Je ne me souviens pas avoir vu 3 femmes que Robert Altman tourna en 1977, mais j'ai été surpris par le ton onirique du film et ses flous artistiques laissant au spectateur le soin de se faire son propre cinéma. Dans le joli livre de 60 pages en couleurs qui enserre DVD et Blu-Ray, Frédéric Albert Levy cite Altman racontant avec humour qu'Agnès Varda détestait son film. Elle l'avait probablement vu à l'époque comme un film caricaturant les femmes, or il me semble que c'est l'Amérique à qui le réalisateur taille un short. Shelley Duvall (Millie), à force de vouloir tendre vers une perfection formatée, traverse le réel comme un zombie ; Sissy Spacek (Pinky) est une éternelle adolescente en quête d'une mère ; Janice Rule (Willie), dans son rôle de plasticienne, incarne le soft power qui, en créant des œuvres fascinantes, relativise l'absurdité de cet État dirigé par les machos et rayonne au delà des frontières. Dans son long entretien en bonus, Diane Arnaud, historienne et spécialiste de l’esthétique dans le cinéma, passe totalement à côté du film, obnubilée par sa formation, soulignant les effets et les ressorts d'une intrigue qu'Altman s'est toujours refusé à commenter, et pour cause. Le cinéaste s'est retranché derrière le rêve qu'il fit et fut à l'origine de son scénario. Tout dans ce film ne pourrait être qu'un rêve, ou plusieurs rêves, certes, qui s'emboîtent comme des poupées gigognes. Or l'on sait depuis Freud que le rêve s'appuie sur le vécu en le travestissant, une interprétation trop simple pouvant en cacher une autre, plus complexe. Le titre que Levy a donné au livret est Je est un autre, était-ce seulement parce que chacune de ces trois femmes est double ? Elles sont perdues comme les États Unis s'égarent dans un déni des crimes qui les ont fondés. Politiquement correct, éternelle adolescence, richesse artistique sont les mythes de l'Amérique. Si le féminisme est au menu, c'est pour caricaturer le monde des mâles, encore plus immature que celui des femmes. Ils boivent, tirent au pistolet, jouent aux gendarmes et aux voleurs, et ne pensent qu'à baiser s'ils ne sont pas trop saouls. Pitoyables. Varda s'est trompée. Les images se noient dans une piscine artificielle, la musique atonale des bois de Gerald Busby enrobe l'intrigue d'un mystère glaçant, les décors naturels, gloire de l'Ouest, isolent les personnages, le sanatorium préfigure l'avenir, mort-né. Tout est glauque. Justement glauque.


Cette bande-annonce est antérieure au remastering de cette belle publication.

→ Robert Altman, 3 femmes, édition Collector DVD+Blu-Ray, inclus un livret exclusif de 60 pages débordant photographiquement vers les autres films d'Altman et un entretien avec Diane Arnaud, historienne et spécialiste de l’esthétique dans le cinéma, ed. Wild Side Vidéo, 24,99€, sortie le 8 mai 2019