Sur la photo de Denis Rouvre ornant la pochette du quatrième album de Das Kapital le trio ressemble aux trois apparatchiks de Ninotchka, film de Ernst Lubitsch d'un tel anticommunisme primaire qu'il est devenu un modèle d'humour pour tous les cocos de la planète. Quant au titre de l'album, Kind of Red, il rappelle à la fois leurs deux albums consacrés au compositeur engagé Hanns Eisler, collaborateur de Brecht, le manteau dessiné par Coca Cola du Père Noël, thème de leur précédent disque, et la note bleue du jazz que Miles Davis honora entre autres avec son Kind of Blue. La musique n'en est pas révolutionnaire pour autant, ni fondamentalement jazz, mais ce disque diffuse une énergie communicatrice, marche ferme et déterminée vers le succès, hymne au lyrisme volontaire de trois virtuoses qui n'ont plus besoin de mettre leur savoir faire en avant.
Par contre, la nécessité de se démarquer d'Eisler ou des chansons de Noël les avait forcés à rechercher une distance originale devenue ici inutile, car pour la première fois dans l'histoire du trio, le guitariste danois Hasse Poulsen, le saxophoniste allemand Daniel Erdmann et le percussionniste nantais Edward Perraud ont composé leurs propres thèmes. J'ai un petit faible pour ceux de Perraud, sorte d'agit pop offrant aux deux autres le pouvoir de hurler leur rage. Poulsen choisit la face tendre du jazz tandis que les morceaux d'Erdmann renvoient au répertoire habituel du trio, structuré et héroïque. Le mélange de guitare acoustique, soprano et balais est aussi entraînant que les envolées électriques où le ténor a quelque chose d'aylerien, où le batteur collectionne les timbres colorés. Voilà qui s'écoute, se réécoute, et donne du rouge aux joues.

→ Das Kapital, Kind of Red, Label Bleu, dist. L'autre distribution (sortie le 13 novembre, concert de lancement le 8 décembre à L'Ermitage, Paris)