Tandis que les musiciens, artistes, techniciens et organisateurs du Chantier tunisien avec La Voix est Libre s'accordent, j'arpente la Medina. Avant que je parte humer l'atmosphère de Tunis, Fadia Dimerdji de Radio Nova m'a raconté mille anecdotes qui me permettent de mieux cerner l'histoire musicale et politique du Maghreb, même si j'ai du mal à retenir les noms arabes. Les touristes se faisant rares pour la saison, les commerçants se sont assagis. Entendre que je n'ai bu que trois thés à la menthe pendant mes emplettes ! Un panaché est un mélange de thé vert et noir.


À midi, devant un délicieux couscous au poisson bien relevé, je fais la connaissance d'un vieux tunisien de Gafsa, une ville plus au sud. Nous faisons un bout de chemin ensemble. La Medina est magnifique, labyrinthe de ruelles et de galeries couvertes où s'entassent quantité d'artisans. Pas de voiture, ça repose. La topographie suit les mutations historiques depuis le VIIIe siècle, les corporations et les classes sociales.


De temps en temps j'entre dans une impasse sans me rendre compte que je viens de pénétrer dans un espace privé difficilement identifiable puisque que partout il envahit la rue. Admirant les portes bleues à gros clous noirs je reconnais la couleur de notre escalier bagnoletais, Stairway to Heaven. Seulement, ici, les diables ont des roulettes. Il faut rapidement se pousser s'ils dévalent une rue en pente pas plus large que leur chargement. Depuis la terrasse de la Maison d'Orient j'enregistre les muezzins qui semblent se répondre d'un minaret à l'autre.


Fort de ses vingt-trois étages qui surplombent la ville, notre hôtel s'appelle Africa (tout un poème auquel l'Occident n'est pas étranger). Barrières, plots, escadrons de police empêchent son accès par automobile. Un pâté de maisons plus loin, ce sont carrément blindés et barbelés. Blaise Merlin me conseille de grimper sur le toit de l'immeuble pour jouir de la vue panoramique à 360°, mais probablement depuis l'attentat du Bardo il est interdit pour cause de proximité avec un bâtiment gouvernemental. Le réceptionniste n'ose pas nommer le Ministère de l'Intérieur, il chuchote. Le chef de la sécurité est plus explicite. Je comprends mieux le portique anti-métaux et les gorilles à l'entrée de l'hôtel. Coupée en son milieu, l'avenue Bourguiba est forcément plus calme, les photos depuis ma chambre renforçant une symétrie qui n'est que de façade. Évoquant la révolution de jasmin je sens parfois des résistances chez mes interlocuteurs qui semblent craindre de dévoiler leurs sympathies. Du point de vue touristique, à part une baisse stupide de fréquentation dont nous profitons, il n'y a évidemment pas plus à craindre qu'à Paris ou New York. Nous vivons partout dans un état policier "perpétuel" conçu pour inquiéter plutôt que rassurer. Différence de taille, la Tunisie sortant d'une dictature, une partie de sa jeunesse entend jouir de la révolution...