Je n'ai pas véritablement de compétence pour juger de la qualité littéraire des textes anglais de Robert Allen Zimmerman. Les chansons sont un art comme un autre, même si Serge Gainsbourg le qualifiait de mineur. Il est certain que les chansons de Bob Dylan sont de l'ordre de la poésie et qu'elles ont marqué plusieurs générations de gens très hip. Ses qualités de compositeur ont influé d'autre part grandement sur la prosodie et il est intéressant de souligner qu'il serait réducteur de cantonner la littérature à sa lecture quand elle peut aussi être dite, clamée et chantée. C'est justement leur proximité avec la musique qui fait tout l'intérêt des textes de Dylan, à savoir qu'ils sont d'abord évocateurs, et que chacun, chacune, peut se les approprier selon son humeur et sa personnalité. Si un chef d'œuvre est caractérisé par le nombre des interprétations, l'influence du folk singer fut considérable. Il dresse un pont entre les racines fondamentales américaines (folk, country, blues, gospel, rock 'n' roll, rockabilly, etc.) et une modernité qui puise ses sources plutôt chez les surréalistes. C'est aussi un fils encore vivant de la Beat Generation, les disparus tels William Burroughs ne pouvant recevoir de Prix Nobel à titre posthume !
Ce n'est néanmoins pas la clef de ce choix. Pour avoir participé à de nombreux jurys, je pense que les prix couronnent ceux qui les donnent avant ceux qui les reçoivent. Ils sont l'image de marque de ceux qui les décernent. C'est un peu comme les articles de presse qui dressent souvent plutôt le portrait du journaliste que ce dont il parle. Dans le cas de Bob Dylan, il s'agit évidemment pour les Nobel de donner d'eux-mêmes une image progressiste, "jeune" et ouverte, et de faire oublier les origines criminelles de leur fortune ! Quand on voit à qui le Prix Nobel de la Paix fut accordé dans l'Histoire, on comprend que celui de littérature dont Dylan hérite est un choix "politique" comme les autres. L'argent des armes dans l'escarcelle du créateur de Blowin' in the Wind et The Times They Are a-Changin', ça vaut son pesant de cacahuètes !
On me rétorquera aussi qu'à 75 ans on peut trouver plus jeune, mais en art comme dans la vie la jeunesse dont je parle n'a rien à voir avec le nombre des années. Dylan est simplement jeune depuis plus longtemps que nombreux de celles et ceux qui sont nés après lui !

Photo de Bob Dylan recevant la Médaille de la Liberté, plus haute récompense civile américaine, des mains du président Barack Obama en 2012, que l'on peut aussi voir sous l'angle du soft power...