Toujours aussi difficile de publier des articles hors-sujet ce mardi. Je crains d'être maladroit.
J'appartiens à la génération des enfants de l'après-guerre. Nos parents avaient vécu des moments inimaginables, mais qu'ils nous en parlent nous permettait de mettre des mots sur les choses et des images sur les maux. La télévision n'existait pas et nous n'avions pas besoin de le voir pour le croire. La menace de guerre nucléaire entre l'Est et l'Ouest pesait pourtant sur nos vies, quelque chose d'abstrait, de subi malgré soi, la peur que tout s'arrête d'un seul coup. Les années 60-70 furent ensuite heureusement excitantes et libératrices. Alors nous avons à notre tour enfanté, fabriquant ici petits princes et petites princesses, même dans les couches sociales les plus défavorisées si l'on compare avec les années terribles de l'Occupation.
Je ne m'attendais pas à ce que les évènements récents affectent autant les jeunes adultes. Nombreux s'identifient aux morts et aux blessés de vendredi. Ils fréquentaient les mêmes lieux ou leurs équivalents. Ils connaissent tous quelqu'un qui à défaut de faire partie des victimes en avait côtoyés. Je parle évidemment depuis Paris où nous habitons et j'ignore comment les jeunes le vivent réellement en province. Pas assez politisés pour prendre le recul nécessaire que l'analyse impose, ils se pensaient loin de cette violence qui les a soudainement et brutalement rattrapés. La menace tient alors de la mystique, l'angoisse naissant de l'incompréhensible. Aussi est-il indispensable de parler avec eux, de leur expliquer ce qui est en jeu sur l'échiquier géopolitique, des conséquences de la misère, de la conjoncture actuelle au Moyen-Orient qui est à l'origine du choix des cibles à Paris comme à Beyrouth. Il ne s'agit pas de leur donner des leçons, mais de nous interroger avec eux. Qu'avons-nous fait de travers ? Quel exemple leur avons-nous donné ? Pourquoi avons-nous été incapables de les préparer à ce qu'ils imaginent le pire ou de leur éviter ? Avons-nous vraiment vécu autrement ? Ignorons-nous la peur ? Comment l'avons-nous éventuellement surmontée ?
Nous n'avions pas plus le choix qu'ils ne l'ont, suivant l'exemple de nos aînés qui avaient résisté à l'horreur. Car lorsque l'angoisse me saisit je repense à mon père, à son courage devant l'adversité, et je me laisse guider. En haut de cette page j'ai reproduit la dédicace que Frédéric Dard (San Antonio), dont il était l'agent littéraire, avait fait imprimer sur l'un de ses premiers romans policiers. "Qui ne craint pas les coups durs" exprime à la fois la course d'obstacles qui consiste à vivre, la peur qu'elle représente et la force qu'elle exige pour la vaincre. Mon père dut y faire face jusqu'à son dernier souffle. La difficulté d'être qu'évoque Jean Cocteau est commune à tous les hommes et à toutes les femmes. Il faut parfois laisser passer un peu de temps pour reprendre sa respiration. Tout autre choix est mortifère. Nous n'avons que le temps de vivre. Vivre.