Invité à La Fabrique Coopérative axée hier soir sur le thème de l'art et de la culture dans le cadre des élections régionales en Ile-de-France qui se tenait au Cirque Romanès, Porte Maillot...

La culture est probablement le dernier rempart contre la barbarie. Sur la planète, quelle que fut l’époque, chaque fois que l’on s’est attaqué à la culture, le pays a sombré dans l’horreur. Chaque fois que l’on a voulu annihiler un peuple, ou l’asservir, on lui a interdit de parler sa langue, interdit ses coutumes, qu’elles soient agricoles, culinaires, vestimentaires, etc. On n’a pas toujours besoin d’un revolver, la réduction de budget fait très bien l’affaire. Il est tellement plus facile de détruire que de construire, et tellement plus rapide, et combien jouissif !
Mais je ne confonds pas pour autant l’art et la culture. Comme l’exprimait si bien Jean-Luc Godard, « La culture est la règle, l’art est l’exception ».
Or les plus grandes avancées dans le monde de l’intelligence ont toujours été le fruit de l’exception. Il faut beaucoup d’imagination pour lutter contre les habitudes dont on a souvent oublié les origines et pour inventer de nouvelles manières de voir, d’entendre, de s’entendre et donc de vivre.
Trop souvent les organisations politiques dites de gauche privilégient les expressions artistiques qu’elles jugent populaires plutôt que de donner les clefs à celles et ceux dont l’imagination leur semblent d’avant-garde. Il y a cinquante ans lorsque l’imagination revendiquait le pouvoir il y eut une révolution de mœurs. L’époque fut particulièrement féconde dans le monde des arts, et toute la société en profita. Nous avons besoin des rêveurs, pas seulement pour gagner des voix aux prochaines élections, mais pour changer le monde, pour penser l’impossible, parce que l’impossible c’est le réel. C’est du moins le réel de demain. Malgré cela aujourd’hui il n’y a plus d’avant-garde comme on l’entendait au siècle dernier, parce qu’elle reste souterraine, mais les arrière-gardes se portent bien, formatées par le marché, lui-même très majoritairement aux mains de l’industrie nord-américaine. Les Etats-Unis ont parfaitement compris la puissance du soft power en faisant la promotion de leur industrie culturelle jusqu’à ses marges. Dans leur grande majorité les Français écoutent de la musique américaine, regardent des films américains, visitent des expositions de plasticiens américains, alors forcément nos artistes leur emboîtent le pas et par ce mouvement façonnent la pensée des peuples du reste du monde.
Or en France nous avons des traditions, et celles-ci ont toujours engendré des mouvements indépendants, voire révolutionnaires. Un moyen de faire évoluer les consciences est de soutenir les rêveurs, des artistes qui refusent le monde que l’on nous impose et qui s’en inventent de nouveaux. Soyons ambitieux dans les programmations que nous faisons au lieu de privilégier les formules populistes. Ici comme ailleurs l’idéologie s’est effacée devant la stratégie. Et pourtant ça bout. La résistance s’organise, mais elle est peu soutenue. Dans tous les arts, c’est incroyable comme aujourd’hui s’épanouissent quantité de jeunes gens. Ils sont de meilleurs en meilleurs, mais les débouchés sont peau de chagrin. On ferme. On privilégie ce qui marche au détriment de ce qui pourrait nous faire réellement avancer, du moins dans une direction qui n’est pas celle des pouvoirs actuels. Si nous voulons changer de modèle de société, il est indispensable d’inventer ce qui nous semble impossible, indispensable d’oser et d’oser autre chose autrement. Au lieu de nous rassurer et de nous complaire dans un présent qui stagne désespérément, prenons le risque de soutenir l’avenir ! Puisque nous sommes au Cirque Romanès je dirais que nous devons apprendre à marcher sur les mains, à avancer sur le fil sans craindre le vide, à retrouver le rire et le sourire, et surtout à donner à rêver !

P.S.: raccord dans l'axe. À l'instant où je prenais une photo pour illustrer mon article, Patrice Gravoin faisait de même deux rangs derrière. Je suis de dos en chemise rouge. À ma droite François Rancillac va prendre la parole juste avant moi...