L'imposante exposition Rester vivant conçue par Michel Houellebecq au Palais de Tokyo rend remarquablement sa perception acérée et cynique de la banalité. Au delà des photographies et des films qui y sont montrés la scénographie parfaitement adaptée à l'œuvre de l'écrivain tient lieu d'installation, immersion complète dans les images et les sons diffusés de pièce en pièce, gigantesque appartement labyrinthique où ses obsessions se renvoient les unes aux autres et s'imbriquent. J'ai évidemment un petit faible pour le fumoir où un juke-box poétique diffuse les poèmes que nous avons enregistrés ensemble, Le sens du combat édité par Radio France et surtout Établissement d'un ciel d'alternance que j'avais produit chez GRRR et que l'on retrouvera en vente à la librairie du musée.



Comme on peut y recracher sa fumée on imagine que très vite les visiteurs auront l'impression d'avoir la tête dans le cendrier. Politiquement incorrect, comme les chromos ringardes de bimbos probablement troussées par le photographe, mais aucune provocation puisque ses invectives lui furent chaque fois dictées par les questions imbéciles de quelques journalistes. Ainsi Houellebecq peut exposer son cœur de midinet que l'on retrouve dans ses paysages de nature ou la salle consacrée à Clément, son chien aujourd'hui disparu et qui partagea longtemps sa fausse solitude. Pour comprendre cet univers où nous errons comme si nous visitions un appartement meublé en vue de le louer, il faut se rappeler que Houellebecq est un écrivain comique, entendre que sa poésie kafkaïenne est avant tout emprunte d'humour.


Non, Michel t'es pas tout seul... L'accompagnent Raphaël Sohier, Renaud Marchand, Maurice Renoma, et Robert Combas à qui une grande salle est consacrée, tableaux mais aussi son espace de travail recréé où des musiciens en direct succèdent à l'immense discothèque du peintre... La beauté des choses préoccupent le poète comme la musique pop le fascine. Le son immersif ou in situ, très présent dans l'exposition, ouvre également une porte à ce médium très souvent absent des musées. Je ne peux que m'en réjouir, d'autant qu'à l'heure actuelle j'occupe pas mal le terrain : parcours musical de Carambolages au Grand Palais, environnement sonore des Monuments aux morts au Panthéon, design sonore des stations interactives de Darwin, l'original à la Cité des Sciences, et donc juke-box ici-même puisque Michel Houellebecq m'a demandé de découper une trentaine de poèmes enregistrés ensemble et qui figurent aux côtés de Jean-Louis Aubert et Iggy Pop.


L'évocation du tourisme de masse piétinée par la horde des visiteurs respire son humour camouflant soigneusement ses angoisses Dix-huit salles, dix-huit stations d'une passion qui reste la même depuis ses débuts. Non, tu n'as pas changé ! Mais la mort rôde pourtant en filigranes, tant il est besoin d'affirmer son existence. Aucun portrait de l'artiste certes, son œuvre affirmant la rémanence du corps tant qu'il est encore temps.


Parallèlement à Rester vivant, les autres jeunes artistes exposés m'apparaissent d'une vacuité déprimante, sauf le travail de Mika Rottenberg dont les installations où évoluent des personnages vivants prolongent ses films drôles et corrosifs. L'artiste argentine creuse le monde du travail et de l'aliénation en poussant sa logique dans une mise en scène qui ne pourra jamais être aussi cruelle que la réalité. À partir de situations dramatiques entrevues sur la planète, Rottenberg construit d'incroyables ateliers où l'exploitation de l'homme par l'homme et sa soumission aux machines frise l'absurde, celle d'un monde dont nous sommes les complices.