Il y a des disques que l'on peut écouter en boucle, que l'on soit triste ou gai, seul ou accompagné, en plein soleil ou sous la lune, que les fenêtres soient grandes ouvertes à midi ou tard dans l'obscurité de la chambre... Les arabesques de Dhafer Youssef vous prennent au lasso et vous nouent comme une poupée de bondage. Le chanteur et oudiste tunisien fait d'abord tourner le disque de ses Sounds of Mirrors sur rythmiques des tablâs indiens de Zakir Hussain, fils du célèbre Alla Rakha dont j'adorais les peaux épousant ses extravagantes figures vocales. La voix de tête de Dhafer Youssef se mêle à la clarinette du Turc Hüsnü Şenlendirici tant que l'on ne sait plus qui de l'anche ou des cordes vocales font danser les volutes de fumée. Un nuage se forme alors sous les cordes de la guitare du Norvégien Eivind Aarset jusqu'à tisser un tapis volant au-dessus des continents. Enregistré à Bombay puis à Istanbul cet équipage qui parle le même langage se retrouve mixé à Göteborg en Suède.


Comme souvent les étiquettes valsent, certains parlent de nu jazz, d'autres de musique traditionnelle inventive, j'entends essentiellement le son épuré des pays du nord avec les accents chantants de ceux du sud. Dhafer Youssef a la chance de traverser la Méditerranée sans les dangers qu'affrontent quotidiennement les migrants d'Afrique et d'Asie mineure alors que l'Occident se nourrit de l'Orient. Comment peut-on être insensible à ces génies libérés de la bouteille où les avaient enfermés d'absurdes préjugés ?

→ Dhafer Youssef, Sounds of Mirrors, cd Anteprima, sortie le 5 octobre 2018