Comment le monde a-t-il pu se dissoudre à ce point ? Comment les peuples ont-ils pu oublier que l'avenir serait révolutionnaire ou ne serait pas ? Qui avait intérêt à les monter les uns contre les autres ? Comme partout 1969 fut une année pleine de promesses. L'Afrique aussi était au diapason de la révolution qui secouait la planète. Le Festival Panafricain d'Alger rassembla tous les pays du continent, du Maghreb à l'Afrique du Sud, du Tchad au Sénégal, du Mali à l'Angola. Musique, théâtre, conférences, spectacles, défilés, affirment que la culture est l'élément primordial de la révolution. Chaque nation envoie à Alger ses artistes et ses intellectuels. Les couleurs explosent sur l'écran. Les costumes ancestraux apparaissent futuristes, les traditions africaines inspireront les nouvelles musiques occidentales tandis que les discours politiques mettent en garde la population contre le colonialisme et le néocolonialisme. Des dizaines de milliers de personnes descendent dans les rues d'Alger pour fêter la future Afrique, une et solidaire. Les mouvements sud-africains et rhodésiens (futur Zimbabwe) dénoncent l'apartheid. Participent à cette première édition du festival Miriam Makeba, Choukri Mesli, Barry White, Manu Dibango, Nina Simone, Ousmane Sembène, Aminata Fall André Salifou... Parmi les jazzmen Chicago Beau, Lester Bowie, Julio Finn, Malachi Flavors, Burton Greene, Philly Joe Jones, Jeanne Lee, Hank Mobley, Grachan Moncur III, Randy Weston… Mais je ne me souvenais que d'Archie Shepp grâce au disque paru chez Byg, concert de free jazz héroïque du 29 juillet 1969 avec pléthore de musiciens algériens ainsi que Dave Burrell, Clifford Thortorn, Alan Silva, Sunny Murray et le poète Ted Joans scandant "We are still back, and we have come back. Nous sommes revenus ! Jazz is a Black Power. Jazz is an African Power. Jazz is an African music !" Il faudra attendre quarante ans pour que le Festival renaisse en 2009, mais William Klein n'est pas là cette fois pour l'immortaliser. Si l'apartheid a été vaincu, l'Angola et le Mozambique libérés du joug portugais, les révolutions ont tourné court. La colonisation à l'ancienne a laissé la place au capitalisme international soutenu par des gouvernements corrompus. Les tentatives de libération ont chaque fois été assassinées comme Thomas Sankara au Burkina Faso.


William Klein est un immense réalisateur, mésestimé, probablement trop inventif. Fiction ou documentaire, chacun de ses films fait preuve d'une indépendance qui continue à coûter cher aux artistes que les marchands ne savent pas ranger dans leurs petites boîtes étriquées. Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? (1966), Muhammad Ali, the Greatest (1969), Mister Freedom (1969), Le Couple témoin (1977), Grands soirs & petits matins (1978), The French (1982), la série Contacts (1983) dont il a l'initiative, sont autant d'œuvres à redécouvrir comme ses photographies exemplaires. Chacun de ses mouvements sont des coups de poing assénés à la banalité, des cris de révolte contre la stupidité des hommes, des chants d'espoir aussi où le style effilé et revendicatif tranche avec la mollesse de ceux qui pensent que le moindre sujet polémique est compliqué. Ses images sont cadrées, leur assemblage monté, on appelle cela du cinéma. Les documents d'archives replacent l'actualité dans le sens de l'Histoire. Et William Klein tourne ce Festival Panafricain d'Alger 1969 comme un grand film politique, on l'appellera un "opéra du tiers-monde". Il est plus proche de Jean-Luc Godard que maint cinéaste de la Nouvelle Vague qui renièrent vite leur révolte adolescente. Les cartons rouge et noir interrogent plein cadre : Qu'est-ce que l'Afrique ? Qu'est-ce que le Festival ? Qu'est-ce que la culture ? Le film se clôt avec La culture africaine sera révolutionnaire ou ne sera pas. Cette affirmation n'est-elle pas la clé de toute civilisation ? L'oublier, c'est verser dans la barbarie. Nous n'en sommes pas loin.

Arte a édité le film en DVD, disponible également en VOD, en même temps qu'un autre film de William Klein avec Eldridge Cleaver, Black Panther exilé à Alger.