La thématique de la nouvelle Biennale des Arts Numériques Némo se focalise sur l'invisible, soit les données, les ondes, l'ADN, etc., en tentant de l'interpréter graphiquement ou de manière sonore. La plupart de ces transpositions audiovisuelles et performatives tiennent plus du Palais de la Découverte que d'un musée d'art contemporain, mais les mathématiques n'étaient-elles pas considérées comme un art chez les Anciens ? Nombreuses œuvres présentées interrogent notre époque et le chaos intellectuel qu'elle suscite. Il n'est plus question de savoir si la catastrophe va arriver mais quand elle se produira. On notera le point d'interrogation du titre de l'exposition sise au Centquatre-Paris jusqu'au 9 janvier 2022, Au-delà du réel ?, pirouette astucieuse quasi brechtienne questionnant nos faibles pouvoirs de divination ou d'imagination.


Autour du ballon gonflable représentant la planète Mars par Luke Jerram et du tunnel de miroirs Passengers de Guillaume Marmin sont organisés des zones thématiques : La Terre en colère, Vous n'êtes pas invisibles, Natures dénaturées, Bureau d'expertise des phénomènes invisibles, Combien d'anges peuvent danser sur une tête d'épingle ?, Traqueurs traqués, Forensic Architecture. Partout les machines prennent le relais d'une humanité en faillite. The Nemesis Machine - From Metropolis to Megalopolis to Ecumenopolis de Stanza étale sa vision tentaculaire de notre cité de contrôle tandis que les écrans de Richard Vijgen font apparaître l'embouteillage satellitaire ou l'asphyxie de notre environnement...



Partout les humains jouent avec le vivant en apprentis-sorciers, laissant s'échapper des éprouvettes des monstres auxquels l'avenir devra faire face, dans la meilleure des hypothèses. Le réchauffement climatique rebat les cartes s'il ne les brûle pas irrémédiablement. Le rhinocéros blanc d'Alexandra Daisy Ginsberg (The Substitute) prend vie, les pixels se multipliant en se faisant de plus en plus minces, ses ruminements perdant progressivement leurs glitches, mais Sudan, le dernier de son espèce a hélas bien disparu en 2018. Traité par Heather Dewey-Hagborg (Probably Chelsea), l'ADN de la lanceuse d'alerte Chelsea Manning accouche d'une vingtaine de visages possibles, autant de masques qui soulignent l'à-peu-près de notre science. L'orgueil de notre espèce n'a pas de limites.


La plastique des œuvres cache souvent leur propos. Des jeunes femmes s'échangent des selfies devant Earthworks du duo Semiconductor, transposition psychédélique de l'Anthropocène. Plus loin elles se pâment devant les propriétés biréfringentes du mica anisotrope de MicaPenrose de Léa Barbazanges... Notons que les artistes féminines sont ici plus présentes que dans les musées et galeries d'art contemporain les plus en vue.


Samedi dernier, la soirée d'ouverture se terminait avec plusieurs performances audiovisuelles où la musique électro et les projections lumineuses ressemblaient tout de même à ce qui se faisait il y a déjà vingt ans. Même à oublier le fabuleux pionnier Nicolas Schöffer (1912-1992), cela n'enlève rien au pouvoir de fascination qu'exercent la puissance des watts et le stroboscopisme des images. La noise et les miroirs-écrans de Falaises, concert réalisé par Alexis Langevin-Tétrault, Guillaume Côté et Dave Gagnon, échappèrent aux rythmiques techno qui précédèrent et suivirent sans pour autant faire danser personne. Pourquoi la musique est-elle toujours en retard sur les autres arts dans son appréhension par le public ? Le dispositif de Max Cooper, installé en sandwich entre deux écrans géants, produisait un bel effet de relief, mais les images manquaient cruellement de sens. Jean Cocteau rappelait que "certains s'amusent sans arrière-pensée". Heureusement, Némo court jusqu'à janvier avec de nombreuses performances où la dramaturgie reprend le pas sur l'hypnose. Nous aurons cruellement besoin de lucidité face à la catastrophe planétaire qui se profile.