Lenz est un concerto pour 3 solistes et un ensemble muet. Le troisième protagoniste, avec l'extraordinaire Agnès Sourdillon et Olivier Dutilloy que je connais déjà, est la partition sonore de François Leymarie, efficace et discrète suite de drones soutenant le texte de Georg Büchner, entrecoupés de rares chutes de blocs calées sur la diction des deux comédiens. Sept figurants se laissent aller à quelques lents mimes discrets pour meubler le décor de la première partie resté en place. La neige continue de tomber. Le morceau de résistance est en effet la comédie satirique de Jakob Michael Reinhold Lenz, Les soldats, à laquelle j'avais assisté dans sa magnifique adaptation opératique du compositeur Bernd Alois Zimmermann en 1977. Je garde un souvenir mémorable de Pierre Boulez en dirigeant la création française sous la forme d'une symphonie vocale à l'Opéra de Paris avec Phyllis Bryn-Julson.

Cette fois-ci la metteuse-en-scène Anne-Laure Liégeois en propose une nouvelle traduction pour son adaptation à 16 comédiens. Le texte de Lenz écrit en 1776 est d'une incroyable modernité, mais aussi d'une cruelle actualité puisqu'il fustige à la fois la différence de classes et le sort que les hommes réservent aux femmes. Le talentueux et facétieux compositeur Bernard Cavanna réussit le tour de force de faire jouer l'ouverture et le finale en fanfare à l'ensemble de la troupe tandis qu'Alexandre Prusse est au bandonéon pendant les deux heures que dure la pièce. Liégeois montre que ni la Révolution, ni les deux siècles qui ont suivi n'ont changé grand chose à l'arrogance des riches et à leur mépris des pauvres comme à l'oppression masculine... Les soldats incarnent forcément cette brutalité imbécile qui caractérise le genre humain. La pièce tombe à pic dans la polémique autour de #metoo et #balancetonporc, version actuelle de la promotion canapé ! Après l'entr'acte, même si elles sont passionnantes, les 50 minutes du portrait de Lenz que Büchner écrivit en 1835 sont dures à mon coccyx et je ne fais qu'entrevoir la folie de Lenz sublimant le monde qu'il fuit et le poussant à se martyriser. Pour lui la neige continue de tomber.

La troisième partie, totalement imprévue, se déroule dans la rue lorsque nous voulons récupérer notre véhicule au Parking de la Ville géré par la société privée Indigo, leader mondial du stationnement ! Les accès par l'escalier ou l'ascenseur ne fonctionnent pas. Les préposés qui répondent à l'interphone sont incapables de débloquer les portes. Sous la pluie, heureusement il ne neige plus, nous parvenons à trouver une issue salvatrice. À la sortie le robot exige 5 euros alors qu'un panneau stipule que c'est gratuit jusqu'à 0h15. Les précédents chauffeurs, impatients après l'attente au dehors, paient sans sourciller. La personne qui me répond n'est pas au courant, mais devant ma détermination elle finit par lever la barrière pour que nous puissions regagner nos pénates. C'est beau le progrès ! Là aussi rien n'a changé depuis l'octroi...

Les soldats & Lenz, JMR Lenz & Georg Büchner, mise en scène et scénographie Anne-Laure Liégeois, Théâtre 71 de Malakoff jusqu'au 2 février 2018.