« Les Allumés du jazz sont le seul journal de jazz à maintenir un point de vue politique sur cette musique. »
Francis Marmande in Le Monde Diplomatique, décembre 2004.

Si mon vécu et mon à vivre m'ont éloigné des Allumés du Jazz je n'en reste pas moins sensible au combat que mène l'association qui rassemble une cinquantaine (selon les organisateurs) de labels indépendants de disques de jazz et bizarrement assimilés. Le numéro 24 du Journal que j'ai animé pendant des années avec Jean Rochard, Valérie Crinière et une ribambelle d'allumés est le premier exemplaire auquel je n'ai contribué d'aucune manière. Pourtant, je m'y reconnais peut-être encore plus que dans n'importe lequel de ses prédécesseurs tant il aborde un thème qui m'est cher, celui de l'engagement des musiciens dans le quotidien et dans leur art. En ces temps d'inculture et d'arrogance, de cynisme et de destruction massive, d'injustice et d'iniquité valorisée, les Allumés font preuve de salubrité publique en publiant ce numéro qui interroge les pratiques des acteurs d'un secteur donné pour moribond, le disque, et ceux qui l'alimentent, les musiciens.
"Engagez-vous, qu'ils disaient !" fait question à nombre d'entre eux (Hélène Labarrière, Dominique Pifarély, Brianhu de Junkyard Empire, André Ze Jam Afane, Dominique Répécaud) qui évoquent l'engagement de l'artiste dans son indépendance et sa quête de liberté. Loin d'un gargarisme auto-rassurant, le Journal des Allumés donne la parole à des hommes, et trop peu de femmes comme d'habitude, qui ont toujours cherché à concilier les notes qu'ils émettent avec l'espace où elles se transmettent. Si Jean Rochard ouvre le défilé avec une salutaire leçon d'histoire, Ce soir nous irons danser sans francs et sans colliers, le producteur Gérard Terronès, le pianiste François Tusques, le saxophoniste Franck Roger, le contrebassiste Jean-Claude Oleksiak, En dépit des vieux nuages, lui emboîtent le pas en évoquant les paradoxes subtils du système des subventions et les dangers du formatage. Le pianiste Alain Jean-Marie et le percussionniste Frédéric Firmin relaient La clameur des îles. En interviewant les trombonistes Thierry Madiot et Marc Slyper, le compositeur-zarbiste Pablo Cueco rappelle les avantages acquis du statut d'intermittent du spectacle, Prolégomènes à la création, avant de se demander à quoi rime la politique culturelle de l'Etat, Bromure ou Viagra. ZukaYan fait le topo sur les Disquaires en lutte : la « crise » bonne aubaine à la Fnac aussi tandis que le disquaire indépendant du Souffle Continu raconte comment Ma petite entreprise ne connaît pas la crise. Le guitariste Jean-François Pauvros relate la lutte qu'il aura fallu mener pour conserver les studios de répétition de Campus-Terrain d?Entente, Tête de gondole ou tête de manifs ?. Jeanne Porterat rappelle l'historique de L'Internationale d'Eugène Pottier et des droits d'auteur qui y sont rattachés, L'égalité veut d'autres lois. Le percussionniste Lê Quan Ninh se penche sur la musique elle-même et sur son rôle, Le geste déployé... C'est dire si la question des luttes concerne tous les marcheurs de cette manifestation porteuse de slogans autrement plus radicaux ou réfléchis que la bonhommie sympathique, mais bien silencieuse, du défilé du 1er mai samedi après-midi à Paris. Que le bruit qui s'échappe de nos instruments ébranlent les préjugés et participent à une révolution nécessaire et inéluctable !


Les Allumés ont eu l'intelligence de confier à des écrivains le soin de chroniquer les nouveautés discographiques et à des illustrateurs celui de nous faire rire ou nous émouvoir. Ainsi les dessins de Johan de Moor, Efix, Nathalie Ferlut (couverture), Sylvie Fontaine, Ramuntcho Matta, Ouin, Percelay, Pic, Jeanne Puchol, Rocco (ci-dessus), Andy Singer, Zou et les photos de Guy Le Querrec côtoient les mots de Nicole Lat, Christelle Rafaëlli, Alain Broders, Jacques Petot, Dominique Dompierre, Stéphane Cattaneo, Benoît Virot, Vincent Menière, Germain Pulbot, Jean-Louis Wiart... Au pianiste Benoît Delbecq avec le journaliste Denis Robert de commenter la photo de GLQ de la révolution des ?illets, El pueblo unido jamas sera vencido.
Ce n'est pas tout, au c?ur de la manifestation qui s'étendra jusq'au 22 mai, mois printanier hautement symbolique, les Allumés proposent toute une série de disques à 11 euros (16? pour les doubles) sur le thème "Jazz et luttes". Le Qui vive ? du Drame y est en bonne compagnie (pas républicaine de sécurité), mais auraient tout aussi bien pu y figurer nos Défense de, Trop d'adrénaline nuit, Rideau !, À travail égal salaire égal, Les bons contes font les bons amis, Carnage, L'hallali, Urgent Meeting, Opération Blow Up, etc. tant les titres de notre label GRRR ont toujours porté haut et clair leurs banderoles revendicatrices. Enfin je n'ai pas pu résister à l'irrépressible besoin de télécharger le Journal disponible en pdf sur le site des Allumés pour le lire sur l'écran au risque ?dipien de me crever les yeux plutôt que d'attendre patiemment qu'il tombe dans ma boîte aux lettres...