Héberlué de ne pas trouver le nom d'Un Drame Musical Instantané ni le mien dans l'index de l'ouvrage Polyfree, la jazzosphère, et ailleurs (1970-2015), ensemble de textes réunis par Philippe Carles et Alexandre Pierrepont chez Outre Mesure, je m'étais un peu fourvoyé alors que nous étions présents, mais l'éditeur avait juste mal fait son boulot en omettant nos noms, hélas pas que les nôtres, dans son index. Pierrepont, véritable responsable de cette somme, qui s'avère de temps en temps se muer en soustraction, avait préféré traiter la chose par le mépris et l'arrogance plutôt que s'excuser simplement de ces petites erreurs, ce que j'ai attendu également en vain de son éditeur, Claude Fabre. Les journalistes et autres analystes supposés ont toujours mal supporté "la critique de la critique", version littéraire de L'arroseur arrosé telle que la pratiqua longtemps Pablo Cueco dans le Journal des Allumés du Jazz. Or un index est à un livre ce qu'un générique est à un film ou les crédits à un disque : oublier certains de ses participants est une faute grave alors qu'un peu plus de rigueur aurait permis d'éviter ce genre de bévue. L'un et l'autre se sont donc focalisés sur cette indexation lacunaire espérant décrédibiliser mon intervention (il est certain que j'avais l'air un peu stupide de nous avoir cherchés en vain alors que nous étions cités par l'exemplaire Xavier Prévost dans son article sur les tendances hexagonales) plutôt que sur l'absence incroyable de certains musiciens là où ils auraient du fondamentalement figurer.

Ainsi André Hodeir apparaît pour son rôle pédagogique dans l'article de Lorraine Roubertie Soliman, seule femme parmi 30 contributeurs (saluons tout de même Jean-Paul Ricard qui traite de la place des musiciennes dans ce monde machiste), mais Hodeir est absent de celui sur les rapports du jazz et de la musique contemporaine signé Ludovic Florin et ne figure pas non plus dans l'index qui comporte malgré tout 1700 noms. Dans cet article manquent également à l'appel Heiner Goebbels, Fausto Romitelli ou même Leonard Bernstein, pour ne pas parler de Stravinski ou Gershwin antérieurs à la période analysée. Idem pour les rapports du jazz avec le rap où le rôle de Tony Hymas est escamoté malgré Ursus Minor et quantité de projets où le caractère cross-over mêlant rock, jazz, rap, chanson, musique contemporaine en fait un héros exemplaire de ce que ce livre voudrait marquer. Il est compréhensible que les goûts de certains rédacteurs les poussent à ignorer des musiciens, mais il est inadmissible qu'ils réécrivent l'Histoire, surtout lorsque leurs articles se targuent d'une universalité encyclopédique.

C'est en cela que l'on reconnaît les origines scolaires des universitaires, victimes du storytelling des institutions qu'ils ont fréquentées. Lors d'un colloque de l'Ircam auquel j'assistai, toutes les dates avancées par les conférenciers étaient en retard de dix ans sur la réalité. Cela explique probablement mon absence de l'article de Marc Chemillier sur les rapports du jazz et des musiques électroniques que je ne manquai pas de souligner dans le blog où je rappelai les faits par le menu.

Mais les limites de l'ouvrage tiennent essentiellement à la longueur des articles, trop longs pour obliger le rédacteur à aller droit au but, trop courts pour développer ses idées sans aligner de fastidieuses listes à vous coller mal à la tête. Les fines plumes que sont Guy Darol (spécialiste de Frank Zappa), François-René Simon (avec l'abécédaire de l'AACM) ou Philippe Carles (évoquant Bill Dixon, Joe McPhee et Evan Parker) s'en sortent avec brio. D'autres alignent les faits en suivant laborieusement la chronologie, ce dont Wikipédia s'acquitte avec plus de clarté. Enfin les pires à mes yeux, brûlés par tant de pédanterie, cherchent à justifier leur prose universitaire en multipliant les références littéraires ou philosophiques et les citations, délayage propre à ce formatage. Nous nous éloignons alors de la musique, pourtant le sujet de cet ouvrage dont l'inégalité tient au manque de direction évidente. Polyfree réfléchit une nouvelle fois ses limites, nombreux articles ne pouvant intéresser que les lecteurs déjà embarqués dans le free et ailleurs, et laissant sur le bas côté les néophytes qui se perdront dans les détails. Les articles survolant les spécialités européennes, italiennes, sud-africaines, japonaises et les monographies sur Anthony Braxton, Julius Hemphill, Steve Coleman, William Parker ou la West Coast sont moins risqués, et Yannick Séité sait même dissiper les malentendus lorsqu'il s'agit de John Zorn. Mais trop peu des textes présents prennent la hauteur nécessaire pour laisser entendre véritablement les tenants et aboutissants de tout ce tumulte. Question de style aussi probablement.

Polyfree est une auberge espagnole où chaque rédacteur a été convié à enfourcher son dada sans qu'aucun ne communique jamais avec son voisin. En gros chacun joue de son côté. Cette course d'obstacles manque d'une vision d'ensemble, en amont comme en aval. Les perspectives politiques sont diluées, les ressorts qui agissent les créateurs fatigués, mais on peut tout de même s'y référer à l'occasion, en évitant soigneusement de faire comme moi, le lire de la première à la dernière page en attrapant la migraine. Comme avec la plupart des encyclopédies, on a parfois l'impression de s'instruire quand on n'y connaît rien, et l'on est souvent irrité lorsque l'on maîtrise l'un des sujets...