Les Mémoires d'une savonnette indocile rédigées par Luc Moullet auront merveilleusement accompagné ma première semaine de convalescence. Comme ses films, ses écrits sont à la fois drôles et passionnants. "Je pense qu'il n'y a de vrai comique que sur des sujets sérieux." Quel plaisir que ses souvenirs aux Cahiers du Cinéma, fourmillant d'anecdotes croustillantes sur ses camarades de la Nouvelle Vague, et l'évocation de ses tournages m'a donné envie de revoir ses courts et ses longs, travail au long court...

En mai 2009, j'avais écrit "Luc Moullet enfin !":


Luc Moullet est drôle. Il prend son temps.
Luc Moullet est drôle. Il filme son temps.
Luc Moullet n'est jamais aussi drôle que lorsqu'il joue dans ses films ou qu'il les présente.
Ses films mettent du temps à sortir au cinéma, 24 ans en moyenne !
Certains atteignent des sommets. D'autres planent on ne sait-z-où ?
Anatomie d'un rapport (1975) et Genèse d'un repas (1978) (ci-dessus) sont des chefs d'œuvre du docu-fiction. Des films clés de l'histoire du cinéma.
Sérieusement drôles et drôlement sérieux.
Dix courts-métrages spécifiés "très drôles (sauf un)" [...], avec Luc Moullet littéralement « en shorts ». De Un steak trop cuit (1960) à Le litre de lait (2006), en passant par Essai d'ouverture (1988) et Toujours plus (1994), le réalisateur nous explique sa manière de voir le monde, unique, cocasse, critique, là où tout se qui tombe à côté de la plaque est ramassé par de braves gens qui s'en tiennent aux faits. Généreux, Luc Moullet devrait passer en potion quotidienne, autour du Journal de 20 heures, comme jadis Les Shadoks, Desproges ou les Deschiens. Il faut insister pour que le réalisateur y interprète son rôle.
Des deux longs métrages publiés récemment par blaq out, je préfère "Le prestige de la mort" aux "Naufragés de la D17". Moullet est plus à l'aise pour se diriger dans l'absurde qu'avec ses comédiens dont les à-peu-près rappellent ceux des interprètes de Mocky.
Si Moullet sait prendre son temps, c'est qu'il n'est pas pressé de mourir, même pour faire vendre ses films. Il n'est jamais aussi bon que lorsqu'il tente sincèrement de comprendre comment fonctionne un système. Changement d'angle assuré. Et ne manquez surtout pas la présentation de chaque film, court ou long, par leur auteur.



Douze ans plus tard, à 83 ans, Luc Moullet termine ses Mémoires d'une savonnette indocile sur une complainte du "progrès", rappelant les propos de Jean Renoir : "Il y a une seule chose dont je suis à peu près sûr, c'est que le progrès a été une erreur, et que plus nous possédons de commodités matérielles, plus notre situation s'en trouve compliquée." Ses vœux vont à freiner ou arrêter le changement climatique, et de hurler à la dernière ligne : "À bas la vitesse, la fibre, les 4 et 5G ! Vive le ministère de la Dénumérisation !". C'est que toute sa vie Luc Moullet aura été un adepte du Système D, jonglant en coquin avec le Système lui-même (pas le D cette fois, mais celui qui nous empêche de nous émanciper), mettant en scène l'absurdité de nos vies en nous faisant rire de nous-mêmes.

→ Luc Moullet, Mémoires d'une savonnette indocile, 400 pages, Ed. Capricci, 22€