Chaque matin je traverse le parc du Château de l'étang à Bagnolet. C'est un jardin romantique plein de recoins et de chemins tordus cachés par les buissons. À l'heure où je passe il n'y a presque personne. Quel dommage que la municipalité n'ait pas changé la pompe qui irriguait la mare, vestige d'une époque encore récente ! Le ruisseau donnait vie à la prairie que survolent aujourd'hui sept vilaines perruches vert fluo détruisant systématiquement les provisions des autres volatiles qui devront se serrer la ceinture cet hiver. Les serres ne sont plus entretenues non plus. Et l'étang a été comblé il y a belles lurettes après la noyade d'un enfant. Avec les principes de sécurité actuels le "château" n'est pas prêt de retrouver ses plans d'eau. Les employés municipaux font ce qu'ils peuvent pour garder le parc dans le meilleur état, mais on ne peut pas dire qu'ils soient beaucoup aidés. J'ai repéré cinq grilles d'entrée ouvertes, m'offrant de varier les itinéraires à mon gré selon les jours.
J'y pratique la marche afghane, 3 1 3 1, inspirant et soufflant par le nez. Le 1 correspond à l'apnée. Pas encore essayé les variations 4 4 2, 6 6 2, etc., plus propices à la promenade en forêt. J'invente parfois des chansons avec des vers à trois pieds. Les oiseaux s'amusent à brouiller mon rythme martial que d'aucuns jugent plutôt zen. Il est certain qu'au bout d'un moment on fait corps avec la respiration calée sur ses pas et l'on ne pense plus à rien. Moi qui cherche toujours le plus court chemin, je me surprends à rallonger ma balade, forcément profitable à mes ballades. Des lecteurs conseillent L'art de marcher de Rebecca Solnit (Actes Sud) et Marcher, une philosophie de Frédéric Gros (Flammarion, Champs/Essais). Rentré à la maison, je file au sauna où mes pensées reprennent le dessus. Les chansons que j'y invente tiennent mieux la distance. Les disques que j'y écoute exsudent tout leur suc. Je me termine à la douche glacée, d'attaque pour la journée après un petit déjeuner copieux qui ne me fait jamais prendre un gramme...