Au terme d'un projet de création, existe presque toujours une désagréable impression post-partum. Comme j'avais validé le mastering de Perspectives du XXIIe siècle, mon nouvel album co-produit avec le Musée d'Ethnographie de Genève (MEG) et les Archives Internationales de Musique Populaire (AIMP) et que son livret était entre les mains du graphiste, je me sentais vide, démuni, incapable de composer la moindre chose pendant les semaines qui suivraient. Le confinement n'arrange rien. Je rangeai mes archives de presse qui avaient subi deux déménagements et dont je retardais l'échéance depuis vingt ans et envisageai de faire de même avec le rayon bricolage à la cave, un beau fouillis où se mélangent les clous et les vis. Mes articles m'occupaient bien trois heures comme d'habitude, mais j'avais besoin de me remettre à rêver. C'était pareil avec les vacances. Notre voyage au Japon annulé par les circonstances historiques, j'avais perdu de vue la sortie de crise. Cette question fut momentanément résolue vendredi en louant une maison de pêcheur en Bretagne dans le courant du mois de juillet. Au moins on verrait la mer. Le coup de téléphone de Monsieur de Mesmaeker me proposant un travail de commande ne survenant évidemment pas, j'avais même remisé mon gaffophone...
L'idée salvatrice est venue de Sonia Cruchon et Nicolas Le Du à qui j'avais suggéré de réaliser un clip à partir d'une des pièces du nouveau CD. Ils avaient étonnamment réagi comme Madeleine Leclair en découvrant l'œuvre aboutie. Madeleine, qui est à l'origine du projet, imaginait qu'une écoute collective dans un théâtre serait parfaitement adaptée, "ou alors dans le wagon d'un train (en marche), où tous les passagers, qui se connaissent peu au début mais finissent par s'apprivoiser un peu, sont embarqués dans un même voyage." Elle rêvait d'un dôme sonore, comme Hexagram à Montréal, ou la SAT ou simplement le MEG. Allongés sur l'un des divans de leur péniche, Sonia et Nicolas avaient eu la même sensation, le besoin d'être ensemble. Or un disque se prête plutôt à l'écoute individuelle, chez soi, ou à la radio, ce qui revient à peu près au même. Était-ce dicté par le sujet de mon petit opéra qui rappelle terriblement ce que nous sommes en train de vivre ? Mes deux amis me proposèrent illico de réaliser un film qui couvrirait l'ensemble de l'œuvre plutôt que le clip d'une des pièces. Mon cerveau se remit instantanément à bouillonner. De nouvelles Perspectives se dessinaient. Je tiens mon énergie de cette pensée vectorielle qui m'anime sans le moindre effort.
Madeleine est aussitôt emballée par le nouveau projet, ainsi que la directrice d'une cinémathèque possédant quantité de films libres de droits. Nous conservons le même principe : en 2152 des survivants à la catastrophe, vivant sur les ruines du MEG, se reconstruisent à partir des archives qu'ils y découvrent. Si la musique s'appuie sur le Fonds Constantin Brăiloiu, notre long métrage de fiction documentée bénéficiera de l'incroyable iconographie du musée et ses objets collectés dans le monde entier, plus les films de la cinémathèque. Pour l'occasion je réenregistrerai certaines parties de façon à ce qu'elles soient filmées. Mais c'est juste le début, l'étincelle. Nous n'avons plus qu'à nous mettre au travail !
Reste comme toujours la question du financement. Il faudra trouver des coproducteurs et des subsides (c'est un appel voilé !), malgré l'indépendance qui a toujours fait notre force...