"Nous étions comme deux enfants jouant ensemble, comme le frère et la sœur des Enfants terribles de Cocteau", écrit la poète et chanteuse Patti Smith pour évoquer son ami, le photographe Robert Mapplethorpe. Comment ne pas penser à Jean Cocteau en visitant l'exposition du Grand Palais consacrée à Mapplethorpe ? Sa fascination pour la perfection des corps rappelle celle de Cocteau lui-même pour les sculptures monumentales d'Arno Breker. Et puis il y a des marins, des bites, des fleurs et du latex. Toute l'iconographie gay chère à Kenneth Anger et Fassbinder se retrouve religieusement encadrée. En prenant la photo de son auto-portrait au cran d'arrêt (1983) j'aperçois le reflet d'un gardien, un beau noir comme il les aimait. Plus loin l'éclair de la lame semble s'approcher de Marianne Faithfull (1974) et sur sa poitrine à son tour deux lèvres se réfléchissent.


Si l'exposition présente plus de 250 œuvres de l'artiste new-yorkais mort à 43 ans du Sida en 1989, elle est relativement soft en comparaison des photographies couleurs que j'avais découvertes il y a une vingtaine d'années dans le magazine Nova. Même les textes français des cimaises adoucissent les termes, traduisant cocks par sexes au lieu de bites. Il y en a tout de même quelques unes, mais rien de très choquant. Cela ne profitera ni aux fans de Mapplethorpe, ni aux familles, encore moins aux pudibonds détracteurs d'à poil. L'expo a été expurgée de son Enfer, le S.M. négligé au profit du kitsch chrétien. La plasticité des corps noir et blanc occulte la fascination traumatisante qu'ils pourraient évoquer dans d'autres circonstances.


Les autels de fleurs qui s'étalent en bouquets d'artifices représentent pourtant le sexe des plantes. Tout est donc plus suggéré qu'explicite, malgré les évidences. Les portraits de ses amis sont préservés de ce flou artistique que Mapplethorpe ne pratiquait guère, préférant les contrastes francs sur fond uni : Patti Smith bien sûr, mais aussi Lisa Lyon, Milton Moore, Susan Sarandon, David Hockney, Philip Glass et Bob Wilson, Arnold Schwarzenegger, Iggy Pop, William Burroughs, Cindy Sherman, Richard Gere, Truman Capote, Susan Sontag, Keith Haring, Leo Castelli, Grace Jones, Yoko Ono, Isabella Rosselini, Louise Bourgeois, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, etc. L'ensemble de ses sculptures sur papier photographique dresse un portrait du New York branché des années 70-80.