Ça passe trop vite. Tenga Niña est si actuel que je ne l'imaginais pas daté de 1996. J'ai tant écouté ce cinquième et dernier disque de Jacques Thollot que j'étais persuadé d'en avoir écrit une chronique, mais ni le Journal des Allumés du Jazz (entretien du Cours du Temps par Raymond Vurluz et ma pomme en 2002) ni le magazine Muziq (première mouture) n'existaient encore et je n'ai commencé ce blog quotidien qu'en 2005. Leurre du temps. Tempo d'un cœur. À cent à l'heure. Toute l'œuvre de ce compositeur unique, batteur de jazz icônique, reflète cette élasticité chronique, ombres portées où chaque train peut en cacher un autre. Jacques Thollot est avant tout un poète. S'il versifie du bout de ses baguettes, faisant rimer cassures avec collures, il compose des mélodies d'un lyrisme renversant où la répétition explose sous les éclats métalliques, ici les cordes du guitariste Noël Akchoté, du contrebassiste Claude Tchamitchian, du pianiste Tony Hymas, plus la trompette d'Henry Lowther. Le jazz émerge ça et là, mais sa musique ne ressemble à aucune autre, si pop et contempo qu'on pourrait la néologer contempop, glissant l'instrumental au rayon rare des chansons inventives ! Sa fille Marie l'insinue en bouclant l'album par L'au-delà qu'elle chante en renversant le temps, comme le présage d'un passé ineffaçable. Jacques est mort le 2 octobre 2014 sans avoir le temps d'enregistrer un ultime opus que nous pouvons seulement rêver à l'image des anciens. Nous lui avons rendu hommage à La Java en début d'année, mais rien ne peut remplacer le plus-que-réel du poète.
Le label nato réédite Tenga Niña en conservant la couverture de Pierre Cornuel, mais avec un nouveau livret de 28 pages axé sur l'album alors que l'édition originale se référait au passé de Thollot. Les mots sont empruntés au journalistes qui saluèrent sa sortie ou à l'artiste lui-même. Les nouvelles photographies sont signées Christian Rose, Guy Le Querrec, Mephisto, Philip Anstett, Jean-Luc Karcher, Caroline de Bendern... La célébration est complète. Si vous l'aviez raté à sa sortie, le moment est bien choisi pour découvrir cet album majeur d'un éternel enfant.