Lionel Martin est-il aussi seul que le prétend le titre de son nouvel album, Solo ? Si les machines ont une âme, c'est plutôt le disque d'un soliste au milieu de l'orchestre, une forme singulière de solitude, un hurlement d'indien dans le brouhaha désertique de notre espace, espace d'autant plus réduit par la crise sanitaire. Dans le précédent Solo(s), avec un s celui-là, le saxophoniste s'enregistrait dans des univers cléments, sous un pont à Goussainville, dans le métro à Paris, les champs de la Beauce, le long de la Loire, des lieux somme toute fréquentés par ceux qui aiment travailler leur instrument devant un public de passage ou au milieu de la nature frissonnante. Pour cette suite sans s, Lionel Martin choisit une usine métallurgique, un moulin, un atelier de métiers à tisser, des trayeuses automatiques dans une ferme... Le rythme des machines tient du Ballet mécanique de George Antheil et du Pacific 231 d'Arthur Honegger poussant son anche aérienne vers des incantations rappelant Pharoah Sanders. Le peintre Robert Combas, qui a réalisé une nouvelle fois la couverture du disque, s'est laissé convaincre de jouer de la mandole, de la guitare électrique ou du pinceau. Ce Solo est donc parfaitement convivial ! Le saxophoniste joue sur tous les tableaux, accumulant soprano, alto, ténor, baryton, souvent en direct, parfois en rerecording. La transmutation est à l'œuvre : métal en fusion, grain en farine, tissu suivant chaîne et trame, lactation, mouvement ferroviaire, toile intégralement recouverte de peinture. Six pièces, six ambiances sonores, six chants. Décor, gros plan, perspective, montage, mixage. Autant de courts métrages lyriques sans autre image que celle que chacun/e imagine à l'écoute de la partition du monde.



Le clip de Seb Coupy est une version du dernier morceau du disque, Son je, mes moires, parmi toutes les possibles. Il rappelle que nous sommes faits, ciel, faits des souvenirs que nous avons plus ou moins choisi de fixer et que nous répéterons en boucle, réduisant progressivement ce storytelling à un squelette désarticulé, une histoire qui nous échappe, mais que l'artiste sublime en tournant autour, tel un essaim d'abeilles, pour qu'ensuite nous en savourions le miel.

→ Lionel Martin, Solo, CD Ouchrecords, dist. Cristal, Ouchrecords 16€ / LP / Bandcamp