Pour ses 40 ans sur les routes, les amis polonais de Joëlle Léandre lui ont fait une belle surprise en produisant un coffret de 8 CD enregistrés pour la plupart en 2015 et 2016. Un solo emblématique date seulement de dix ans en arrière. Le premier disque est signé par Les Diaboliques avec la pianiste suisse Irène Schweizer et la chanteuse britannique Maggie Nicols que j'avais écoutées aux Bouffes du Nord en 2011 lors du festival La Voix est Libre. Suivent des duos avec le violoniste Mat Maneri, la chanteuse Lauren Newton, tous deux américains, le trompettiste Jean-Luc Capozzo et le guitariste anglais Fred Frith. Les deux derniers sont consacrés à un quartet figurant le saxophoniste anglais Evan Parker, le pianiste espagnol Agusti Fernández et le percussionniste slovène Zlatko Kaučič. Je précise la nationalité de chacun de ses partenaires de jeu pour exprimer le nomadisme de la contrebassiste qui a toujours revendiqué de gagner sa vie grâce aux concerts à l'étranger !
Nous avions l'habitude de nous croiser au 28 rue Dunois, et en 1981 Joëlle Léandre déclina notre offre de participer au grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané en tant que soprano. Pas question pour elle de laisser tomber sa grand-mère, comme certains appellent le gros instrument à cordes, pour venir s'égosiller, bien que nous adorions comme elle utilisait sa voix de temps en temps. Nous enregistrâmes néanmoins en 1992 avec grand plaisir un Urgent Meeting dans l'album Opération Blow Up... Bien qu'elle fasse partie d'un courant radical de l'improvisation, où un rythme soutenu ou une mélodie en do majeur semblent de mauvais goût, nous avons toujours apprécié son talent de performeuse où la théâtralité fait partie intégrante de sa virtuosité. Tout dépend évidemment du choix de ses interlocuteurs, elle-même étant prête à toutes les expérimentations. Il y a dix ans le Journal des Allumés dont je m'occupais alors avec Jean Rochard l'interviewa dans le cadre du Cours du Temps, rubrique que j'avais initiée pour conter le trajectoire de musiciens qui avaient marqué la seconde moitié du XXe siècle. Après ce Joëlle Léandre, en deux temps, trois mouvements, elle s'exprima avec la même liberté l'année suivante dans un livre que je chroniquai sous le titre Joëlle Léandre a capella. L'Aixoise est intarissable quant il s'agit d'évoquer sa carrière ou d'enregistrer quantité d'albums avec d'autres improvisateurs...
Huit CD, c'est donc peu comparé aux dizaines d'enregistrements déjà publiés, mais pourtant assez représentatifs de ses qualités, tant dans la variété des façons d'attaquer l'instrument que de dialoguer avec ses camarades de jeu. Après avoir écouté non-stop ce joli cadeau d'anniversaire musicalement quadragénaire, j'avoue préférer les spectacles où la théâtralité fait sortir la musique de sa stricte interprétation formelle, souvent grâce à la voix comme avec Maggie Nicols, Lauren Newton ou celle de Joëlle (remarquable solo plein d'humour), permettant d'échapper à un free jazz européen devenu conventionnel avec le temps. Des musiciens comme Derek Bailey ou Joëlle Léandre ont en effet imprimé leur style, transformant une démarche qui leur était personnelle en genre musical lorsque d'autres se sont engouffrés à leur suite. Les CD sont bien indexés, mais aucun titre n'est spécifié, ce qui insiste sur l'aspect live des enregistrements, caractéristique de cette mouvance de l'improvisation libre.

→ Joëlle Léandre, a woman's work..., coffret 8 CD, Not Two Records, 80€