J'ouvre les yeux. Il fait noir. La lettre Π se détache sur le plafond. Trois heures et quart du matin. Je ne dors pas. À moins que ce soit un rêve ? Si c'était le K, il aurait repris de plus belle puisque je les ouvre à nouveau à quatre heures vingt trois. Le réveil lumineux projette les chiffres au-dessus de ma tête. Danse des heures. Depuis quelques jours je dors sur le dos pour soulager mes vertèbres. Exercice Mézières. Inspirer en gonflant le ventre, souffler en le creusant et en faisant descendre les côtes, mouvement vers le haut à partir du plexus. Pendant que je m'étire, je révise. Que j'aime à faire apprendre ce nombre utile aux sages ! Immortel Archimède, artiste ingénieur, qui de ton jugement peut priser la valeur ? Pour moi, ton problème eut de pareils avantages. Jadis, mystérieux, un problème bloquait tout l'admirable procédé, l'œuvre grandiose que Pythagore découvrit aux anciens Grecs. 0 quadrature ! Vieux tourment du philosophe, insoluble rondeur, trop longtemps vous avez défié Pythagore et ses imitateurs. Comment intégrer l'espace plan circulaire ? Former un triangle auquel il équivaudra ? Nouvelle invention : Archimède inscrira dedans un hexagone, appréciera son aire, fonction du rayon. Pas trop ne s'y tiendra, dédoublera chaque élément antérieur ; toujours de l'orbe calculée approchera ; définira limite ; enfin, l'arc, le limiteur de cet inquiétant cercle, ennemi trop rebelle, professeur, enseignez son problème avec zèle... En comptant les lettres on peut retrouver les premières décimales de Π. Les ponctuations ne comptent pas et les mots de dix lettres valent zéro. J'ignore aujourd'hui à quoi cela pourrait bien me servir. Ma règle à calcul ne sort plus du tiroir. Elle m'est devenue ésotérique. Les chiffres au plafond tournent comme une auréole sous les pattes d'une araignée géante qui resoude mes synapses pendant mon sommeil. Hallucination ? Folie ! Les anti-inflammatoires et les analgésiques participent à la sarabande. J'aime les chiffres pour les faire basculer, leur tordre le cou. Ils sont la forme de mes élucubrations artistiques, là où les lettres, moins flexibles, expriment mes sentiments. Je les pèse et soupèse, les fais glisser d'un bord à l'autre, je les ajoute et les retranche, je les laisse parfois dessiner tout seuls. Le texte est une prose, ils sont la poésie.