Deux constantes en sortant de scène : le concept de jouer les rêves des musiciens ou des spectateurs plaît énormément au public et nombreux me harponnent pour me dire que nous avons un nouvel orchestre. Edward Perraud le premier, qui joue de la batterie dans ce nouveau quintet, me confie sa surprise face à notre synchronicité. Tous les cinq sommes sur la même longueur d'ondes. Ce genre de sensation est flagrant au moment des codas lorsque nous terminons tous ensemble, sans hésiter, à la fin de chaque improvisation. Ensuite il y a l'écoute, travail du timbre, articulations, qui donnent à l'orchestre sa cohésion.
Depuis mes débuts j'ai toujours tendu à ce que nos instantanés sonnent comme des compositions préalables. Les egos s'effacent devant le propos. Suivre un programme, un thème dramatique structurant chaque pièce, canalise les énergies. J'ai l'habitude de revendiquer l'objet au détriment des sujets, l'entendre dans le cadre de la syntaxe d'une phrase indépendante où les musiciens (sujet) interprètent (verbe) une histoire (objet), qu'elle soit narrative, philosophique, abstraite ou purement sensible. Les digressions sont des subordonnées, mais toutes convergent vers la principale. Nous sommes dans la tradition du poème symphonique, genre qui a souvent déplu aux puristes, alors que l'opéra ou la musique de ballet ne les gènent pas. Berlioz, Richard Strauss, Charles Ives en sont de brillants exemples. Un drame musical instantané revendiquait la musique à programme, voire la musique à propos lorsque nous devenions plus conceptuels que narratifs.


Dans un premier temps les musiciens donnent l'exemple. Chacun/e raconte un rêve ou un cauchemar que l'orchestre joue ensuite, s'octroyant une liberté d'interprétation que le rêve suscite. Nous invitons les spectateurs à monter sur scène pour nous conter leurs propres expériences. Nous n'avons que quelques secondes avant de passer à l'action. Les auditeurs ont le loisir de chercher la concordance ou de se laisser bercer par ce que les rêves nous évoquent. La saxophoniste Alexandra Grimal s'est mise à chanter, jouant la comédie en brodant autour du cauchemar d'une spectatrice. Le rêve de la bassiste Fanny Lasfargues dévoile son intimité à la salle où siègent des proches, son réveil confirmant sa victoire dans la vraie vie. Dans la loge le saxophoniste Antonin-Tri Hoang interroge le sommeil profond où naissent les rêves et le moment de s'endormir. Ainsi je comptais les obus dans Sarajevo comme d'autres les moutons, guidant le troupeau dans la ville assiégée.
En nous éloignant de La Java nous faisions tous le même rêve : nous retrouver bientôt...

Photos © Françoise Dupas