Depuis cet article du 9 février 2009 Ganesh a éteint ses lumières, mais elles doivent briller tout de même pour moi quelque part. Jean nous a quittés il y a déjà sept ans, mais il est question qu'il soit réincarné prochainement en Eddy Bitoire. Pascale est en pleine forme dans sa garrigue. Mon statut d'intermittent s'est mué en retraite, m'assurant une stabilité financière que je n'avais jamais connue jusqu'ici. Je n'ai pour autant rien changé à mes activités. Debout tôt le matin, je continue à écrire, composer, jouer, me promener dans la nature et la ville, les rêves et le réel. Il aura seulement fallu rajeunir régulièrement mes commanditaires ! Quant au quotidien il a subi suffisamment de révolutions pour que j'accueille chaque jour avec le sourire, et tant de catastrophes que je m'inquiète plus que jamais de l'avenir de nos enfants. L'indispensable décroissance me fait tempérer certaines de mes mauvaises manières.

En manque d'inspiration, je scrute un détail qui me fasse de l'œil alors que Ganesh cligne jour et nuit sur une des étagères de ma bibliothèque. Il y a quelques années Pascale et Jean m'avaient rapporté ce cadre de leur voyage en Inde du Sud où ils étaient partis apprendre les secrets du rythme. Pascale m'avait taquiné en affirmant que si je le laissais tout le temps allumé la fortune me sourirait. Vingt ans plus tôt, Marie-Christine avait fait mon ciel astrologique et m'avait assuré que je ne manquerais jamais d'argent. J'avais stupidement douté de la prophétie de ma camarade astrologue marxiste, je me devais de faire plaisir à mes amis en leur montrant à quel point leur sollicitude me touchait. Ganesh n'ayant jamais pris ombrage de ses bosses pour s'être ramassé plus d'une fois la trompe par terre, résistant aux intempéries et veillant sur ma situation précaire dans la nuit du salon, j'ai fini par ne plus m'inquiéter des périodes de disette. Un miracle se produit chaque fois, juste avant que je ne passe dans le rouge. Comme pour de nombreux artistes mes revenus oscillent régulièrement en crêtes et précipices, bousculades et calme plat. Matérialiste agnostique, je ne suis pas particulièrement superstitieux, et je pense saisir la magie des divinations dont on oublie les échecs et s'esbaudit des heureuses coïncidences. Cela ne m'empêche pourtant pas de suivre scrupuleusement depuis 1975 le conseil glané dans l'autobiographie de Jean Marais qui prétendait "plus je dépense plus je gagne". J'ai d'ailleurs retrouvé hier soir une lettre qu'il m'adressa et qui se terminait par ces mots :


Lorsque je n'avais pas de travail, j'allais dépenser ce que je pouvais en me faisant plaisir. Si cela ne suffisait pas, j'y retournais le lendemain. L'étendue du succès dépendait absolument de la mise. Cette gymnastique ne fonctionne que dans les limites du raisonnable, pas question de jeter l'argent par les fenêtres ou de se mettre en trop grand danger. N'empêche que l'exercice en inquiéta plus d'une. De même, j'avais remarqué que lorsque j'envoyais mille lettres pour trouver du travail, le téléphone sonnait un contrat à la clef, bien que ce soit rarement d'une personne à qui j'avais écrit. Si je n'expédiais aucun mailing, je ne recevais aucun coup de fil salvateur. Dans l’hindouisme, Ganesh, ou Ganesha, souvent appelé Ganapati est le dieu de la sagesse, de l’intelligence, de l’éducation et de la prudence, le patron des écoles et des travailleurs du savoir.