Rares sont les disques que j'ai envie de remettre sur la platine, aussitôt écoutés, puis le lendemain y revenir comme si c'était la première fois. Je ne m'attendais pas à être saisi par l'album Unheimlich Manoeuvre du bassiste norvégien Jo Berger Myhre pour avoir entendu la semaine précédente Stitches, le nouveau CD de son compatriote, le trompettiste Nils Petter Molvær, qu'il a coproduit et qu'il accompagne aux basses acoustique et électrique, augmentées de différents synthétiseurs et boîtes à rythmes. Même instrumentation pour Jo Berger Myhre, mais le disque planant du trompettiste n'apporte pas grand chose à sa production habituelle tandis que celui du bassiste nous entraîne dans un univers sombre et mystérieux où l'on est étonné qu'il y ait encore du son tant l'azur est profond et les nuages obscurs. J'ignore pourquoi j'ai pensé à Scott Walker ou au Double Negative de Low. Les drones orageux minimalistes, les courants d'air des effets électroniques et les basses vibrantes font planer une menace qui annonce la catastrophe plus tôt que prévue. Et néanmoins rien encore ne se voit. Rien encore ne s'entend : le message lui-même à présent s'est tu. Ce qui devait être dit l'a été. Silence.* Cela n'empêche pas les neuf pièces d'être variées dans le timbre comme dans le tempo. De l'une à l'autre, le tombak de Kaveh Mahmudiyan, la guitare acoustique dse Jo David Meyer Lysne, le piano droit de Jana Anisimova, l'orgue d'Ólafur Björn Ólafsson et la voix de Vivian Wang (lisant Raymond Carver) viennent apporter de nouvelles couleurs. Une histoire du temps, quand l'espace est trop large. Étrange, angoissant, c'est la traduction de unheimlich. À la manœuvre, un musicien au son riche et précis qui, pour avoir l'habitude de s'effacer derrière ses camarades, sait que l'objet, fut-il volant et non identifié, est tellement plus important que le sujet.

→ Jo Berger Myhre, Unheimlich Manoeuvre, CD/LP Rare Noise Records, également sur Bandcamp, CD £9 / LP transparent £20, dist. Differ-Ant
* C.F.Ramuz, Présence de la mort