Rien d'étonnant à ce qu'en écoutant les stridences de la cornemuse je sente les esprits de la lande se réveiller et les ombres de la préhistoire sortir de terre comme des menhirs lorsque l'orchestre vient la rejoindre pour interpréter une musique inouïe, transmise oralement de génération en génération. Si le répertoire du Ceòl Mòr fut créé exclusivement pour la cornemuse seule, Patrick Molard eut l'idée de l'étendre à d'autres instruments en utilisant le système gaéllique ancestral chanté du canntaireachd où les notes sont des voyelles et les ornementations des consonnes. En réalisant des arrangements modernes, son frère, le violoniste Jacky Molard, rend imperceptibles les couches du temps, strates d'un monde où le ciel et la mer sont les mêmes qu'antan. La grande histoire s'efface devant la géographie, les petites histoires font place à l'imagination. Le saxophoniste Yannick Jory et la contrebassiste Hélène Labarrière, déjà membres de l'Acoustic Quartet de Jacky, le guitariste Eric Daniel et le batteur Simon Goubert s'imprègnent de ce tissu qui colle à la peau jusqu'à ne plus sentir si l'habit est dessus ou dessous. Dans ces musiques du XVIIe et XVIIIe siècles issues des hautes terres d'Écosse, ressuscitées par l'étude des manuscrits, elle-même enjolivée par une fantaisie grave qui caractérise notre époque, se retrouvent la transe des musiques répétitives et le grain de folie des jours de grande marée. L'air du large est vivifiant, mais il énerve les esprits qui font corps avec les vivants.

→ Patrick Molard, Ceòl Mòr/Light & Shade, CD, Innacor, dist. L'autre distribution, sortie le 1er avril 2016