70 janvier 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 31 janvier 2017

Rorschach glacé


Batman ? Incontinence ? Feuille morte ? Si c'est celui qui pisse le plus loin, rira bien qui rira le dernier. Donc un garçon. Pris dans la toile. La journée, c'est sûr. Probablement gris. Du gris. Le ciel. De la bière. Rentrer à pied. C'était peu profond. Soudain. On me regarde. Heureusement on ne me voit pas. Du moins je le crois. Ou je feins de le croire. Je ne sais plus. Dépassé. Encore envie. Je suis pris. Contrechamp. Une autre histoire. Ailleurs.

lundi 30 janvier 2017

Ceci est mon sang


Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font. Ce sous-titre du livre d'Élise Thiébaut est symptomatique du style de l'ouvrage, à la fois intriguant et spirituel, brisant le tabou avec humour et précision comme l'avait fait Giulia Enders avec Le charme discret de l'intestin il y a deux ans. En effet Ceci est mon sang a tout pour devenir un best-seller. Il révèle le secret des femmes, coffre à mystères que la plupart d'entre elles ignorent, sans compter les hommes qui en parlent encore moins ! C'est pourtant l'intérêt des mâles pour le livre qui semble surprendre le plus l'auteur, et j'en fais évidemment partie. On connaissait son style acéré, son engagement politique et féministe, ses jeux de mots accrocheurs par ses précédents ouvrages ou son Blog sur Mediapart. Cette fois c'est carrément saignant ! À travers sa propre vie, ses digressions familiales, son parcours douloureux, elle aborde l'histoire révolutionnaire du cycle menstruel, de la puberté à la ménopause, en passant par le sexe, la contraception, la procréation et l'endométriose, maladie encore trop méconnue, du moins dépistée souvent très tard. Négligées, raillées, cachées, les cellules souches des règles pourraient bien être source de jouvence et d'immortalité. Comme dans toute bonne série, d'épisode en épisode, on est surpris de découvrir un monde qui n'a pas fini de faire couler... de l'encre.

→ Élise Thiébaut, Ceci est mon sang, La Découverte, 16€

vendredi 27 janvier 2017

Mingus Erectus, une histoire du jazz


Voilà le genre d'objet qui me ravit ! D'abord parce qu'il s'inspire de la musique et du roman du plus grand compositeur de jazz à mes yeux et mes oreilles, Charles Mingus, ensuite parce qu'il allie un recueil de textes et un CD, l'un renvoyant à l'autre par un jeu de directs, de crochets et d'uppercuts. Pour les directs j'ai noté quelques samples d'époque. Les crochets sont des déviations musicales qu'empruntent un paquet de musiciens formidables qui ont participé à l'enregistrement de la musique originale composée par Étienne Gauthier. On doit les uppercuts aux textes de Noël Balen à la tête de cette entreprise qui rappelle furieusement le style littéraire de Moins qu'un chien (Beneath The Underdog), le roman autobiographique de Mingus qu'Un Drame Musical Instantané avait largement cité en 1992 dans notre spectacle Let My Children Hear Music. Mais ici tout est nouveau, textes et musique, excepté Goodbye Pork Pie Hat. Les bruitages s'y mêlent dans un hommage brillant qui convoque, en plus des comédiens et des solistes, le Fame's Macedonian Symphonic Orchestra dirigé par Philippe Jakko, avec un ensemble à cordes orchestré par Gauthier et une section de cuivres par le saxophoniste Julien Cavard.
La distribution exceptionnelle rassemble les chanteurs Liz McComb, Michel Jonasz, David Linx, les rappeurs Passi, Kohndo, Mike Ladd, les comédiens Dominique Pinon, Irène Jacob, Jean-Luc Debattice, Victor Lazlo, Thomas de Pourquery, Arthur Ribo qui jouent les textes de Noël Balen dans l'urgence qu'ils réclament. Lui-même tient la contrebasse et la machine à écrire, mais il est savamment épaulé par Philip Catherine (guitares), Ricky Ford (sax ténor), Steve Potts (sax soprano), Géraldine Laurent (sax alto), Michel Portal (clarinette basse), Stéphane Belmondo et David Enhco (trompette), Glenn Ferris (trombone), Bojan Z et Thomas Enhco (piano), Jacky Terrasson (Fender Rhodes), Emmanuel Bex (orgue), Marius Etherton (guitare funky), Danny Kendrick (batterie additionnelle), tandis qu'Étienne Gauthier empile claviers, piano, batterie, percussions et programmations. Ajoutons les battements de cœur in utero de Gabrielle Balen sur À fleur de cuir et vous en aurez assez pour vous mettre l'eau à la bouche.
Le recueil de textes poétiques de Noël Balen pourrait fait figure de livret luxueux s'il n'était le nerf du projet. La moitié des textes du livre n'ont pas été enregistrés, aussi pouvons-nous en jouir indépendamment ou simultanément. L'auteur s'est si bien inspiré de son idole qu'ils semblent avoir été écrits par Mingus lui-même, et l'interprétation est de la trempe de la meilleure jazz poetry à l'instar de LeRoi Jones ou Jayne Cortez, des écrivains William Burrouhgs, Allen Ginsberg, Bob Holman, ou Sidney Poitier disant Platon sur une musique de Fred Katz. Toute proportion gardée, l'ensemble rappelle un peu l'ambitieux Back On The Block de Quincy Jones. Une histoire du jazz. Les poèmes de Balen rendent la modernité de Mingus, intemporel, rythmique, furieux. Une histoire noire américaine.

→ Noël Balen, Mingus Erectus, 128 pages + CD exclusif offert avec le livre rempli de photos des participants, Le Castor Astral, 15€

jeudi 26 janvier 2017

Rideau !, enfin en CD


Rideau! sort pour la première fois en CD grâce au label autrichien Klang Galerie. Second album d'Un Drame Musical Instantané, il avait été publié en 1980 sur GRRR en vinyle où il est toujours disponible. Remasterisé en 2016 avec quantité de bonus tracks, parmi lesquels la pièce figurant sur l'album de compilation In Fractured Silence de United Dairies, pour la première fois ici dans son intégralité.
Après nos débuts exclusivement consacrés à la composition instantanée, que les à-peu-près nomment improvisation, M'enfin, sous-titré en anglais The Phantom of Liberty en hommage à Luis Buñuel, fut notre première pièce écrite en composition préalable, soit un morceau de studio avec nombreux re-recordings et manipulations électro-acoustiques. Bernard Vitet y joue des cuivres et d'un faisceau de percussion de son invention aujourd'hui disparu, le percuvent, qui se joue avec la bouche. Francis Gorgé passe de la guitare classique à l'électrique tandis que je fais sonner mon synthétiseur ARP 2600. Tous les deux utilisons également de petites percussions. L'alternance de la fanfare virtuelle avec la guitare et les sons électroniques se déroule sur fond de chiffres du loto arabe enregistré dans le café en face de chez moi.
Pas besoin d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, sous-titré Against Noise Conspiracy parce que je fus incapable de traduire la maxime de Guillaume d'Orange, est le second morceau de studio de notre histoire, mais l'enjeu fut cette fois de le camoufler en pièce de concert avec le son de la salle et les applaudissements. Bernard au violon, Francis à la guitare arco, moi-même au piano et au synthé, sommes mixés avec un orchestre qui s'accorde. Lors de n'importe quel concert symphonique, c'est un moment toujours réussi quels que soient l'ensemble et l'œuvre ! J'ai découvert beaucoup plus tard qu'Edgard Varèse avait composé une pièce sur ce principe intitulée Tuning Up.
Le morceau éponyme Rideau ! est extrait d'un concert live enregistré au Forum des Halles. Très conceptuel et provocateur, le happening consistait à dissocier l'image des musiciens sur scène et leurs productions sonores. Nous commencions par jouer rideau fermé, puis le rideau s'ouvrait et nous écoutions ce que nous venions d'improviser, commentant notre écoute, vautrés dans de confortables fauteuils. C'était une manière d'illustrer notre façon de travailler en la mettant en scène. Nous diffusions également des pièces d'autres compositeurs que nous discutions simultanément, tel Charles Ives chantant au piano ou le trou de Monk sur The Man I Love avec Miles Davis. Le public avait été interloqué que j'ai l'audace de répondre à un spectateur nous apostrophant : "Papa, on se retrouvera à la sortie !". Or c'était bien mon père, qui m'avait énervé en ne comprenant pas ce que nous tentions de faire, soit scénographier le discours de la méthode et fabriquer des espaces imaginaires. C'est certainement l'un des plus intéressants spectacles de théâtre musical que nous ayons créé, car il annonçait nombreuses voies que nous allions ensuite empruntées pendant la trentaine d'années à venir. Francis y joue aussi de la basse. Je possédais encore mon orgue Farfisa Professional, en plus de l'ARP et de la flûte. Je me risque aussi à la mandoline...
La critique, sous titré Ask Why, quatrième et dernier morceau du vinyle original, fut enregistré en une seule prise devant quelques amis dans ma cave du 7 rue de l'Espérance à Paris, le 1er avril. Bernard et moi y jouons de la guimbarde en plus de nos instruments de prédilection. Nous avions alors un instrumentarium extrêmement volumineux qui rappelait à certains critiques l'Art Ensemble of Chicago, également pour la collection de racines culturelles que nous arrosions.


Les quatre inédits présents sur le CD ont été enregistrés en 1983 dans un studio hyper professionnel. Nous avions demandé le piano Bösendorfer Imperial, des percussions d'orchestre tels des timbales, des gongs, des cloches plaques, une grosse caisse symphonique, etc. Tunnel sous la Manche (Under the Channel) était donc déjà paru sur la compilation de United Dairies avec d'autres pièces de Nurse With Wound, Soma et Hélène Sage, mais dans une version écourtée. C'est la première fois qu'on peut l'entendre dans son intégralité. Bernard est au piano et à la percussion, Francis à la guitare, au synthé (probablement un DX7), à la percussion et à la flûte. J'y joue du synthétiseur, mais je suis passé au PPG Wave 2.2 dont le timbre est d'une profondeur et d'une transparence inégalées ; je complète avec flûte, trompette et diffusion de bandes magnétiques ; on peut reconnaître des extraits du Trou (mais cette fois de Jacques Becker !) que je réutiliserai plus tard pour L'homme à la caméra, de même qu'ailleurs j'ai entendu des bouts de La règle du jeu de Jean Renoir, de Johnny Guitar de Nicholas Ray, et le témoignage d'un fou furieux de l'association Légitime Défense.
La durée des quatre bonus correspond à peu près à celle des quatre pièces originales du vinyle. Pour La peur du vide, Légitime défense et Le directeur paiera pour ses crimes, Bernard joue évidemment de la trompette, mais aussi de la trompette à anche (une de ses innombrables inventions), du violon, de la double bombarde (encore une de ses facéties), des timbales, etc. Francis est essentiellement à la guitare, mais cela ne l'empêche pas d'utiliser synthé, basse et percussion. Quant à moi, en plus du PPG je m'assois au piano, souffle dans trompette, trombone, flûte et guimbarde, et diffuse toujours de drôles de bandes avec un magnétophone à cassette.
Ces quatre inédits auraient pu constituer à eux seuls un album. Je les aime autant que les quatre pans de Rideau !. L'époque était particulièrement inventive, pas seulement chez le Drame. En 1983 nous n'enregistrions plus de disque en trio, accaparés par notre grand orchestre avec lequel nous avons réalisé coup sur coup À travail égal salaire égal, Les bons contes font les bons amis, L'homme à la caméra, et quantité de ciné-concerts, genre que nous avions remis à la mode dès 1976. Bernard n'est plus de ce monde, mais Francis et moi sommes très heureux de cette réédition augmentée. De même que nous avions dédié le vinyle Rideau ! au contrebassiste Beb Guérin qui venait tristement de mettre fin à ses jours, nous aurions pu dédier ce CD à Bernard Vitet qui nous manque cruellement et auquel nous pensons quasi quotidiennement l'un et l'autre.

→ Un Drame Musical Instantané, Rideau !, CD, Klang Galerie, 16€

mercredi 25 janvier 2017

L'ail noir


Il aura fallu quelques amis pour en arriver là. À commencer par Koonkwan qui prépare ces délicieux aulx noirs que son fils Sun Sun rapporte de Hong Kong chaque fois qu'il rend visite à ses parents. Il faut les têtes les plus grosses possibles, mais l'ail que l'on trouve là-bas n'a qu'une seule gousse, de la taille d'une châtaigne. La recette semble simple, puisqu'on les laisse cuire dans une marmite à feu très très doux et constant pendant 12 jours minimum. Un autocuiseur style rice cooker fait très bien l'affaire s'il possède la fonction "maintien au chaud". Koonkwan dépose les aulx sans eau du tout alors que Wikipédia suggère de les confire "à l'eau de mer à haute température, ou à basse température (60 à 80°) dans une enceinte humide (70 à 90 %) durant 2 à 3 semaines". Variante surprenante, d'autant que Sun Sun me raconte que son père essuie deux fois par jour l'humidité à l'intérieur du récipient. Pour éviter le contact avec le métal il place les gousses dans un petit panier de bambou. On peut aussi en empiler des couches en les séparant par du bambou tressé aux larges mailles. Après l'avoir laissé reposer il se conserve très bien. Il ne reste plus qu'à l'éplucher pour déguster ce mets divin, un véritable bonbon qui fond dans la bouche, sucré naturellement, au parfum complexe qui rend songeur. Les japonais disent qu'il a le goût d’umami, la fameuse cinquième saveur présente dans la sauce de soja.
L'ail noir qui a confit ainsi, caramélisation connue sous le nom de réaction de Maillard, est vendu très cher, entre 6 et 10 euros la gousse ! On peut le faire soi-même si l'on ne craint pas que l'odeur d'ail hyper puissante n'envahisse la maison. C'est un peu comme les fumoirs à poisson, mieux vaut le reléguer au fond du jardin... L'ail noir produit évidemment quantité de bienfaits pour la santé qu'il serait trop long d'énumérer ici. Les Chinois se passionnent toujours pour les qualités médicinales des aliments. Même si le terme est plus adapté à certains dont les bienfaits sont innombrables, j'ai l'impression que tout ce qu'on mange peut être ainsi qualifié d'alicament ! Théo prend donc en photo l'une de ces merveilles dont Sun Sun nous régale avec dans le fond Pascal qui nous avait concocté un délicieux sauté de veau et des poires au vin. Comme tous ces amis habitent sur le trottoir d'en face, c'est vous dire si nous avons de la chance, les uns et les autres, car notre logis n'est pas en reste quand nous les recevons à notre tour. Il n'empêche que les repas de Sun Sun sont chaque fois mémorables par la variété des plats qui s'accumulent et se succèdent. Si mon réfrigérateur est un frigidaire de Chinois, j'apprends néanmoins chaque fois que nous allons ensemble faire nos courses à Belleville...
De mon côté je fréquente également la rue Sainte Anne où je trouve d'excellents produits coréens ou japonais, en particulier chez ACE, moins cher que beaucoup d'autres magasins du quartier de l'Opéra. Cette semaine je suis allé faire un tour chez K-Mart pour rapporter des banchan comme la pieuvre et des calamars crus pimentés dont je raffole !

mardi 24 janvier 2017

Tête en l'air


Dans la nuit glacée. Dans la ville déserte. Pas âme qui vive. Pas un chat. Pas à pas. Nez en l'air. Les toits. Fumée. Le temps n'existe plus. Le temps qu'il fait. Le temps passé. Le temps de voir et d'écouter. La nuit des temps. Ne plus bouger. Un peu. À l'œil. Bruit sec dans le froid. Disparaître. Avancer. Doucement. Observer. Un cygne. Mémoire. Des gants. Il suffit de souffler trois fois dans ma capuche pour que mes oreilles se réchauffent. Mais le plus étonnant vient d'ailleurs. De ma voix. Dans le grave. J'ignore encore pourquoi j'ai émis ce son soufflé sur le houx. Pour me donner du courage ? Pour souligner les pas ? Pour me réchauffer ? Comme ça ? Sur ce son, mais seulement sur ce son, toute la capuche, mais alors toute la capuche, entre en résonance. Sans aucune possibilité de le dupliquer. Battent les tempes. Je suis mon unique auditeur. Le spectateur d'une scène étrange. J'avance le long de l'Ill au son répété de ce grave qui m'envahit comme une torpeur. Une drogue. Y ai mis un terme de peur de suffoquer. La chaleur autour de mon crâne fait exploser le thermomètre. Fais sauter les pressions des boutons. Bascule ma capuche sur la mire asymétrique de l'éléphant Elmer. L'air file. Vivifiant. Ranimé. Intransmissible.

lundi 23 janvier 2017

La La Land, variation virtuose d'un standard


La La Land est bien parti pour faire un carton cet hiver. Déjà doté de 7 Golden Globes et de quantité d'autres prix, le troisième film de Damien Chazelle qui sort mercredi en France est en lice pour les Oscars. Dans cette période glaciale de l'année où la population étale sa déprime, après ou avant les absurdités électorales dont les démocraties cyniques ont le secret, cette comédie musicale pourrait bien bénéficier de ce qui permit en son temps à Amélie Poulain de crever le plafond. Pendant et après sa projection je ne pus m'empêcher de me poser quelques questions sur les antécédents qui l'ont explicitement inspiré.
Il est indéniable que Chazelle fait preuve ici d'une grande virtuosité chorégraphique, sa caméra formant un trio vertigineux avec ses deux protagonistes interprétés par Emma Stone et Ryan Gosling. Les plans séquences virevoltants s'enchaînent comme des perles tout au long des deux heures d'un film dont les emprunts à ceux de Vincente Minnelli et, plus encore, de Jacques Demy sont omniprésents, par le scénario, les costumes, les décors, la musique, etc. Les compositions de Justin Hurwitz raviront les amateurs de jazz comme la qualité d'interprétation des deux étoiles hollywoodiennes, mais il est impossible de ne pas comparer avec les originaux cette nouvelle variation d'un standard de la comédie musicale, d'autant qu'elle emprunte ses ressources à des œuvres du siècle précédent.
Tout d'abord, La La Land ne souffre pas de l'antipathie radicale que procura à tous les musiciens son précédent Whiplash, combat sado-maso qui ne sut conquérir que celles et ceux qui ne connaissent rien au jazz en en donnant une interprétation épouvantable et stupide. À croire que Chazelle, malgré son succès, encaissa les critiques de ceux qu'il encense au point d'éviter soigneusement cette fois toute polémique. Il va même jusqu'à les anticiper, et donc s'en justifier, en soulignant le côté rétro de l'entreprise lorsque Keith joué par John Legend explique à Sebastian (Ryan Gosling) que ce qui était révolutionnaire chez Kenny Clarke ou Thelonious Monk ne l'est plus chez ceux qui s'en réclament aujourd'hui par tradition.


Or La La Land est incroyablement calqué sur Les demoiselles de Rochefort, des couleurs pétantes aux mélodies en passant par le scénario. Une jeune comédienne qui veut réussir, un musicien intègre, des rencontres en ruptures, quatre filles aux robes flashy bleue, jaune, rouge, vert, des suites de notes où l'on reconnaît la Chanson de Simon Dame (et accessoirement la musique de Jean Constantin pour Les 400 coups de Truffaut), etc., mais Los Angeles n'est ni Rochefort ni Cherbourg. J'évite de "spoiler" le film, car les similitudes sont légion. Lorsque Chazelle s'échappe de son système référentiel, il expose de jolies idées qui lui sont propres, en particulier de subtils jeux de lumière, nous permettant d'espérer que le jeune réalisateur indubitablement doué saura s'en affranchir à l'avenir.
On peut être aussi fasciné par les mouvements d'appareil qu'énervé par une esthétique tape-à-l'œil digne des clips vidéo. Différence notable entre le maître et l'élève, Chazelle reste focalisé sur l'extraordinaire Emma Stone et son faire-valoir Ryan Gosling alors que Demy savait jouer d'une huitaine de personnages entremêlant leurs histoires pour créer une dialectique qui fait défaut au duo polarisateur. De même, Demy suggérait un passé à ses personnages quand Chazelle ne peut que se référer à son modèle. La La Land apparaît alors comme un exercice de style, une variation virtuose mais superficielle de la comédie musicale, comme il existe quantité d'interprétations des standards de jazz, incapables de faire oublier les originaux, malgré le savoir-faire des jeunes générations.
Il serait néanmoins dommage de bouder le plaisir que ce film charmant et distrayant procure, plein d'entrain et d'un romantisme à l'eau de rose, rayon de soleil dans une époque bien noire. Mais si l'on veut changer le monde, il faudra évidemment aller voir ailleurs.

P.S.: Paule Zajdermann m'indique le formidable travail de comparaison de Sara Preciado révélant la supercherie :

vendredi 20 janvier 2017

Qui suis-je ?


Qui suis-je ? Ce n'est pas un portrait chinois, mais une interrogation légitime que chacun, chacune se pose de temps en temps en se regardant dans la glace. En vieillissant on reconnaît parfois l'un de ses parents. Certains soirs on croit voir le jeune homme ou la jeune femme que nous avions été ou que nous avions rêvé d'être. D'autres matins on voit, comme disait Cocteau, "la mort travailler comme les abeilles dans une ruche de verre". On peut aussi s'y atteler chaque jour, comme je le fais dans cette colonne, sachant bien que j'aurais beau écrire sur tous ceux et celles dont les œuvres suscitent ma solidarité je ne fais que dessiner mon portrait en creux.

" Au bout de quelques jours où le téléphone ne sonne pas je me demande pourquoi tant de musiciens que j'ai invités me renvoient rarement l'ascenseur. J'ai rêvé qu'ils ou elles m'invitent sur scène ou en studio. Mais savent-ils ce qu'ils pourraient me demander ? Peut-être mon instrumentation est-elle trop étrange ? A-t-on jamais vu un pupitre de guimbarde ? Les sons électroniques sont-ils trop abstraits pour être imaginés ? Les bruitages qui font sens effraient-ils celles et ceux qui préfèrent rester dans le flou ? Il existe si peu de camarades à pratiquer les machines que j'ai appris à apprivoiser. Mon ancienneté est-elle encore trop récente ou fais-je déjà figure de dinosaure ? Dois-je continuer à souffrir de cet avant-gardisme systématique qui me tient éveillé ? Un ami producteur me confia un jour qu'à la vue de ma réussite matérielle personne ne pensait que je ressente le besoin d'être sollicité. Est-ce le lot des meneurs de se voir laissés à leurs œuvres ? Être un agitateur ou un indépendant isolerait forcément ? Combien d'artistes au profil proche du mien se trouvent confrontés à la même alternative : il leur faut être à l'initiative des choses s'ils veulent continuer à exister.
Ce n'est pas parce que je m'intéresse aux autres et que je défends leur travail que j'endosse la veste du journaliste. J'ai toujours rappelé que les qualités qui permettent de continuer sont la persévérance et la solidarité. La persévérance se comprend d'elle-même. La solidarité est une démarche essentielle pour ne pas s'enfermer dans une tour d'ivoire ou une cabane au fond des bois ! Face aux mauvaises nouvelles qui ne peuvent manquer de se produire, les amis sont les seuls à vous empêcher de sombrer. Je leur dois tant. C'est aussi une valeur morale qui tient à mes jeunes années, lorsque l'imagination était au pouvoir et que les anciens ne craignaient pas de nous transmettre leur savoir. En partageant avec les plus jeunes j'apprends autant d'eux que je leur ouvre de portes. "

Ces propos avaient été probablement motivés par des projets annulés, faute de subsides. Je tournais en rond, pestant de ne pouvoir me rendre utile, pensée déplacée au vu de mon incessante suractivité ! Se sentir désiré aide à avancer. Mes articles quotidiens me donnent néanmoins la satisfaction d'avoir fait quelque chose, même les jours de vache maigre. Quelle impatience ! Aussitôt ces lignes ressassées le téléphone sonne et de nouvelles perspectives me sourient. J'ajoute que, parti transmettre (la bonne parole) à Strasbourg où les étudiantes sont pleines d'une énergie qu'elles me renvoient à leur tour, le doute se dissipe. Il n'empêche...

jeudi 19 janvier 2017

La Petite France


Le temps est plus clément que je ne l'avais imaginé alors que la météo annonce -10°C à Strasbourg. Comme j'ai l'impression d'être ailleurs dans ma doudoune à damier multicolore, je fais attention en traversant les rues qu'un tramway ne m'écrase pas. Je n'ai jamais oublié Gaudí. En tournant la tête complètement, sans faire bouger la capuche qui tient mes oreilles au chaud, mon œil gauche voit à droite et le droit à gauche. Le conducteur aurait néanmoins du mal à ne pas m'apercevoir. Ce sont toujours des Africains ou de vieilles dames qui me complimentent sur mon accoutrement. Je ne m'attendais pas à réunir autant de suffrages, enfoncé dans mon duvet portable qui me fait ressembler à Arlequin, l'éléphant Elmer ou un Rubik's Cube.
Le trajet en TGV n'a duré qu'une heure quarante cinq minutes alors qu'il y a quelques années il fallait quatre ou cinq heures. La frontière est la porte à côté. Sur le chemin de l'hôtel je passe saluer Philippe Ochem qui fête la fin de son festival de jazz dans un bar à bière où nous étions allés avec Birgitte et Linda lorsque nous avions joué La chambre de Swedenborg au Musée d'Art Moderne et Contemporain il y a déjà cinq ans. Chaque membre de l'équipe de Jazzdor a choisi un livre qu'il ou elle a aimé cette année pour fêter les soixante ans de Philippe. Le carton, terriblement lourd, déborde de merveilleuses promesses.
Si ma famille est originaire d'Alsace, je viens toujours à Strasbourg pour la musique ou pour enseigner à l'HEAR (Haute École des Arts du Rhin) que l'on appelait autrefois les Arts Décos, mais qui a fusionné avec l'École supérieure d'art de Mulhouse (Le Quai) et des enseignements supérieurs de la musique du conservatoire de Strasbourg. Toujours invité par Olivier Poncer, cette fois pour les sections Didactique Visuelle, Communication Graphique et Illustration, je commencerai demain matin par "ma vie, mon œuvre", puis je suivrai des ateliers dont le thème est cette année Léonard de Vinci. Notre Machine à rêves est au goût du jour !
En 1983 le grand orchestre du Drame avait créé L'homme à la caméra de Vertov et la pièce de théâtre musical Chambre noire à l'occasion de la première édition de Musica. Nous sommes revenus pour un ciné-concert au MAMC en trio avec Bernard Vitet et le violoncelliste Didier Petit, puis en 2009 l'opéra Nabaz'mob avait occupé la salle historique de l'Aubette pour les Nuits Électroniques de l'Ososphère. Heureusement qu'il y a des festivals à Strasbourg et des étudiants curieux, sinon je me ferais encore plus rare.
Que le centre soit piéton, rempli de jeunes gens à bicyclette, rend cette ville toujours aussi agréable. Le quartier de la Petite France a quelque chose de mystérieux, entre le voyage dans le temps et un parc d'attraction désert. Il faut dire que c'est déjà la nuit. Je marche seul à la recherche d'un Winstub où dîner, mais les restaurants ferment tôt. Celui sur lequel j'avais jeté mon dévolu a totalement disparu. Un trou noir. J'avais heureusement grignoté une flàmmeküeche avec une blonde pression tout à l'heure à L'Abattoir. Le froid a fait chuter la batterie de mon iPhone. Sans repère, je n'avais plus le choix si je voulais manger quelque chose avant d'aller me coucher. La choucroute sera correcte, mais banale. En rentrant à l'hôtel j'ai récupéré un petit plan, à l'ancienne, un qui se plie. J'ai vérifié mon itinéraire pour demain matin en passant par la magnifique cathédrale gothique avant d'enjamber l'Ill.

mercredi 18 janvier 2017

Tout pour la gueule !


Parmi les merveilles potagères remontées du Gers par Valérie et Christophe lors de leur visite à Paris avec leurs enfants, ils avaient choisi la plus petite de leurs citrouilles. Elle pèse tout de même 8,4kg. Françoise en fait une soupe délicieuse, comme avec leurs butternuts qu'en France on appelle doubeurres, potimarrons et patates. Nos amis nous ont tant gâtés qu'ils ont dû monter en voiture plutôt que prendre l'avion ! Leur coffre au trésor recélait d'innombrables foies gras, pâtés, boudins, confits, palombes, une caisse de vin, de l'ail... Quelles ripailles ! Après leur départ nous continuons à nous régaler de ce que Christophe a mis lui-même en conserves ou bouteilles.
Les amis que nous hébergeons régulièrement nous gâtent chaque fois. La semaine dernière nous avons dévoré les palets beurrés à la cardamome et aux amandes cuits par Sacha, la confiture de poires d'été du Jardin de Coralie, des yuzus confits en attendant d'ouvrir le café Malabar Moussoné. Olivia, qui fait souvent ses propres confitures, comme celle de prunelles, avait apporté du thé Ballade en Flandres, du chocolat et des petites meringues molles aux parfums variés. Anna rapporte du pain noir de Cologne, des thés marrants et des friandises pour les chats. Armagan vient toujours avec d'étonnantes spécialités turques qu'elle a concoctées. Ella et Loïc savent que j'adore le piment et les trucs bizarres qu'ils envoient ou rapportent de tous les coins du monde. Raymond annonce les huîtres et encore du pinard tandis que Marine avait trouvé des ténébrions au curry du Sud-Ouest. Antoine fait sauter des châtaignes. D'autres apportent un bouquet de fleurs, même si celles-ci ne se mangent pas ! Quant à Sun Sun, nous traversons la rue pour nous goinfrer de la farandole de plats chinois qu'ils cuisine pendant des heures. Le vendredi matin nous allons souvent ensemble à Belleville faire nos courses, en commençant par le magasin des Quatre saisons. Pendant qu'il termine chez Paris Store, je file à Super Tofu où les soupes, petits pâtés farcis et crêpes aux légumes salés sont délicieusement authentiques. J'alterne avec les magasins bios à Montreuil et aux Lilas, Istambul Market à Noisy-le-Sec et le portugais Primland à Romainville. Juste en face il y a un boulanger qui mérite le déplacement, sinon je m'arrête à la Gambette dans le 20e. Françoise s'occupe le plus souvent du marché des Lilas le dimanche et des rendez-vous avec l'AMAP de Bagnolet...

mardi 17 janvier 2017

Pink Floyd et Zappa, 48 ans plus tard


J'écris 48 ans plus tard, alors que le somptueux coffret de 27 disques du Pink Floyd s'appelle The Early Years 1965-1972, commençant donc quatre ans plus tôt si je sais encore compter. Il est certain que le calcul mental se perd chez les nouvelles générations ! Donc en 1965 je n'en étais encore qu'aux Beatles et aux Rolling Stones, achetant leurs 45 tours lors de mes séjours britanniques, envoyé par mon père qui pensait à juste titre que les voyages forment la jeunesse*. C'est seulement en 1969 avec More, la B.O. du film de Barbet Schroeder, puis Ummagumma, que je deviens fan du Floyd en même temps que de Soft Machine. Ils font alors figure de groupe expérimental, psychédélique et planant. De plus Rick Wright joue comme moi sur orgue Farfisa, alors que Mike Ratledge (Soft Machine) possède un Lowrey avec une distorsion qui me renverse et Keith Emerson (Nice) un Hammond plus classique qu'il renverse. J'ai lâché très vite, le groupe perdant progressivement sa légèreté et l'inventivité de ses débuts au profit d'un son plus banalement rock. Si je m'interdis d'acheter le coffret à près de 500 euros, il n'empêche que leur première période est la seule qui m'ait vraiment passionné, que ce soit avec Syd Barrett sur les deux premiers albums ou sans lui pour les deux suivants.
Mais dès l'été 1968 mon idole est Frank Zappa. Il incarne le déclic qui me fera faire de la musique et devenir compositeur. J'ai raconté mon voyage au Festival d'Amougies où je l'y enregistre avec le minuscule magnétophone portable de ma petite sœur et comment mes bandes feront le tour de la planète en toute illégalité. J'avais eu la chance de voir à Paris le long métrage de 3h30 réalisé à cette occasion par Jérôme Laperrousaz et Jean-Noël Roy, produit par Jacques Zajdermann, le père de Paule. Il n'était resté qu'une semaine à l'affiche, interdit par Pink Floyd, le producteur du festival et des disques Byg, Jean Georgakarakos, n'ayant jamais obtenu les autorisations nécessaires, d'autant qu'il n'avait pas payé les musiciens ! En lisant que la jam session de Interstellar Overdrive avec le Floyd et Zappa figure sur le troisième DVD du nouveau coffret je suis excité comme une puce, car je n'ai jamais revu autre chose que quelques clichés photographiques de la rencontre. Roger Waters et Nick Mason auront donc enfin cédé à je ne sais quelles sirènes !
Si les films m'intéressent plus que les CD dans cette extraordinaire rétrospective, je suis à la fois ému et déçu par l'extrait d'Amougies. J'aurai attendu 48 ans pour revoir ces images prises sous le chapiteau où nous assistions aux concerts les plus merveilleux, enfouis dans nos sacs de couchage. Mais, contrairement à nombreuses autres séquences, le son est à peine meilleur que mon enregistrement bien que ce soit Antoine Bonfanti qui s'en soit chargé, et, plus grave, l'extrait ne présente que la première moitié de l'improvisation alors que c'est dans la seconde que le morceau prend son envol. Je réalise seulement aujourd'hui que Zappa n'a que 28 ans lorsque je saute les barrières pour le rencontrer. J'avais assisté au concert des Mothers of Invention à l'Olympia un an plus tôt dans une salle clairsemée. Il m'apparaît alors comme un adulte, car je n'ai que 16 ans quand je l'abreuve de questions, sympathie qui me permettra de lui donner un petit coup de main les deux années suivantes.
S'ils sont d'un intérêt inégal, répétant parfois les mêmes morceaux, leur exhaustivité rappelle ou dévoile une époque où la télévision montrait une ouverture d'esprit beaucoup large qu'aujourd'hui. Je me rends surtout compte que c'est plus pop que je ne pensais, et que l'improvisation libre de Interstellar Overdrive aura considérablement influencé mon jeu de clavier. De même, Set The Control For The Heart of The Sun orientera mon goût pour les mailloches et la transe. J'ai passé plusieurs jours à regarder les films d'un œil distrait, mais attentif. Je n'arrive pas à assister religieusement aux captations de concerts ni aux passages télé comme si c'était des films de fiction ou des documentaires de création, mais la musique déroule son flux ininterrompu pendant que je tape ces lignes...

→ Pink Floyd, coffret édition limitée The Early Years 1965-1972, 27 disques CD/DVD/Blu-Ray/vinyles/documents, 25 heures, Pink Floyd Records, à partir de 426,45€

* Jean-Jacques Birgé, USA 1968 deux enfants, roman augmenté sur iPad, Les inéditeurs, 2,99€

lundi 16 janvier 2017

Prévert Exquis


En guise de vœux pour 2017 nous avons choisi de vous offrir un avant-goût d'un travail en cours, soit une web-série de très courts métrages autour de l'œuvre protéiforme de Jacques Prévert. L'avertissement qui le précède est justifié par sa mise en ligne sur des réseaux sociaux où le son n'est pas automatiquement implémenté. Chacun d'entre nous s'est approprié ce Prévert Exquis, que ce soit Fatras (succession Jacques Prévert) et les productrices de Narrative ou l'équipe de réalisation composée d'Isabelle Fougère, Sonia Cruchon, Mikaël Cixous, Jérôme Pidoux et moi-même. J'en ai évidemment aussi composé la musique. En attente de décisions de certains des coproducteurs, nous avons décidé de passer à l'action en réalisant plusieurs épisodes où nous nous emparons des poèmes, collages, films, archives de Jacques Prévert avec une liberté de création qui a toujours fait ses preuves.


L'amour à la robote livre une vision prémonitoire du glissement progressif des machines vers l'intelligence artificielle et ses risques (dé)programmés, à la manière du Portrait n°1 de Luc Courchesne ou du film Her de Spike Jonze.

vendredi 13 janvier 2017

Mes guacamoles

...
Il y a dix ans j'avais eu l'idée de cuisiner les avocats de maintes façons. Ces derniers temps je me suis contenté de confectionner des guacamoles en en changeant chaque fois la composition, mais je pars évidemment des mêmes bases. Pour commencer je préfère les fruits venus d'Amérique du sud à ceux d'Europe ou du Moyen Orient. Ils sont plus gros, plus chers, mais leur noyau est beaucoup plus petit, ce qui au bout du compte les rend plus économiques, car un seul correspond à quatre des avocats que j'avais l'habitude d'acheter. De plus, ils sont souvent plus goûteux. J'ajoute forcément du citron jaune ou vert, et le plus couramment un demi oignon. Le reste est variable, selon mon inspiration et ce qu'il y a dans le réfrigérateur. Comme je n'achète plus de tomates depuis des années, j'en mets rarement. Je remplace le sel par un bouillon dashi ou certaines sauces de soja. Je varie les piments d'une fois sur l'autre, mais je les choisis plutôt verts. Quant aux herbes, cela dépend de ce que j'ai sous la main, coriandre, shizo, basilic chinois, etc. Pour atténuer l'acidité j'ai eu l'idée de toujours ajouter une cuillerée de miel, mais cette fois j'ai carrément mixé le tout avec une mangue fraîche.

jeudi 12 janvier 2017

François Sarhan, entre rock inventif et musique contemporaine


Marcher sur les pas de Frank Zappa est casse-gueule. C'est pourtant la première image qui me vient à l'écoute de L'Nfer (2006) du compositeur François Sarhan, et la réussite est exemplaire. Sur un récit de voyage à Londres raconté par le compositeur sans négliger les contrechamps, se greffe un arrangement musical qui suit la prosodie de la voix à la manière du Trésor de la langue du Québéquois René Lussier, technique utilisée également par Christophe Chassol. Mais Sarhan développe une écriture personnelle ponctuant dramatiquement le récit, remarquablement interprétée par l'Ensemble Ictus. Tout aussi découpé, mais avec une couleur plus jazz-rock, Orloff (2007) adopte le même système, cette fois avec son propre orchestre, CRWTH. Le documentaire fait place à une fiction de série B doublée en français et entrecoupée d'interruptions publicitaires. J'avais auparavant regardé des vidéos réalisées par Sarhan qui me semblaient plus kageliennes que zappiennes, mais les deux évocations quasi radiophoniques du CD Pop Up rappellent ici les fresques narratives du compositeur américain plus que les scénographies du provocateur argentin.
Même si elle s'appuie sur des sonorités et des rythmes issus du rock, il s'agit de musique savante. Que l'on ne s'y trompe pas, je range également Zappa dans cette catégorie, du moins pour ses œuvres les plus importantes ; j'entends par là des pièces qui s'écoutent sans rien faire d'autre, en opposition à certaines musiques populaires que l'on peut consommer en faisant la vaisselle par exemple, ou qui offrent le loisir de danser dessus.


L'album fondant Wandering Rocks et Commodity Music qui date de 2016, soit dix ans après Pop Up, soulève aussi la question de la façon dont la musique est "consommée" aujourd'hui. Sarhan regrette que l'on ne prenne plus le temps de l'écoute attentive, comme pour la poésie qui exige la même concentration. Écrite pour quatre guitares électriques, ici le groupe Zwerm, et 27 haut-parleurs diffusant des sons de synthèse réalisés avec le synthétiseur analogique SERGE à La Muse en Circuit, la version sur CD est réduite à une stéréophonie immobile alors qu'en représentation le public se promène au milieu du dispositif, voire dans plusieurs salles. Le projet initial plonge les spectateurs au milieu de haut-parleurs dont aucun ne diffuse la même source. Nous sommes ici plus proches des nouvelles musiques improvisées que du rock, la décomposition des formes construisant un nouveau parcours, plus abstrait que le précédent album.
Si j'ai cité Frank Zappa dont Sarhan est un des plus brillants héritiers, je me dois de suggérer le cousinage de L'Nfer avec le sublime Agitation d'İlhan Mimaroğlu pour ses montages cut qui font sens, critique politique loin de l'entertainment formaté. Wandering Rocks... est évidemment une expérience sensorielle que l'on aimerait partager dans un espace plus approprié que son salon. En explorant le site de François Sarhan ou les vidéos réalisées par le compositeur, on se rendra compte de l'étendue de son talent, ses inspirations l'amenant dans des contrées très différentes des deux albums chroniqués ici.

→ François Sarhan, Pop Up, CD, Sismal Records
→ François Sarhan, Wandering Rocks / Commodity Music, CD, label Muse

mercredi 11 janvier 2017

Chroniques pariétales, il y a 36000 ans


Le battage autour du film de Werner Herzog, La Grotte des rêves perdus (Cave of Forgotten Dreams) (2010), m'avait laissé dubitatif, et la 3D n'arrangeait rien à l'affaire de ce docucu très plan-plan. Je savais que Pierre Oscar Lévy avait réalisé plusieurs films une dizaine d'années auparavant et l'ignorance de la critique montrait comme d'habitude sa paresse. Encore eut-il fallu que ces documentaires soient accessibles. C'est chose faite avec la publication d'un coffret DVD où figurent trois d'entre eux, chacun durant une cinquantaine de minutes. Ils sortent au moment où les "inventeurs" de la grotte sont déboutés par la Cour de cassation, jurisprudence interdisant désormais toute possibilité de faire reconnaître un caractère inédit à des œuvres pariétales, brisant ainsi les velléités mercantiles et les exclusivités abusives.
La série s'articule avec suspense, La Grotte Chauvet, devant la porte (2000) ne nous offrant pas encore d'entrer à l'intérieur pour des questions d'autorisations. Les regards des heureux élus sortant par la petite entrée blindée en disent autant que les mots qu'ils profèrent. Ils reviennent avec des photos et des dessins, mais c'est seulement avec Dans le silence de la Grotte Chauvet (2002) que nous pouvons partager leur enthousiasme en descendant dans l'obscurité. L'écrivain, critique d'art et peintre britannique John Berger, décédé récemment, suit Jean Clottes et son équipe dans les salles ornées de 1000 dessins, gravures et peintures, dont 425 représentations pariétales animales de 14 espèces différentes, ours, fauves, mammouths, rhinocéros laineux, bouquetins, rennes, aurochs, mégacéros, loups, oiseaux, et remplies de certains de leurs squelettes. Nous ne pourrons jamais voir de nos propres yeux ce qu'ils découvrent, puisque la grotte ardéchoise est définitivement fermée au public. Une réplique réalisée grâce à un relevé de seize milliards de points, générant un clone numérique intégral, a été ouverte en avril 2015. Découvrir avec chaque spécialiste les merveilles picturales peintes à la main à la lumière de torches tient de la magie, mais il est important de comprendre que ces récits ne sont que les reproductions d'histoires dessinées à l'extérieur et forcément disparues sous les assauts du temps. La Grotte Chauvet, dialogues d'équipe (2003), nous permet de suivre les hypothèses de chaque spécialiste de l'équipe et les questions qu'elles suscitent. Comme les autres, ce troisième film a le mérite de ne comporter ni musique ni voix off. Nous pouvons ainsi suivre la visite comme si nous la découvrions avec eux pour la première fois.


Le petit film de 16 minutes ci-dessus agit comme la bande-annonce de ce triptyque incroyable qui nous renvoie aux traces les plus anciennes d'activités artistiques humaines. Les exploits des spéléologues et archéologues nous font frissonner. Deux des scientifiques que l'on suit dans les bonus ont disparu, Michel-Alain Garcia et Norbert Aujoulat, or ce dernier est à l'origine d'une thèse extraordinaire sur les peintures de Lascaux datant "seulement" de 17000 ans : d'une part les animaux représentant des femelles au moment de leurs chaleurs y dessineraient un calendrier de l'année, et d'autre part les étoiles peintes sur les parois montreraient leur position astrologique à cette époque reculée, suggestion qui retint alors le préhistorien moustachu de peur d'être considéré comme un mystique en quête d'horoscope ! On retrouve aussi Jean-Michel Geneste à la fin de Peau d'âme, dernier film de Pierre Oscar Lévy, sur les recherches archéologiques autour du tournage de Peau d'âne de Jacques Demy, qui sortira probablement en octobre 2017. Les découvertes auxquelles nous assistons au long des trois épisodes de ces Chroniques pariétales nous plongent dans des abîmes de perplexité, comme lorsque l'on admire de nuit la voûte céleste loin des lumières de la ville, mais ici c'est en nous enfonçant dans les entrailles de la terre que notre mémoire enfouie est révélée au grand jour.

→ Pierre Oscar Lévy, Chroniques pariétales - La Grotte Chauvet-Pont d'Arc, coffret 2 DVD avec 3 films et 8 bonus, 28,95 €

mardi 10 janvier 2017

Les dictatures hypocrites


Que l'on ne se méprenne pas, je sais parfaitement que si j'étais russe, chinois, syrien ou saoudien je serais mort ou en prison. Je n'en suis pas moins choqué d'entendre à tout bout de champ que ces pays sont des dictatures en opposition à nos démocraties exemplaires. Les donneurs de leçons feraient bien de réfléchir un peu plus loin que leurs frontières nationales. Car si à l'intérieur de leurs périmètres légaux les dites démocraties ne sanctionnent pas outre mesure le délit d'opinion et le multipartisme, qu'en est-il de leur implication dans leurs anciennes colonies ou lors de leurs invasions belliqueuses ? Comment concevoir la mise en place de dictateurs locaux en Afrique, en Amérique Centrale ou en Amérique du Sud avec l'appui des forces armées ou des services secrets des États Unis, de la France, de la Grande Bretagne, etc. ? L'assassinat systématique des dirigeants africains prônant l'indépendance de leur pays face à l'hégémonie des grandes puissances, ou encore la chute de Salvador Allende au Chili avec l'appui de l'aviation américaine, ne sont-ils pas une façon "d'exercer tous les pouvoirs de façon absolue, sans qu'aucune loi ou institution ne les limite", définition wikipédesque de la dictature ? La dictature de ces pays démocrates s'exercerait-elle exclusivement hors de leurs périmètres frontaliers ? Comment néanmoins ignorer les prisonniers politiques de Guantánamo ou les Black Panthers toujours en prison après 40 ans ? N'y a-t-il pas quelque hypocrisie à dénoncer les dictatures intra muros en évitant soigneusement d'évoquer les guerres menées explicitement ou secrètement contre des nations qui ne partagent pas les mêmes projets politiques ? Même en France, ne flirte-t-on pas avec le diable lorsque la police ne vous laisse sortir d'une manifestation qu'à condition d'enlever vos badges ? Ce n'est évidemment encore qu'une bavure, mais si l'on ne s'insurge pas aujourd'hui que peut-on espérer de l'avenir ? Quoi qu'il en soit, la condamnation des dictatures par les démocraties se cantonne honteusement à un système de repères nationaux en négligeant soigneusement ou étourdiment leur rôle à l'échelle de la planète. La troisième guerre mondiale se déroule en effet soigneusement hors des frontières des pays démocrates, à l'instar des États Unis lors de la précédente. Les attentats terroristes sur notre territoire n'en sont pour l'instant que des effets de bord. Je ne cherche évidemment aucune excuse aux uns comme aux autres, défendant ardemment une politique pacifiste qui prenne en compte les populations payant seules le prix de ces guerres strictement économiques sous couvert de religion ou de nationalisme. Les dictateurs que les médias nous désignent ne seraient-ils que les boucs-émissaires d'un monde cynique et criminel, ou des marionnettes aux mains des financiers tout-puissants qui décident du futur de notre monde ? J'irai plus loin : si l'on replace l'homme dans son environnement naturel, comment définir le rôle qu'il s'est octroyé face aux autres espèces ?

Illustration: Léon Gimpel, La guerre des gosses, Paris, 2 janvier 1916 © Collection Société française de photographie (coll. SFP)

lundi 9 janvier 2017

Vers la chaleur ?


Françoise a choisi de partir faire du ski pendant la seconde quinzaine de février. N'ayant aucune aptitude ni attirance pour ce sport, ni pour la neige et encore moins pour le froid, je préférerais aller voir dans un pays chaud si j'y suis. J'ai probablement été dégoûté par les sports d'hiver lorsque j'étais enfant, envoyé par mes parents en colonie de vacances. Je ne me souviens que des vingt minutes quotidiennes à défaire les lacets gelés de mes lourdes chaussures. Je sais que la technique a considérablement évolué, mais le seul attrait pour moi serait d'y observer les animaux sauvages. J'avais bien essayé le ski de fond, mais c'était encore pire. Glisser sur des rails sans pouvoir s'échapper sur les côtés m'avait procuré une sensation quasi claustrophobe. Comme la vitesse à fendre l'air n'a jamais généré chez moi de sensation de liberté je ne souhaite pas attendre toute la journée à la maison les skieurs partis s'éclater sur les pentes pyrénéennes. Évidemment le paysage de Lespone est magnifique enneigé, mais je crains de passer tout le séjour le nez dans ma liseuse ou sur un écran, sport que je pratique déjà toute l'année à taper ces lignes.
Le problème est que je n'ai aucune envie de partir seul découvrir le monde. Si je ne trouve pas de compagnon de voyage ou que je ne reçois pas d'invitation locale, je risque fort de rester à Bagnolet avec Django et Oulala, qui actuellement passent leur temps à copuler comme des bêtes, même si l'entreprise me semble un peu prématuré pour le petit. D'ici là les chaleurs de la chatte seront de l'histoire ancienne. Mon besoin de soleil sera par contre encore plus exacerbé dans un mois et mes vingt minutes de sauna chaque matin ne seront pas suffisants à apaiser ma soif de voyage. L'Asie a toujours été l'une de mes destinations favorites, pour des raisons à la fois paysagères, humaines et gastronomiques, mais je me vois bien m'envoler pour un autre continent. J'ai toujours senti la nécessité de visiter des pays où l'on ne parle pas ma langue. Le dépaysement me permet de regarder le monde sous un angle différent, que ce soit en vivant comme les autochtones ou en reconsidérant mon quotidien parisien banalisé par les habitudes. A part cela j'aime l'eau chaude et m'y baigner, les paysages sauvages qui rappellent mon humanité à son espèce de mammifère, et les couleurs éclatantes des populations qui ont d'autre préoccupation que de se plaindre !

vendredi 6 janvier 2017

Cette année sent le soufre


Avec des camarades nous préparons un drôle de petit film pour illustrer nos vœux que nous enverrons la semaine prochaine. C'est heureux, et même très heureux, parce que, sinon, j'aurais probablement évoqué l'odeur bizarre qu'exhale 2017. Pour la bonne année, rendez-vous donc la semaine prochaine, passez votre chemin, la suite n'est pas marrante. En tout cas cela commence mal, au milieu des fumeroles, même si cela pourrait s'arranger dans une conclusion en forme d'ouverture...

En France les présidentielles occupent tout l'espace politique et camouflent la misère du pays. La morosité ambiante est une chose, mais la pauvreté, les SDF, les reconductions à la frontière, les parquages d'immigrés sont un signe plus alarmant. Face aux lois régressives qu'impose le gouvernement socialiste et les projets assassins de la droite officielle il n'y a que le programme des Insoumis qui me fasse un peu rêver. La personnalité de Mélenchon en irrite plus d'un, mais les médias aux mains du pouvoir, et plus précisément des milliardaires, banquiers et marchands de canon qui les possèdent tous, dessinent un portrait à charge en focalisant tout sur lui plutôt qu'analyser les propositions élaborées avec les Insoumis. J'exprime alors que cela sent le soufre, parce que si la probabilité d'une victoire se profilait, je crains les pires coups fourrés, directement sur la personne ou indirectement sur l'opinion publique.
À l'étranger c'est autrement pire. On suffoque. Entre l'ultralibéralisme d'un impérialisme absolu et la répression cul béni qui prendrait bien modèle sur le précédent, ne me demandez pas de choisir pour Trump ou Poutine. L'Iran d'un côté, le Qatar et l'Arabie Saoudite de l'autre, ils se partageraient bien la nappe de gaz, mais ils sont tous prêts à sacrifier leurs populations pour le tuyau qui acheminera le produit à travers la Syrie. Les divergences entre la quantité de milices chiites et sunnites aboutiront à un carnage avec une épée de Damoclès à la mode lybienne où il n'y a même plus de gouvernement, éclatement tribal qui rappelle le Liban et ses 18 confessions religieuses sans que cela empêche les riches Saoudiens de s'en servir hypocritement comme lupanar... Pas besoin de faire le tour de la planète pour savoir que l'époque n'est pas sur le chemin d'une paix salvatrice.
La planète ! Alors là, on frise le délire. Les glaces polaires fondent. On chauffe là. On refroidit ailleurs. Les courants sont déviés. On submerge comme annoncé. Et l'on zigouille les autres espèces à tours de bras. Sympa l'époque ! Alors on fait quoi ? On déboise, on assèche les terres, on s'intoxique. Il va falloir une bonne dose de volontarisme cynique pour faire semblant que les années qui viennent seront bonnes.
Manière de voir. Pouvons-nous considérer qu'elle sera joyeuse si la résistance est euphorisante ? Nous n'avons pas d'autre ressource que d'agir chacun, chacune, à son niveau, dans un travail de proximité. On commencera par ses proches, on agrandira le cercle à ses voisins, puis aux cousins des voisins, peut-être bien que l'on s'intéressera à ce qui se passe ailleurs, en Grèce ou en Nouvelle Guinée Papouasie ? Nous avons quantité de frères et de sœurs partout sur les continents et dans les îles, des combattants pour la vie qui ne peuvent concevoir de s'entretuer au profit de quelques salopards qui jouent la concurrence et la zizanie pour s'empiffrer toujours plus et accumuler au delà de leurs besoins, fussent-ils même délirants. Pour s'en débarrasser je ne vois qu'un excès de solidarité entre les uns et les autres, entre les hommes et les femmes, entre les peuples, et repensons notre approche de la nature dont nous nous sommes arbitrairement exclus pour la conquérir. Mais à quel prix ? Vivre est à la portée de tous et toutes. Encore faudra-t-il changer nos mauvaises manières... Aussi vous souhaiterai-je dores et déjà une année de bonnes manières, que vous en soyez les auteurs ou les bénéficiaires !

jeudi 5 janvier 2017

La cornemuse et le robinet


J'aurais pu vous parler du nouveau CD qu'Erwan Keravec a intitulé Sonneurs, soit un quatuor d'instruments traditionnels bretons interprétant des partitions du XXIe siècle, mais ma nuit avait été perturbée par un problème de robinets. Si je ne m'étais pas inquiété de celui du jardin dont le pas de vis est enfoui sous une pâte informe, j'aurais développé une analyse des cinq pièces de l'album à commencer par la première, ma préférée, composée par Wolfgang Mitterer sur une commande du Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper. Où trouver demain un chalumeau si le métal venait à casser ? D'où proviennent les graves percussifs de ce Run qui coule insatiablement des tuyaux de la cornemuse de Keravec, de la trélombarde de son frère Guénolé, de la bombarde d'Erwan Hamon et du biniou koz de Mickaël Cozien ? Si je n'avais ressassé toute la nuit la fuite d'un second robinet, au second étage, à savoir si je me déciderais à démonter celui-là moi-même ou attendre la venue d'un plus bricoleur, j'aurais évoqué les quatre autre pièces, successivement dûes à Susumu Yoshida, Bernard Cavanna, Erwan Keravec et Samuel Sighicelli. Elles feront probablement grincer les dents des classiques plombiers, mais raviront les adorateurs du nouveau. J'ai donc pris la voiture pour en acheter un tout neuf puisque l'ancien m'avait craché à la figure lorsque je l'avais démonté, couché sur le dos. Il y avait deux arrêts et non un seul comme je l'avais supposé, d'où la douche, avec signe de reprise. Tandis que je maniais la clef anglaise et le seau suédois, les quatre Bretons glissandaient dans des flaques de dissonances, attaquaient les résistances continentales, remontaient les bretelles des modes en laissant filer les bourdons. J'en ai profité pour vider le syphon. Il y avait de l'eau. Mais plus d'air que d'eau. Dehors il pleuvait. Dedans ça sonnait le Finistère. Je n'en verrai le bout que demain, lorsque les points cardinaux se seront rejoints au calvaire, là où les langues se délient, où les problèmes de robinets n'ont plus cours, pour que je puisse enfin voir le bout du tunnel.



→ Erwan Keravec, Sonneurs, CD, Offshore/Buda Musique, dist. Socadisc / Au Centre Pompidou le 4 février 2017 !

mercredi 4 janvier 2017

Turn Up Caravaggio


La stéréo panoramique de Caravaggio nous fait tourner la tête. Leurs tempi rapides nous entraînent vers un monde mécanique où l'on pourrait reconnaître Les temps modernes de Chaplin ou le début du Testament de Dr Mabuse de Fritz Lang, et les timbres de collection traversent la planète avec la rage du Tranceperceneige de Bong Joon-ho.
Avec Turn Up, leur troisième album, le quartet dessine, arbitrairement et sans chronologie, l'histoire du rock, longtemps appelée pop-music en France, en sept morceaux qu'ils assimilent à l'art rock. Ils développent chaque fois des séquences articulées où le blues, le hard-rock progressif, le psychédélique planant se mêlent au krautrock, à la jungle ou à l'électro. Aucun des parcours de chacun ne laisse pourtant penser à un come back, si ce n'est de leurs amours adolescents, puisque le batteur Éric Échanpard et le bassiste Bruno Chevillon viennent du jazz et des musiques improvisées, et que le claviériste Samuel Sighicelli et le violoniste Benjamin de la Fuente sont issus des musiques contemporaines et expérimentales.
Avec ses fûts accordés et ses cymbales ciselées, Échampard mène une course contre la montre, horloge implacable du synthétiseur. À la basse ou à la contrebasse, Chevillon laisse tomber des blocs telluriques en insérant des effets électroniques que lui offre son puzzle de pédales agencées. Soliste ici plus lyrique que mélodique, De La Fuente strie le ciel de saturations guitaristiques en remontant ses manches. Sighicelli intègre des échantillons radiophoniques ou cinématographiques à ses touches noires et blanches. Leurs voix à tous les quatre ne sont plus alors que murmures qui susurrent de se laisser porter par le flux électrique. La septième et dernière pièce retourne à la nuit dans un turn out libérateur de toutes ces énergies.
J'ai beaucoup aimé ce disque où j'avoue reconnaître pas mal de mes aspirations compositionnelles lorsque les alliages servent le propos. Il est probable que sur scène le groupe se livre à des variations plus libres que sur leurs précédents répertoires, le jeu d'ensemble laissant à chacun le soin d'apporter sa pierre à l'édifice.

→ Caravaggio, Turn Up, CD, Label La Buissonne, dist. PIAS, sortie le 24 février 2017

mardi 3 janvier 2017

Les Sans Radio de l'Est parisien retrouvent les ondes, en numérique !


Après que Françoise m'ait offert un poste de radio numérique, j'ai remisé mon tuner FM et je profite du son limpide de mon nouveau joujou. Jusqu'à très récemment 200 000 habitants de Bagnolet, Montreuil, Paris 20e, Les Lilas, Romainville ne recevaient pas les stations diffusées par Radio France. Les émetteurs des chaînes privées situées sur le toit des Mercuriales les étouffaient, transformant les environs de la Porte de Bagnolet en Triangle des Bermudes. Après quatorze ans, la lutte des Sans Radio de l’Est parisien a porté ses fruits. Grâce à une autorisation du CSA, depuis juillet et à titre expérimental, il y a désormais moyen de (ré)écouter France Musique, France Culture, France Inter, France Infos, FIP, Radio Bleue et Le Mouv grâce à un émetteur en Radio Numérique Terrestre (DAB+), ainsi qu'une trentaine d'autres stations accessibles en RNT sur Paris. En installant son émetteur numérique en haut des tours, l’opérateur TowerCast réalise une première nationale, car nulle part ailleurs on ne peut écouter FIP ou France musique en DAB+, et cela se passe dans l'Est parisien !

Sur le Blog des Sans Radio Michel Léon explique :
La Radio numérique terrestre (RNT) est une nouvelle technologie de diffusion d’un signal audio par voie hertzienne sous forme digitalisée. Au niveau européen, la RNT se généralise : la Norvège vient d'abandonner la FM à son profit ! En France, après plusieurs expérimentations, elle est apparue à Paris, Lyon et Marseille en juin 2014, sans la plupart des grandes radios, en particulier sans celles du groupe Radio France. Mais, tout récemment, le CSA a accordé une autorisation expérimentale pour le groupe Radio France et exclusivement dans l’Est parisien. (...)
Contrairement à la radio analogique hertzienne (AM ou FM), où le son sous forme de signal électrique est transporté tel quel dans l'onde porteuse, la radio numérique envoie un son qui est d'abord numérisé, puis compressé, afin d'être transmis en optimisant la bande passante. La radio numérique terrestre (RNT), petite sœur de la télévision TNT, fonctionne sur le principe d'une fréquence allouée à la chaîne de radio (en fait à un « bloc » constitué d’une poignée de stations partageant la même fréquence au sein d’un « multiplex »), mais celle-ci est unique à l'échelle nationale. Contrainte de cette technologie, la Radio numérique terrestre nécessite, pour être réceptionnée, un équipement spécifique : un poste de radio adapté à la technologie numérique.
Le principal avantage pour l’auditeur réside dans une qualité du son améliorée par rapport à la radiodiffusion analogique (rapport signal/bruit, bande passante, et diaphonie bien meilleures, absence d'interférences entre stations par rapport à l’AM ou la FM). Le principal inconvénient (toujours pour l’auditeur) est un risque d'absence de signal (décrochage) dans les zones à réception difficile. Avec le numérique, soit le signal passe, soit il ne passe pas. En analogique, on pouvait écouter un signal dégradé. Pas en numérique. Toutefois, il est à noter qu'un signal numérique est bien moins sensible aux interférences du fait de la correction d'erreurs. À l’échelle réduite de nos quartiers, le signal est suffisamment puissant pour que le problème ne se pose pas.
L'association des Sans Radio a négocié avec la marque britannique Pure et propose plusieurs modèles de postes de radio RNT (tous captent aussi la FM). Si vous passez par l’association, vous bénéficiez d’un tarif «professionnel» (vous pouvez commander plusieurs postes).

Mon Evoke F3 est Bluetooth, contrôlable à distance avec la télécommande, mais aussi avec mes iPhone et iPad. Il permet d'écouter aussi leur contenu, à côté du numérique et de la FM, ainsi que Spotify pour ses abonnés. Il existe des modèles sur piles, et tous possèdent un haut-parleur monophonique, ou stéréophonique en plus de la sortie stéréo.

lundi 2 janvier 2017

Les films de sabre de Maître King Hu


Je ne m'y connais pas beaucoup en films de sabre, le wuxia, mais j'ai été subjugué par le talent de King Hu devant les trois heures de son chef d'œuvre de 1970, A Touch of Zen. Il s'en dégage un très grande poésie, par delà les combats acrobatiques, inspirés de l'opéra chinois, et la nature envoutante. Thriller politique, le film esquisse également une idée du bouddhisme. La remasterisation 4K fait ressortir les couleurs de la magnifique photographie...


Dans le même coffret Blu-Ray, Carlotta propose Dragon Inn de 1967. Les arts martiaux sont moins délirants que dans A Touch of Zen, mais King Hu lance des traits d'humour comme les flèches que les acteurs attrapent à la volée à pleine main. La musique ponctue l'action de manière très inventive, comme souvent dans le cinéma asiatique. Le film ravira tout autant les amateurs d'aventures et d'action que les férus d'histoire chinoise ancienne. Tsui Hark (Il était une fois en Chine, Seven Swords), Ang Lee (Tigre et Dragon), Zhang Yimou (Le secret des poignards volants), Jia Zhang-ke (A Touch of Sin) ou Hou Hsiao-hsien (L'assassin) ont été très influencés par ce cinéaste qui révolutionna le genre.


Le documentaire d'Hubert Niogret, King Hu (1932-1997) n'apporte hélas pas grand chose à l'édifice, Carlotta nous ayant habitués à des bonus plus originaux. Mais tout cela m'a donné envie de regarder d'autres films de sabre de King Hu, comme L'hirondelle d'or (1966), L'Auberge du printemps (1973) ou Raining in the Mountain (1979).

Coffret King Hu : Dragon Inn + A Touch of Zen, 2 Blu-Ray + 1 DVD sur King Hu, Carlotta, 40,13€