À Linz en 2009 Antoine Schmitt évoque l'idée de réaliser une application pour smartphone qui traduise les textes en réalité augmentée. Cinq ans plus tard Quest Visual a rejoint Google pour accoucher de Word Lens, petite appli gratuite pour le moment. Ça fonctionne vraiment n'importe comment, mais le résultat est encore plus poétique que Google Trad et la typo est étonnamment conservée comme ce qu'avait imaginé Antoine. Les idées sont dans l'air et il m'est toujours apparu formidable qu'elles se concrétisent. Autrement dit, chaque fois que je rêve de quelque chose et qu'un autre la réalise quelque part dans le monde je suis fou de joie, c'est cela de moins à faire : faisons ce qui ne se fait pas puisque ce qui est fait n'est plus à faire ! Le champ est large, il nous reste une infinité de possibles tant que l'on travaille du chapeau et que l'on s'y colle en se penchant au-dessus du capot... Mais de même que le public préfère reconnaître que connaître, les artistes sont souvent enclins à se conformer à la norme, ne se risquant pas à l'exclusion que génère l'indépendance. Jeune homme je voulais absolument être original, et Bernard Vitet de me répondre : "plutôt qu'être original, soyons personnel."
Il est gratifiant d'inspirer d'autres artistes qui ont ou pas l'amabilité de vous signifier ce qu'ils vous doivent. Nous en passons tous par là, car il n'existe aucune génération spontanée et nous ne sommes que les héritiers des aînés qui ont défriché le terrain. Il est ainsi satisfaisant de rendre grâce à celles et ceux qui nous ont inspirés. Il est par contre pénible de se faire piller sans que soit rendu à César ce qui appartient à mes zigues. Il ne faut alors pas confondre les idées dans l'air que la norme suscite, les inspirations légitimes dont nous sommes tous pétris et les plagiats systématiques qui tiennent du vol et de l'usurpation.
La reconnaissance relativement récente de mes anticipations m'a permis de calmer certaines contrariétés dans divers domaines artistiques où je suis intervenu, car les suiveurs ignorent souvent l'origine de leur démarche et les plagiaires patentés ont en général un service de communication à la hauteur de leur ambition de notoriété. Les usurpateurs sont en effet meilleurs commerçants que les inventeurs. Question de temps à y consacrer plutôt qu'à son art !


Ainsi le plasticien Antoine Schmitt est victime d'un honteux plagiat de la part de Carsten Nicolaï dont une œuvre récente, l'alpha pulse présentée à Hong Kong, est la copie conforme de City Sleep Light, du concept à la forme jusqu'à l'application iPhone et la photo de promo ! La pièce d'Antoine Schmitt a pourtant tourné dans le monde entier depuis quatre ans, Bruxelles (première et Nuit blanche), Berlin, Helsinki, Linz (pendant Ars Electronica), Madrid, Lyon, Sao Paulo... La notoriété de l'artiste allemand étant relativement considérable l'affaire n'en est que plus rageante, mais lorsque j'ai appris que c'était le véritable nom du musicien Alva Noto je ne m'en suis plus étonné, n'ayant jamais gobé ses mâles démonstrations encensées par une presse plus suiveuse que défricheuse. Sachant ce qu'il doit à Ryoji Ikeda il semblerait également qu'il soit coutumier du fait.
Jacques Perconte faisait remarquer que "la copie est standard dans cette culture de l'inculture, elle ne fait pas école, mais pognon", et tant que les copies sont pâles à côté des originaux il n'y a pas de quoi s'inquiéter outre mesure. L'œuvre conceptuelle pose aussi la question. Comment créer des œuvres incopiables, du moins les œuvres elles-mêmes à défaut de la technique, des ustensiles, des tourneries, des idées ? C'est le danger de l'art contemporain, car ce qui fait l'art c'est justement l'irreproductible, la gaucherie, tout ce qui échappe au savoir faire et à l'académisme... Il est plus difficile de copier les erreurs merveilleuses que les choses trop bien faites, forcément réductrices. Si les chefs d'œuvre se reconnaissent au nombre des interprétations qu'ils suscitent, le marché s'identifie à la quantité d'exemplaires vendus. En art seule la faille fait signe.