À la lumière des analyses des spécialistes du réchauffement climatique, on peut toujours craindre une bouffée d'éco-anxiété qui vous donnerait le vertige telle une angoisse métaphysique profonde sur l'avenir de la planète et de l'humanité. Je n'ai pas lu Pablo Servigne, mais son Comment tout peut s'effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes en a fait basculer plus d'un/e. Que Jean-Marc Jancovici, ingénieur à l'origine du bilan carbone, s'associe avec le talentueux dessinateur Christophe Blain m'a fait sauter le pas, une bande dessinée me semblant plus à ma portée qu'un pur écrit. C'est évidemment la raison qui les a poussés à commettre ce passionnant volume de 196 pages, et le pari est gagné, les exemplaires se vendant comme des petits pains dans les meilleures librairies.
Le monde sans fin, titre plutôt gentil si l'on pense aux risques qui nous pendent au nez, est d'abord un outil analytique didactique extrêmement clair sur les ressources énergétiques et leur consommation. En remontant le temps, on comprend la bascule qu'a représentée l'industrialisation et l'emballement démographique qui s'en est suivi, le rôle des énergies fossiles, et comment le moindre de nos gestes quotidiens influe sur la planète. Petites figures incarnées au fil des pages, Blain interroge Jancovici, imprimant des images fortes dans notre ciboulot, comme la figure de l'Iron Man chère au théoricien. Ici et là des tableaux comparatifs illustrés permettent de comprendre le poids et le prix des choses que nous consommons. Se succèdent ainsi des chapitres sur le pétrole, le shale oil (schiste bitumineux), le climat, les énergies non carbonées, la culpabilité, les transports, le logement, le striatum ! Tout cela est présenté avec humour, clairement, à grand renfort d'allégories, de métaphores et de métonymies. Je suis ainsi un peu rassuré par ma pratique quotidienne (Amap, circuits courts, vélo électrique, etc.) ou plus exactement sur les engagements que je me suis fixé (pompe à chaleur, plus de voyages en avion, etc.), même s'ils sont loin de ce qu'il faudrait faire pour éviter le mur.
Blain joue le candide tandis que Jancovici analyse intelligemment la situation, promeut la décroissance, mais conclut un peu vite lorsqu'il s'agit du nucléaire dont il est un ardent défenseur. Ses affirmations sur le peu d'impact réel des dégâts causés par Tchernobyl et Fukushima, très loin de ce qu'il est commun de rapporter, me surprennent tant que je vérifie ses sources, puisqu'aucune n'est jamais citée dans l'ouvrage. Il accorde ainsi une confiance absolue à l'UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants, dont il compare le sérieux des conclusions avec celles du GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, puisqu'ils procèdent tous deux du même fonctionnement. En outre persuadé que les réacteurs français ne risquent absolument rien, il omet tout de même d'évoquer sérieusement le stockage des déchets nucléaires et le coût des EPR. Si l'on s'en tient à l'équation bénéfice-risque, on comprend évidemment que les combustibles fossiles, charbon et pétrole, sont les pires solutions, à la fois polluantes et limitées dans le temps, que l'énergie solaire et les éoliennes ne peuvent répondre aux besoins actuels, et que le nucléaire, s'il est correctement géré, peut être une solution provisoire, mais qui ne peut être satisfaisante que dans une politique globale de décroissance.
Si l'on n'est pas au fait de la transition énergétique indispensable qui se profile, la lecture de l'ouvrage est fortement recommandée. C'est bien fait, spirituel et il permet de se faire soi-même une idée en creusant les affirmations parfois péremptoires de Jancovici. On notera d'ailleurs que la cause de tout ce gâchis est occultée, à savoir le capitalisme, comme le striatum (ce qui nous fait agir sans réfléchir) fait l'impasse sur la manipulation de l'opinion chère à Edward Bernays à l'origine du consumérisme. Ce sont souvent les limites de ceux qui se réclament essentiellement de l'écologie sans prendre en compte l'enrichissement absurde et mortifère des élites économiques.

→ Christophe Blain & Jean-Marc Jancovici, Le monde sans fin, ed. Dargaud, 27€