Comme je regarde et écoute les films chez moi plutôt qu'en salles, une amie suggérait que je ratais "l'émotion du partage en public". C'est une critique récurrente que j'essuie de temps en temps. Il est certain qu'il est agréable de rire ensemble devant un film comique, ou d'avoir peur ensemble, mais cela n'arrive pas souvent. Cette amie participe aux rencontres organisées par le Méliès à Montreuil et c'est évidemment passionnant de profiter des témoignages des auteurs qui s'y déplacent. Pourtant, franchement, je rate autant que j'engrange. J'ai vu des milliers de films en salles, j'en ai vu des milliers chez moi. Jeune homme j'ai eu la chance de côtoyer nombreux cinéastes et historiens du cinéma, ce qui m'arrive encore de temps en temps dans la sphère privée. Il y a un temps pour tout. Ma bibliothèque ciblée croule sous le poids de tant de témoignages. D'ailleurs je souhaite vendre ma collection des Cahiers de 1974 à nos jours. Je ne les ouvre plus et cela occupe tout de même deux mètres de linéaire sur mes étagères chargées à craquer.
Entre la vibration du public et le champ de recherche que j'effectue en découvrant des films méconnus, je n'hésite pas une seconde. De plus, je chronique plutôt des DVD et Blu-Ray dont les bonus sont des pépites pour l'ancien étudiant de l'Idhec que je fus. Une nouvelle chance aussi pour des films oubliés. L'âge du film n'est pas un critère de qualité. Je suis ouvert à toutes les formes depuis les films expérimentaux non narratifs aux blockbusters pour adolescents attardés en passant par les films d'auteur, l'animation, les documentaires, la musique, etc. J'ai pour ce faire accès à des sources quatre fois plus dotées que la Cinémathèque Française. Je me programme ainsi des festivals domestiques pour lesquels je projette régulièrement des intégrales. Des amis se joignent à moi régulièrement. Et puis je me souviens. Chaque salle de cinéma est associée pour moi à certains films, certaines personnes. Je me souviens de Henri Langlois qui faisait l'ouvreur, des séances à minuit au Napoléon où la salle hurlait pour se rassurer, des salles de quartier vides certains après-midi, des cinémas quand ils étaient permanents, de Sergio Leone et Shūji Terayama à Cannes en 1972, de la première fois où le public a applaudi à un film sur les Champs Élysées, de la salle en sous-sol du Ranelagh où un film nous était projeté chaque matin à 10h, des fauteuils en cuir du Club 13 auquel Claude Lelouch nous avait offert l'accès le week-end, de l'écran géant à New York où j'assistai à la première de 2001 ou des trois écrans du Cinérama avenue de Wagram, des drive-ins américains dans les années 60 quand les voitures étaient encore immenses, des salles disparues de mon enfance, de l'exotisme de La Pagode ou de l'orgue du Gaumont Palace, du cinéma de Sarajevo pendant le Siège, des 26 muets que j'ai accompagnés avec mon orchestre... Il m'arrive encore d'aller à une première comme cette semaine au Cinéma des Cinéastes ou de descendre au Cin'Hoche qui est tout près. Et puis je n'aime plus faire la queue, avoir des voisins qui chuchotent ou qui cachent les sous-titres, des papiers de bonbons, du son trop fort, etc. Alors non, je ne rate rien, du moins pas plus que quiconque assumant ses choix. Il s'agit seulement de gérer son temps en fonction de ses priorités. Je regarde/écoute en moyenne un film par jour, les séries m'entraînant aussi parfois très tard dans la nuit. Comme je dors peu, il m'en reste pour écrire, composer, rêver, lire, me promener, aimer... et regarder/écouter aussi les gens, les bestioles et les étoiles...