitif qui se jouait en multiphonie avec les dialogues et les bruitages, sous les écrans qui entouraient également le public. Le spectacle de 55 minutes était diffusé toutes les heures.



Comme les éléments sonores sont séparés j'ai réalisé hier un petit montage, remix d'aujourd'hui d'une musique enregistrée il y a plus de 25 ans. J'y joue du synthétiseur, de l'échantillonneur, de la percussion, de la flûte et je chante ou utilise un vocodeur ! C'est là mon petit cadeau, j'adore les surprises, car j'avais totalement oublié ce que j'avais composé. Je le partage avec vous comme un gâteau. Jean Renoir disait qu'il ne tournait pas des tranches de vie, mais des tranches de gâteau !

N.B.: si le player n'apparaît pas, parce que vous êtes par exemple sur tablette, vous pouvez aller écouter cette pièce inédite de 19 minutes, La Saga des Millar, sur l'album Musique appliquée du site drame.org, c'est le 33ème index, le dernier. Que cela ne vous empêche pas de glaner parmi la centaine d'heures en écoute et téléchargement gratuits répartis en 49 albums inédits ou même en aléatoire sur la Page d'accueil.

lundi 4 novembre 2013

Télérama sans télévision


Je ne regarde plus la télévision depuis une dizaine d'années. J'ai rendu mon décodeur à Canal. Je regarde des films sur grand écran que je choisis en dehors des modes. Mais je suis toujours abonné à Télérama. Pourquoi ?
Peut-être est-ce le dernier lien qui me connecte à la culture populaire, entendre un picorage généraliste en rapport avec l'actualité, un peu comme les quelques pages à la fin de Libération. J'arrête ma lecture de Télérama avant les programmes, mais je ne me suis pas encore résolu à me désabonner. Comme si j'allais me marginaliser en ne lisant plus que sur écran informatique. Les pages culture du Monde Diplomatique sont catastrophiques et Mediapart s'appuie essentiellement sur ses blogueurs pour alimenter la sienne. Les magazines culturels sur lesquels je suis tombé jusqu'ici ne répondent pas à cette universalité de surface qui m'alimente depuis que j'ai appris à lire. Ils sont souvent trop spécialisés, le discours universitaire m'énerve ou le manque de perspectives, tant dans le passé que dans le futur, dévoile leur méconnaissance de l'histoire. Il faut aussi que je me résolve à abandonner Les Cahiers du Cinéma qui font fausse route et ne m'apprennent plus grand chose. Les entretiens sauvent heureusement régulièrement toutes ces revues. Quelques lectrices ou lecteurs sauront m'en conseiller que j'ignore ou que j'ai négligées, on peut toujours espérer.

vendredi 1 novembre 2013

Le Jour des Morts


Anna m'a appelé hier soir pour me montrer l'autel qu'elle avait installé dans le restaurant du Triton. Elle se souvient de son premier Jour des Morts au Mexique en 1975 où l'on invite les défunts par des offrandes comme le mole, mélange de piments et de cacao. Grâce aux photos, toute la famille y passe. Anna y a rajouté des amis musiciens disparus comme Elton Dean et Hugh Hopper ou le danseur Pierre Doucin, tous habitués de la salle lilasienne. Cette fête animiste, au croisement des traditions aztèques et de la religion chrétienne imposée par les Espagnols, avait pour but d'apaiser les âmes errantes. À partir des années 20 les gouvernements nationalistes qui avaient eu raison de la révolution de 1910 la relancèrent pour unifier le pays comme avec les films, les chansons, les livres scolaires, etc. Les vieilles recettes pour éviter les débordements sociaux fonctionnent toujours aussi bien. On danse avec les petits squelettes et l'on chante avant de raccompagner les morts le lendemain jusqu'à leurs tombes où l'on déguste avec eux le mole. Et la transe de s'emparer des mangeurs de peyotl.
Cette tradition n'est pas si éloignée d'Halloween, fête celte transformée en opération commerciale, bénéfique aux confiseurs, magasins de costumes et aux dentistes. Comment goinfrer les gamins de bonbons alors qu'aujourd'hui j'en ai douloureusement payé les frais par une séance de torture sur le fauteuil d'un arracheur de dents ? La gourmandise de mes premières années me coûte cette fois deux implants et une couronne. Mon dentiste attentionné me raconte que j'aurais pu éviter toutes ces misères, aujourd'hui grâce à une brosse à dents électrique avec dentifrice fluoré (minimum 1450 ppm) sur tête de brosse ronde matin et soir après les repas, plus du fil dentaire fluoré le soir avant la brosse à dents. Je recracherais bien les trois quarts des saloperies en sucre dont je me suis gavé enfant. Ma mâchoire est encore trop endolorie pour que je sente le goût du mole. Quant à mes morts ils vivent dans mes rêves, l'amour de l'abstraction et la permanence du souvenir étant plus forts que tous les rituels.
À propos des festivités halloweenesques j'aime beaucoup l'article de Thomas Halter dans Investig'Action sur le soft power, "une arme parmi les plus efficaces de l'arsenal diplomatico-propagandiste des grandes puissances impérialistes", manière discrète de mettre le pied dans la porte en promouvant la culture pour imposer tout le reste.