Suite à l'excellent article de Louis-Julien Nicolaou dans Télérama, j'ai regardé The Sound Before The Fury, film de Lola Frederich et Martin Sarrazac, mêlant les images d'archives du massacre perpétré par la police américaine à la Prison d'Attica le 13 septembre 1971, des témoignages directs et les répétitions du concert d'Archie Shepp à La Villette le 9 septembre 2012, quarante ans après Attica Blues, enregistré en grand orchestre en 1972. Ce disque incontournable est un brûlot politique et poétique plus proche du blues, de la soul et du funk que du free jazz.
Totalement fan de son jeu au ténor depuis le concert d'Amougies en 1969, j'ai eu plusieurs fois la chance d'interroger le saxophoniste et compositeur, en particulier en 2005 pour le Journal des Allumés du Jazz. Jean Rochard et moi-même l'avions rencontré lors d'un entretien fleuve aussi politique que musical intitulé Archie Shepp, ténor du barreau, dans le cadre de la rubrique du Cours du Temps que j'avais initiée. Revenant sur son trajet depuis sa naissance en Floride et son déménagement à Philadelphie lorsqu'il avait 7 ans, puis à New York, dans le Massachusetts et à Paris, il y raconte qu'Attica Blues fut le pivot de son retour au blues de ses racines, recherche d'authenticité et tentative de toucher un public populaire, pas seulement les noirs. Jusque là plus proche de la musique de John Coltrane, il cite Johnny Walker, Aretha Franklin et Dionne Warwick.


En 1972 le batteur Beaver Harris suggéra à Shepp de composer une suite sur la mutinerie d'Attica. Cela n'a rien d'étonnant, Shepp voulait initialement devenir avocat des droits civiques pour s’engager politiquement. Les images tournées par la télévision américaine et les témoignages sont accablants sur les conditions pénitentiaires, le racisme qui y est à l'œuvre et le gouverneur Nelson Rockefeller qui fit donner l'assaut, tuant 29 prisonniers et 10 otages parmi les gardiens. Le gouvernement américain avait décidé de se débarrasser radicalement des Black Panthers. L'introduction de la cocaïne dans les quartiers fut un moyen expéditif, même s'il finit par toucher également les jeunes bourgeois blancs. Le massacre d'Attica sensibilisa l'opinion, poussant l'administration à améliorer quelque peu les conditions de détention. Pendant quelques jours les prisonniers avaient vécu une sorte de commune utopique qui se termina dans le sang.
Si le tournage des répétitions de l'Attica Blues Big Band en 2012 m'a paru un peu long, il est très intéressant de voir Shepp au travail, il a alors 75 ans, et le complément de programme tourné par Frank Cassenti offre 45 minutes du concert avec les 25 musiciens, afro-américains légendaires et jeunes français engagés pour l'occasion.

→ Archie Shepp, The Sound Before The Fury, DVD Les mutins de Pangée, 17€