Le pire danger du nouveau film de Riad Sattouf serait de le faire passer pour une comédie rigolote. On n'y rit pas tant que cela, ce qui ne nous empêche pas de regarder Jacky au royaume des filles avec un énorme sourire et quelque soulagement. Le succès des Beaux gosses, chronique hilarante sur l'adolescence des mâles, lui a permis de réaliser ce film gonflé, satire grinçante et spirituelle sur le monde conçu et dirigé par les hommes. Grande lucidité de sa part d'avoir saisi l'occasion de commettre une œuvre barjo et provocatrice comme second long métrage. Car Sattouf ne se contente pas de renverser les rôles, il saupoudre son pamphlet humoristique de grains de sable qui grippe la machine.
Il ne faudrait pas non plus y voir une critique du monde musulman sous prétexte que les hommes y portent la burka, ni une dénonciation du totalitarisme hors de nos frontières. Toutes les religions en prennent pour leur grade et la mise en garde est sévère à l'égard de nos fausses démocraties. En habillant ses mâles de voiles rouges Sattouf donne au film son aspect futuriste et en militarisant les filles il rend intemporel sa transposition critique de notre monde, plus caricatural que le film lui-même. Dans notre pays où le racisme et le sexisme sont loin d'être réglés notons que la question du genre est abordée par deux cinéastes, l'un d'origine syrienne, l'autre d'origine tunisienne.
Certains spectateurs de l'avant-première (le film sort sur les écrans le 29 janvier) le comparent à un Jacques Demy sarcastique. C'est mal connaître Demy qui n'est pas qu'un cinéaste fleur bleue, il rendit enceint Mastroiani dans L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune, traita de l'inceste plus d'une fois, en particulier avec Peau d'âne, transforma Lady Oscar en homme et réalisa des films à l'arrière-fond politique, des Parapluies de Cherbourg à Une chambre en ville. Sattouf a en commun avec lui le goût du conte social, transposant ici Cendrillon au royaume des femmes.


Jacky au royaume des filles a le mérite de ne ressembler à aucun autre film, sauf pour la musique qui banalise la piste sonore. Heureusement, les cadrages et le découpage qui rappellent que Sattouf vient de la bande dessinée, l'excellence du traitement et la qualité de l'interprétation (Charlotte Gainsbourg, Vincent Lacoste, Noémie Lvovsky, Didier Bourdon, Anémone, Michel Hazanavicius, Anthony Sonigo...) lui évitent tout de même la bouillie servie chaque jour aux sujets du royaume. Et le dernier coup de théâtre laisse à chacun le soin de se faire son propre cinéma... Évitant un traitement systématique du renversement des rôles entre hommes et femmes le film caustique de Riad Sattouf permettra peut-être à nombreux spectateurs et spectatrices de s'interroger sérieusement sur l'absurde condition des femmes.