J'ai croisé hier soir un jeune musicien qui n'avait pu honorer son concert et pour cause. Il était juste allé avec sa mère et une copine participer au défilé du 1er mai. Les Robocops et autres tortues Ninja avaient encerclé un groupe de 200 manifestants qui n'avaient rien à voir avec les black blocs. Ceux qui en faisaient réellement partie avaient été arrêtés bien plus tôt. De cette nasse les nervis ont sélectionné au hasard la moitié d'entre eux, pratiquement autant de filles que de garçons. La plupart sont mineurs. S'en sont suivies 24 heures de garde à vue pour ces jeunes dont le seul crime était d'avoir manifesté dans le calme le jour de la fête du travail. Délit de manifestation, cousin du délit d'opinion dont avait été victime Françoise il y a quelque temps, forcée d'arracher ses auto-collants de la France Insoumise par les uniformes.
Au commissariat on leur raconte qu'ils ont l'obligation de donner le code-pin de leur portable. C'est pourtant contraire à la loi. Les portables sont la principale source des inculpations. On leur explique que la CNIL c'est pour l'extérieur, à l'intérieur du commissariat cela n'existe pas ! On prélève leurs empreintes et leur ADN. À une fille qui résiste un gentil policier lui dit que c'est comme une sucette. Celui qui joue le rôle du "good cop" offre des cigarettes, histoire de récupérer l'ADN des récalcitrants. Parfois ce serait avec les couverts ou le verre de l'unique repas qui leur est servi. Cela semble étrange techniquement, mais toutes les suspicions sont imaginables vu ce qui se pratique là hors la loi.
Dans le premier commissariat ils sont une vingtaine de jeunes dans la cage. Ensuite dispersés, dans le second ils ont droit à une cellule seul. Un banc et un wc impraticable. Cinq fouilles dont une totalement nu. À la cinquième les pandores sont tout contents de trouver une allumette au fond d'une poche. Lorsque l'unique coup de téléphone auquel les boucs émissaires ont droit tombe sur un répondeur, le message expéditif que laisse le flic a tout pour inquiéter les parents qui n'ont aucun moyen de savoir où sont leurs enfants. Les questions portent sur les black blocs, mais aussi sur leurs raisons de manifester. On leur raconte n'importe quoi. Comme les gosses n'y connaissent rien, on leur fournit un avocat commis d'office. A. me confie que l'impression la plus traumatisante est de pouvoir être privé de liberté et de se voir disparaître de la circulation en un claquement de doigt. Heureusement nous ne sommes ni à Santiago ni au Brésil, mais les références sont sues. Si aujourd'hui on ne dénonce pas les pratiques hors-la-loi de la police et les pantalonnades humiliantes, on peut imaginer les magouilles, mensonges, bidonnages et abus tragiques que l'avenir réserve. Nous glissons doucement vers une dictature où la démocratie autoritaire n'aura même plus besoin de faire semblant.
Mais tout va bien, bonnes gens, dormez tranquilles !

Photo de Michel Polizzi, ancien camarade du Lycée Claude Bernard à Paris