Si l'album Dancing in Your Head du nouvel Orchestre National de Jazz ne m'a pas accroché, trop conventionnel à mon goût, Rituels, le second, qui paraît en même temps, me donne envie de le réécouter dès le lendemain. Le premier, orchestré par Fred Pallem, est un hommage à Ornette Coleman, mais son agrandissement pour orchestre de cuivres, instruments électriques et batterie ne rend pas la liberté d'imagination du modèle, malgré la présence du saxophoniste Tim Berne sur trois des neuf pièces. C'est d'autant plus flagrant qu'Ornette composa Skies of America pour orchestre symphonique, donnant une idée d'une direction plausible de sa musique pour grand ensemble.


Par contre, Rituels, dirigé tout autant par son nouveau directeur artistique, Frédéric Maurin, échappe à la classification des genres en partageant la composition avec des invité/e/s. Ainsi Sylvaine Hélary, Leïla Martial, Grégoire Le Touvet, Ellinoa et Maurin composent une œuvre "collective" pour chœur et treize instrumentistes dont un quatuor à cordes, à laquelle le concept de rituel est censé garantir la cohésion. En réalité les œuvres sont très variées, ce qui a tout pour me plaire ! J'y vois même quelque cousinage avec le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané des années 80. À noter que l'orchestre à géométrie vraiment variable compte autant de femmes que d'hommes parmi les musiciens et les compositeurs. Sylvaine Hélary compose Le Monde Fleur rappelant un peu Carla Bley par le mélange d'influences, jazz, rock progressif et impressionnisme. Frédéric Maurin coupe en deux son Rituel, à la fois théâtral et plus contemporain avec une Leïla Martial aux masques changeants. Grégoire Letouvet prolonge cette démarche avec La métamorphose, plus choral et opératique. Écrit et composé par Leïla Martial, il arrange Femme Délit aux paroles rythmées par les allitérations de la chanteuse. Tous les textes du double album sont librement adaptés de folklores de différents continents issus du recueil Les techniciens du sacré de l'Américain Jerome Rothenberg. Les voix d'Ellinoa, Linda Oláh, Romain Dayez les portent et les transportent également. Les parties jazz sont les plus banales ; s'en démarquer offre d'innombrables entrées et portes de sortie aux compositeurs. Je me suis surpris à penser à la distance qui les sépare d'Ecuatorial d'Edgard Varèse, inspiré par le Popol Vuh, pour chœur d'hommes et ensemble. Avec Loon je reconnais la sensibilité de Sylvaine Hélary, sa palette de timbres ciselée nous entraînant vers un pays imaginaire coloré par le violon alto de Guillaume Roy et le marimba de Stéphan Caracci. Même impression d'un ailleurs avec Naissance(s) de la nuit d'Ellinoa réfléchissant celle du chasseur sous la voute étoilée. Frédéric Maurin clôt le projet avec Aiôn, les canons vocaux, le piano de Bruno Ruder, la batterie de Raphaël Koerner soulignant une ultime fois le mélange des genres, mixité garante d'un avenir.


Je me pose les mêmes questions sur l'adaptation de pièces composées par Jean-Rémy Guédon qui a confié les clefs de La Boutique (ex-Archimusic) aux huit membres du collectif pour prendre la direction de l'Alliance Française des Comores, tandis que la direction artistique de l'album Twins était confiée au trompettiste Fabrice Martinez. La voix soliste, très présente chez l'indépendant Guédon, est remplacée par l'accordéon de Vincent Peirani ; or le timbre de l'orchestre me semble y perdre son originalité aux essences boisées. C'est joli, mais trop poli à mes oreilles. Ça coule de source alors que je préfère les poids de sons qui remontent à contre courant. Il n'empêche que l'écoute du CD est agréable, les musiciens/ciennes, tous et toutes excellents, distillant la chaleur enveloppante de l'été.



→ Orchestre National de Jazz, Rituels, double CD ONJ, dist. L'autre distribution, à paraître le 21 août 2020
→ Collectif La Boutique, Fabrice Martinez, Vincent Peirani, Twins, CD La Boutique, dist. L'autre distribution, à paraître le 21 août 2020