Dimanche soir Elsa Birgé et Linda Edsjö qui inauguraient leur work in progress Söta Sälta, chansons franco-suédoises autour des amours biscornues, avaient invité Violaine Lochu à présenter sa performance vocale intitulée Mémoire Palace, zapping incroyable, drôle et passionnant créé à partir de rencontres avec la population montreuilloise. Lors d'une résidence au 116 Violaine Lochu a sillonné sa ville à la recherche de personnes qui lui livreraient un souvenir ayant marqué leur vie de manière indélébile. À partir des enregistrements composés de chansons, récits, commentaires pris sur le vif "sur les marchés, dans les bibliothèques, centres sociaux, établissements scolaires, maisons de retraite, théâtres et lieux culturels" elle a d'abord réalisé sept montages radiophoniques diffusés sur la radio R22 dont on retrouve certains sur son site ainsi qu'un beau 64 pages relatant cette aventure de cinq mois, rempli d'illustrations et de dessins.


À cette occasion le graphiste Christophe Hamery a créé une typo très architecturale rappelant la ville. Mais le plus impressionnant est la performance que Violaine Lochu a tirée de cette expérience. Elle rejoue ainsi seule ses montages cut en interprétant les centaines de personnages, dans trente langues différentes, zappant d'un extrait de chanson à une recette de cuisine, d'un rap à quelques balbutiements d'enfant, s'aidant parfois d'une pédale de sampling. Cela consiste à faire un enregistrement de sa voix en direct et à la diffuser aussitôt pendant qu'elle continue en superposition, empilant parfois quantité de couches jusqu'à former un chœur multiethnique. Ce mélange kaléidoscopique fait la force de cette œuvre ouverte sur le monde et ses différences, sur la cohabitation de toutes les communautés, classes et générations, tour de Babel vivante qui, rassemblant les souvenirs marquants de chacune et chacun, produit une forte émotion magnifiée par la qualité de l'interprétation.


En assistant à ce tour de force d'une extrême générosité, je n'ai pu m'empêcher de faire le rapprochement avec mes radiophonies, plunderphonics avant la lettre que je réalisai dès 1974 et que je continue d'utiliser à toutes les sauces depuis. Il s'agissait d'attraper au vol de courts extraits radiophoniques en se servant du bouton de pause d'un cassettophone sans aucun montage postérieur. L'acrobatie consistait donc à anticiper l'avenir proche, quitte à revenir en arrière et effacer si c'était raté. La proximité avec le travail de Violaine Lochu ne tient pas à la technique utilisée, mais au résultat sociologique et musical mettant en évidence les circonstances intimes ou sociales, les conditions d'enregistrement et donc tout un hors-champ d'habitude imperceptible, mais tout à coup révélé par l'accumulation et juxtaposition de séquences extrêmement brèves. Nous étions en pleine mode des paysages sonores de R. Murray Schafer, trop lisses à mon goût, et j'inventai ainsi les paysages sociaux. Difficile d'en donner ici la substantifique moëlle, mais vous pouvez en entendre des bouts dans Sur la voie, index 8 de l'album Un coup de dés jamais n'abolira le hasard avec Médéric Collignon et Julien Desprez, ou à 3'44 du début de Des haricots la fin sur le CD Qui vive ?, mais cette fois à partir d'extraits télévisés.