Pour donner une fausse image de soi, il faut déjà avoir une fausse image de soi-même. Cette lapalissade peut s'approcher, par exemple, de l'étape d'une cure analytique : il ne suffit pas de connaître ses démons pour s'en débarrasser. La caverne exacerbe les projections. L'angle de vue existentialiste est trop aigu, il se referme sur lui-même. Le manque de confiance en soi est souvent la clef de nos maladresses. Sous prétexte de nous protéger de nos angoisses, nous empilons les faux-semblants. Ces réflexions introspectives amuseront les professionnels qui les trouveront probablement bien naïves. Le roi est nu. Autant me vêtir des habits de lumière, couleurs choisies au gré de mes humeurs, confort d'une harmonie autorisant les dissonances. J'adore ça. Lorsqu'il me faut convaincre autrement que par les actes, j'empile hélas les couches sous le soleil à en risquer l'insolation. Panique à bord. La logorrhée étouffe les grands espaces. Pour éviter la dispersion je me suis fabriqué un cadre. Seul ce cadre m'octroie la liberté de rêver au delà du possible, de ce qui me semble possible, à moi, l'enfant timide qui vainc ses peurs dans une extraversion productive, la création. Je peins librement à l'intérieur du cadre, m'autorisant à déborder sur le châssis, mais hors de question de tâcher les murs où la toile est accrochée. On prend des habitudes, de bonnes et de mauvaises. L'auto-discipline canalise les devoirs, mais la répétition empêche de sortir des impasses. La révolution ne résout rien parce qu'elle n'est qu'affaire de cycles. Pourquoi reproduire sans cesse les mêmes erreurs lorsqu'il y en a tant d'inconnues à tester ? Are you experienced ? Larsens, burette d'essence, flammes, drugs, sex & rock 'n roll...
Je me souviens d'une histoire déterminante qui m'est arrivée il y a près de vingt ans. Suite à une douloureuse séparation amoureuse, j'avais pleuré toute la journée. À cette époque il n'y avait ni Wikipédia ni googlisation et j'en étais à chercher le mot bonheur dans mes dictionnaires et sur l'Encyclopédia Universalis. Comme je m'en ouvrais à une très chère amie philosophe de profession, je lui racontai que j'avais vécu avec des femmes extrêmement différentes, mais que je leur reprochais à toutes la même chose. En disant cela, la vérité m'explosa au visage. Étant l'unique point commun, je leur reprochais donc ce que j'étais. Cette révélation eut sur moi un effet cathartique. Je ne fus plus jamais le même. Puis-je espérer que mes aventures récentes sur la carte du Tendre aient un effet aussi bouleversant ?
Fondamentalement vectoriel (j'utilise la métaphore I Know Where I'm Going!, titre d'un film de Michael Powell), je ne peux pas m'empêcher de projeter mes rêves et mes craintes au plus loin qui existe. Envisageant le pire et le meilleur, je me prépare à ce qui jamais n'advient, mais crée un confort autorisant l'improvisation la plus débridée, voire une réactivité incroyable en cas d'accident. En matière de collaboration professionnelle ou d'union sentimentale, je ne peux contracter le mariage sans envisager le divorce. Cela facilite terriblement les choses quand advient la catastrophe. En attendant c'est une affaire qui roule ! Adolescent je regardais les filles dans le métro en me demandant si je pourrais vivre avec les unes ou les autres ! Cela peut encore m'arriver. Ce comportement hystérique explique parfaitement l'immense liberté dont je jouis lorsque j'improvise en musique. Et en compilant obsessionnellement mes sons et mes programmes je ne fais que lister le plus grand nombre de possibles (des centaines ou des milliers, question de mémoire ou révision systématique de mes notes). Or je n'en joue jamais aucun comme prévu. La sérendipité se déploie aussi bien dans la rencontre musicale que dans la vie quotidienne. Cette manière folle de me projeter dans l'avenir me fait hélas parfois passer pour un control freak, alors que ma réceptivité et ma facilité d'adaptation tiennent paradoxalement à ce qui les masque extérieurement. Mes amis le savent. Mais ce n'est pas évident du tout lorsque je veux séduire, que ce soit professionnellement ou sentimentalement. Confondant théorie et pratique, je suis alors pris de cette logorrhée évoquée plus haut et dont j'espère me débarrasser pour éviter de traverser la Bérézina. Comme s'il ne suffisait pas que l'écorce dissimule le cambrium, le liber, l'aubier et la moelle, faut-il encore que que l'arbre cache la forêt ! Dans les conditions appropriées, l'impatient workaholic se transforme heureusement en contemplatif, et la musique cède au silence. Le silence est évidemment une vue de l'esprit, puisqu'il est peuplé par le bruit de la nature, son observation, jusqu'au son de la sève qui coule dans nos veines.