Pour photographier le premier numéro j'ai retourné la nappe, une idée d'Olivia rapportée du Marché Saint-Pierre. D'un épais tissu d'ameublement elle balaie d'un revers la fadeur du quotidien en rehaussant la cuisine des couleurs du monde entier, de toutes les époques. Le choix de Jeff Mills en couverture n'est pas innocent, son Time Tunnel est emblématique de la démarche des rédacteurs en chef Jérémie Szpirglas et Raphaëlle Tchamitchian soutenus par Jean-Marc Adolphe, l'homme de Mouvement. Là où le bookzine Muziq revendique d'aimer les mêmes musiques que vous la revue Musique(s) explore celles dont on ne parle pas assez. Si la première est nostalgique la seconde s'inscrit dans une perspective de recherche visant l'espace de liberté qui amplifiera la vie sensible. Grand format, beau papier, mise en page soignée, on sait d'emblée avoir à faire à des esthètes. Christophe Hamery en assume la création graphique. C'est léché, parfois trop léché, les plumes trempées dans une encre de qualité semblent souvent sorties de la même veine. Comme une réaction érudite au vite torché de tant de torchons dont la critique culinaire escamote les saveurs. Si les sujets sont proprement abordés on peut imaginer que la passion de l'inédit ou l'indignation du méconnu motivent les écrits. Comme si les rédacteurs y allaient mollo pour ne froisser personne alors que leurs revendications sont légitimes et salutaires !

Car tout y est, et ce qui n'y est pas y sera probablement dans les prochains numéros, quatre pour 25 euros, l'offre de lancement vaut le réveil. Il ne manque que la musique tant l'on aimerait accompagner sa lecture des écoutes suscitées. L'équipe imagine probablement que les curieux qui la lisent sont des malins capables de continuer leur enquête sur le Net, les magasins de disques, les programmes de concerts (les dernières pages abritent un agenda) ou les médiathèques. Le tout est de donner le goût. Guillaume de Machaut (épeler) aime assez à chahuter. Le violoniste du Quatuor Béla déchiffre la partition de Black Angels de George Crumb. Le compositeur Philippe Hurel et l'écrivain Tanguy Viel font glisser l'opéra vers le polar. La comédienne Françoise Lebrun offre le monologue de La maman et la putain à Michel Cloup (Diabologum). La Nouvelle-Orléans groove des années 20 de Cocteau ou Jeanson à la série Tremé. Les crayonnages de Morton Feldman rivalise avec ceux de Cabu. Au détour d'un paragraphe on croise le cinéma de Norman McLaren ou Tango de Zbigniew Rybczyński. Gainsbourg pille Dvořák. On voit toutes sortes d'accents dans cette publication en couleurs. La Sahrawi Aziza Brahim et les Touaregs Tinariwen, les rappeurs Invincible et Waajeed, Roms et Inuits, des mécènes, Claudio Abbado et Chakaraka sont abordés par la vingtaine de têtes chercheuses qui se lancent au gré des 144 pages... Can rue dans les brancards. Rameau et Poulenc sont rappelés de justesse. Yusef Lateef renvoie la balle à Roland Kirk. Mais c'est souvent entre les lignes que l'avenir se dessine. Au détour d'une phrase. Par le biais d'une citation. Si cela part dans tous les sens, c'est tant mieux, les petits ruisseaux font les grandes rivières et tous les océans communiquent. Privilège de la musique, au singulier comme au pluriel.