J'en avais un peu marre d'écouter des disques qui ne me plaisent qu'à moitié. Il y avait bien longtemps que je n'avais pas replongé dans ma discothèque classique, essentiellement des vinyles. J'avais eu ma période, qui avait commencé bien avant le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, au milieu des années 70, mais qui y avait trouvé son apogée vingt ans plus tard après nos pièces symphoniques et opératiques. M'étant avalé les quatre volumes du Traité d'orchestration de Charles Koechlin suivi du Traité d'harmonie d'Arnold Schönberg, mes camarades Francis Gorgé et Bernard Vitet me suggérèrent d'abandonner, car mon écriture devenait banale ! C'est souvent ce qui arrive avec les autodidactes. Prendre ses distances avec la doxa est plus difficile pour nous qu'inventer un nouveau langage.

Mon père ne possédait que la Ve de Beethoven par Karajan et le concerto pour piano en la mineur de Schumann. Lorsque j'eus vingt ans, devenu l'assistant de Jean-André Fieschi, celui-ci sut souvent trouver les entrées secrètes vers les mondes qui m'étaient inconnus. Il m'initia ainsi à l'opéra en commençant par Wozzeck et Pelléas. Je crois que la seconde symphonie de Mahler par Klemperer et les Kindertotenlieder par Kathleen Ferrier et Bruno Walter eurent immédiatement raison de mes a priori sur la musique classique. J'étais un musicien de rock particulièrement docte en la matière, passionné par Frank Zappa, Captain Beefheart, Soft Machine, Jimi Hendrix et tant d'autres merveilles que ma génération avait découvertes au fur et à mesure de leur apparition. Le free jazz m'avait été révélé au Festival d'Amougies en 1969 et je voue toujours un culte inextinguible à Edgard Varèse. J'avais eu la chance de bœufer avec Eric Clapton et George Harrison, et de fréquenter mon idole à moustache et barbichette. Mon enthousiasme adolescent me permit de rencontrer également les Pink Floyd, Frank Wright ou Sun Ra. Après les encouragements de Bernard Lubat et Michel Portal, ma collaboration quotidienne avec Bernard Vitet qui dura plus de trente ans fut évidemment d'une richesse inégalée. Nous n'avons jamais cessé, ainsi qu'avec Francis, de discuter de toutes les musiques de la planète depuis la nuit des temps. Cet échange me manque aujourd'hui.

Ce printemps je cherchais donc une musique qui fonctionne avec les beaux jours. Les fenêtres grandes ouvertes je laissais entrer le soleil et je me demandais depuis quelques temps ce qui pourrait en sortir. Bon dieu, mais c'est bien sûr : Arturo Toscanini était la solution. Il y a de nombreux chefs que j'admire ou qui correspondent parfaitement à tel ou tel compositeur, mais la direction d'orchestre de cet impétueux italien correspond exactement à mon tempérament. On lui a reproché de ne pas toujours respecter le tempo ou d'aller trop vite, mais qu'importe si cela swingue comme le meilleur des groupes de jazz ! Parmi la soixantaine de mes vinyles du maître j'ai choisi ses invitations à la danse avec le NBC Orchestra dans les années 40 : Ponchielli, Verdi, Bizet, Catalani, Rossini, Weber, Brahms, Paganini, J. Strauss Jr, Berlioz se succédèrent ainsi sur ma platine pour le plus grand bonheur de mes voisins. Je n'ai pas repoussé le divan pour avoir accès à mes 33 tours, car je ne compte pas en rester là.