La mémoire est fragile, constamment reconstruite au fur et à mesure que les informations s'accumulent dans notre ciboulot, figée à force de se polariser sur un détail ou volatile jusqu'à l'oubli total. Produit du présent, elle forge l'avenir sans aucune certitude du passé. Demandez à plusieurs témoins de reconstituer le moindre évènement après quelques années et il perdra toute véracité au profit d'un puzzle complémentaire ou sujet à d'inexplicables contradictions.
Hier j'écrivais ne pas me souvenir quand et comment j'avais rencontré la créatrice sonore Amandine Casadamont avec qui je viens d'enregistrer un album inaugurant une collaboration des plus excitantes. Or Amandine m'avait rappelé le jour-même en quelle occasion nous nous étions croisés, mais je n'y avais pas fait attention. Hier Laure Milena, dont je me souvenais pourtant qu'elle en était l'initiatrice, me raconte qu'elle avait invité Amandine, avec qui elle travaillait à l'époque, à venir me voir jouer avec Antoine Schmitt, un projet de flux radio et image d'ordi en devenir, qui leur avait beaucoup plu à toutes les deux. Elle nous avait présentés après le spectacle, mais comme souvent en sortant de scène je n'en garde aucun souvenir. Je raconte cette petite histoire parce que Laure ne fut pas la seule à relever ma perte de mémoire... Le 17 avril 2010 Antoine et moi présentions en effet Mascarade à l'Espace Mercoeur à l'invitation des soirées IRL (In Real Life) en avant-première de la création qui ferait l'ouverture du FIMAV (Victoriaville, Québec) en première partie de notre opéra pour 100 lapins connectés, Nabaz'mob.


Les 3336 articles de mon blog, en marge de leur fonction quasi encyclopédique, représentent d'ailleurs un fantastique pense-bête que je consulte régulièrement puisqu'ils me tiennent lieu de journal quotidien depuis bientôt douze ans. De même les images qui les accompagnent dessinent une chronologie que le temps a tendance à dissiper dans sa subjective élasticité. Lundi Françoise, attirée par la musique qui se construisait dans le studio, fit quelques clichés de notre duo après avoir filmé l'enregistrement de deux de nos improvisations. Et chacun, chacune de sortir son appareil pour immortaliser la scène ! Amandine poste une photo sur FaceBook tandis que je cherche à capturer l'envers du décor où l'aiguille brille. Plus tard nous réaliserons ensemble la pochette de Harpon en étalant par terre les vinyles utilisés pendant la séance.
Dans le cas d'improvisations totales ce n'est que le lendemain que je découvre réellement ce que nous avons joué et mixé. J'aime ce faux magma rigoureusement agencé dans un état semi-comateux où nous contrôlons pourtant le moindre de nos gestes. Les scories y sont les garantes du vivant, complicité de l'imprévisible. Nous reconnaissons l'une et l'autre notre goût pour l'écriture cinématographique, dialectique des plans prenant tout leur sens au montage en direct, perspectives sonores jouant de la profondeur de champ, mais aussi profusion des détails offrant quantité d'interprétations selon les auditeurs, énigmes produites par les ellipses, abstractions que seule la musique suscite...