La scénographie est un élément primordial de chaque exposition de La Maison Rouge. L'espace est chaque fois restructuré pour immerger le visiteur dans une fiction propre aux œuvres d'art. Pas plus qu'ailleurs le réel n'y a sa place, même lorsqu'il s'agit d'une exposition de photographies comme ici, Après Eden, accrochage de 800 œuvres d'une cinquantaine d'artistes de la fin du XIXe siècle à nos jours, issues de La Collection Walther. L'objet exposé adopte un nouveau statut sous le regard de chacun, libre interprète cadré par la vision du commissaire.


Le banquier d'affaires allemand Arthur Walther a confié à Simon Njami le soin de choisir et organiser les photographies qu'il a accumulées depuis vingt ans. S'il a commencé par son pays avec le couple Bernd et Hilla Becher et August Sander, il s'intéresse d'abord à la Chine, puis à l'Afrique, peu présents dans les collections contemporaines. Les Sud-Africains sont particulièrement nombreux dans Après Eden qui offre un panorama incroyable de ce pays sur plus d'un siècle... J'ai gardé en mémoire l'image de Mikhael Subotzky où un homme noir nettoie la plage tandis que sortent de l'eau de jeunes blancs, les 12 Projections from Windows, Ponte City qu'il a filmées avec Patrick Waterhouse, les musiques accompagnant certaines projections ou les plus anciennes photographies de Samuel Baylis Barnard.


L'exposition commence avec l'herbier de Karl Blossfeldt où la nature rivalise avec les plus grands sculpteurs et les architectes de l'art nouveau. Très vite on est saisi par la rigueur allemande des accumulations (les Becher) comme si le collectionneur avait cherché à dégager un ordre à la confrontation de l'humain face au paysage (portraits de divers photographes / panoramique de la Fruchtstrasse à Berlin le 27 mars 1952 de Arwed Messmer). Mais cet ordre est morcelé, décomposé, restructuré, réagencé, réfléchissant comme pour chaque collectionneur ses angoisses et sa vision d'un autre monde (Ci-dessus Jodi Bieber, Candice Breitz... Ci-dessous un ensemble de Luo Yongjin).


En creusant dans le passé, on découvre les interrogations des photographes ou de ceux qui les ont mandatés. Les mouvements de Muybridge, les fiches anthropométriques de Bertillon, les grimaces des possédés ou les clichés ethnographiques forment la base d'une étude du portrait photographique qui nous renvoie une image contemporaine de nous-même dans le miroir. Face à eux les étendues désertiques, les no man's lands ou les machines semblent nous échapper.


Le titre de l'exposition qui se réfère à la chute plutôt qu'au paradis m'a évidemment fait penser à Alain Robbe-Grillet. Dans les éclats d'un miroir brisé, son film L'Eden et après réfléchit l'immensité des paysages sous un soleil brûlant où la sensualité des corps renvoie à un désir inassouvi. Au sous-sol de La Maison Rouge sont encadrées 101 photographies de Nobuyoshi Araki et d'autres images sulfureuses pour terminer par une installation de Yang Fudong composée de six écrans vidéo de l'Est du village de Qué où le décharné et l'absence mettent en perspective l'autoportrait que les artistes s'escriment à répéter inlassablement depuis la nuit des temps.

Après Eden, la collection Walther à La Maison Rouge jusqu'au 17 janvier 2016 (9€, tarif réduit 6€ ; gratuit pour les moins de 13 ans, chômeurs, handicapés, etc.)