70 Cinéma & DVD - juin 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 23 juin 2009

La mélodie du malheur (pour de rire)


Ayant découvert The Hapiness of the Katakuris (Katakuri-ke no kōfuku), traduit en français La mélodie du malheur en référence au film de Robert Wise qu'il pastiche allègrement, je me jette sur la production hétéroclite de Takashi Miike. Le réalisateur japonais change de style d'un film à l'autre, et plus étonnamment à l'intérieur d'un même film, avec beaucoup de talent et un toupet rare, car il ne prépare que rarement le public à ses volte-face époustouflantes. Sacha m'avait bien averti du côté délirant de Miike, mais je ne m'attendais pas à tant d'invention et d'iconoclastie, animation et effets spéciaux à la clé !
La mélodie du malheur est une comédie musicale qui tient à la fois de Buñuel, du film d'horreur et du slapstick. La liberté de ton que le cinéaste se permet est rare dans le cinéma d'aujourd'hui et le mélange des genres n'est pas toujours apprécié de la critique. Plus connu pour ses films de yakuzas (trilogie Dead or Alive) ou gore (Audition), il signe aussi bien des films de science-fiction (Andromedia, Gods Puzzle) que le road-movie (même si la route laisse vite la place à la rivière) The Bird People in China dont le climat réalistico-poétique tranche avec les pétarades du western lamen Sukiyaki Western Django.


Ne manquez surtout pas celui-ci, en salle ou DVD, si vous aimez les films culte et inclassables qui secouent les neurones. Remake du coréen The Quiet Family de Kim Jee-woon, La mélodie du malheur rappelle aussi L'auberge rouge de Claude Autant-Lara, version nippone ! Les 70 films de Miike ne sont pourtant pas tous du même acabit, chacun y trouvant son bonheur selon ses goûts... Et pour les couleurs, Miike s'y entend !

mardi 9 juin 2009

Scénarios de rédemption


Nous avions d'abord été surpris par le long-métrage d'animation Princess (2006) où Anders Morgenthaler entrelardait les séquences dessinées de bouts de film tournés avec une caméra amateur. La violence du propos justifiait que le passé traumatisant resurgisse incarné par des acteurs prétendument involontaires. En face, un trait original, aiguisé, où le monde de l'enfance peut virer au cauchemar : à la mort tragique de la mère, star du porno, une petite fille de cinq ans est récupérée par son oncle. Les flashbacks filmés, tremblés et maladroits, censés fournir les clefs du comportement du tandem, colère de l'oncle et précocité de l'enfant, sont insérés dans le lecteur VHS qui recrache l'horreur leur collant à la peau.
Trois ans plus tôt, cette noirceur existait déjà dans le court-métrage d'animation Araki: The Killing of a Japanese Photographer induisant la mort imaginaire du célèbre photographe japonais dont les clichés sulfureux firent et font encore scandale. Même scénario, même morale sans complaisance. Les cinéastes nordiques n'y vont pas de main morte.
Un an après Princess que l'on peut considérer comme une œuvre marquante de l'animation adulte, le cinéaste danois récidive en 2007 avec un film où l'on sent la patte d'un auteur dès les premières images. Tourné exclusivement avec des comédiens, Ekko ne fait référence aux antécédents d'animateur de son auteur que par le journal en forme de flip book que tient le jeune héros. Le sujet est tel qu'il ne fait plus aucun doute quant aux références personnelles qui le poussent à filmer l'enfance volée. Cette fois un policier en pétage de plombs enlève son fils. L'inconscience des adultes entraîne certains enfants à prendre leur place, quitte à payer le prix de leur innocence. Comme dans ses précédentes œuvres, Morgenthaler fait preuve d'invention tant dans le montage que dans le scénario qui réserve des surprises. La transmission des névroses familiales sont remarquablement mises en images ou en scène. La violence règne là où elle a semé ses germes, les sentiments de culpabilité entraînant les pires désastres. À ne pas régler son compte au passé, l'histoire risque de se reproduire de génération en génération.

vendredi 5 juin 2009

Imago


Voilà déjà un an que 80 balais ont salué la naissance de l'artiste. Si Agnès Varda est un bourreau de travail, elle a appris à prendre son temps, profitant des fleurs de son jardin en forme de couloir rue Daguerre. À l'heure du thé elle s'endort régulièrement pour récupérer de ses longues journées de labeur. Sa vivacité, son intérêt pour les nouvelles technologies et son enthousiasme sont rafraîchissants. Tandis qu'elle prépare l'édition DVD des Plages d'Agnès, elle œuvre déjà à une nouvelle installation pour la Biennale de Lyon. Elle nous raconte le tournage sur la Seine à bord du voilier qu'il a fallu transporter depuis Sète, la douzaine d'autorisations nécessaires, le vent, la lumière, les bateaux-mouches, les horaires impossibles imposés par les autorités, le propriétaire inquiet caché dans la cale qui redresse la tête au mauvais moment, l'absence de toilettes sur les quais... Le cinéma est affaire de patience, de calculs savants et d'improvisation de dernière minute. Cela me manque parfois. J'en retrouve quelque chose quand j'improvise sur scène ou lorsque je dois défendre mes choix devant un client, mais rien n'est plus excitant que de capter ces moments fugaces que l'on figera sur ce qui tient lieu de pellicule comme on épingle un papillon. Cruel et magnifique.

mardi 2 juin 2009

La réalité alternative de Coraline


Coraline est le nouveau film d'animation de Henry Selick qui fera frissonner les enfants qui n'ont pas froid aux yeux et les adultes qui ont gardé leur fascination pour les cauchemars surréalistes. Tiré d'un conte noir de l'écrivain anglais Neil Gaiman, publié en 2002 et traduit par Hélène Collon (oui, c'est bien notre amie de Citizen Jazz !), souvent comparé à Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll pour sa réalité-alternative, il a été réalisé en "stop-motion" par celui qui dirigea L'Étrange Noël de Monsieur Jack dont Tim Burton n'était que l'auteur et le producteur.
La cible adulte explique probablement son absence de morale chère à Disney ou Pixar, ou, s'il faut en trouver une, elle serait bizarrement réduite à faire confiance à ses parents plutôt que de se laisser appâter par les offres alléchantes d'étrangers très gentils. Coraline est surtout un feu d'artifice d'effets graphiques ou magiques et une histoire macabre entretenant une forte tension tout le long du film. Le scénario manque parfois de profondeur, les clins d'œil relevant plus d'un système de références propres à son créateur qu'à un approfondissement psychologique des personnages même si le double monde dans lequel nous évoluons, nos songes et notre quotidien s'influençant mutuellement et parfois dangereusement, nous renverse et nous trouble. Autre réserve, malgré la présence brillante de solistes telle la harpiste Hélène Beschand, la partition de Bruno Coulais n'est pas à la hauteur d'un Danny Elfman. C'est étonnant comme les films se figent dans un genre dès lors que le succès pointe son nez. Pourquoi, par exemple, imiter platement les musiques des films précédents plutôt que faire preuve d'invention ?
Il n'empêche que Coraline est une féérie qu'à découvrir en salle on préfèrera voir en 3D (sortie le 10 juin), en attendant que des films comme Mr Jack soient vendus en DVD avec les lunettes polarisantes appropriées.

P.S. : grosse déception à la sortie du DVD vendu avec 4 paires de lunettes 3D sur le principe d'un verre rouge et l'autre vert, aucune maélioration depuis les années 60, les couleurs tournent fadasses, le relief n'apporte rien à la magie cinématographique, heureusement la version "normale" est aussi dans le boîtier...

lundi 1 juin 2009

Home


Une famille vit dans une maison isolée le long d'une quatre voies laissée à l'abandon depuis sa construction. Mais les travaux reprennent et le désert surréaliste qui lui tient lieu de jardin devient un cauchemar dès les premières voitures. Road movie immobile, Home commence sur les chapeaux de roues alors que la bretelle d'autoroute n'est pas encore ouverte. La réalisatrice Ursula Meier nous conduit sur une voie rectiligne qui mène à la catastrophe. Le film ravive nos craintes quant aux mutations du paysage et à l'arrivée de nouveaux voisins. Derrière les rails de sécurité, les bas côtés enferment les personnages dans une marge fragile, incapables de visualiser la réalité border line de leur situation décalée. Les acteurs sont épatants, particulièrement Olivier Gourmet en rocker de zone et Isabelle Huppert en mère de famille déjantée. On peut imaginer la force qu'Ursula Meier acquérerait si elle faisait preuve de la même inventivité pour la musique que pour le son et l'image, la chef opératrice Agnès Godard s'étant spécialement investie dans cette œuvre originale qui donne envie de surveiller les prochains films de la jeune réalisatrice. Mais rares sont les cinéastes qui imaginent au son ce qu'ils osent dans leurs scénarios ou leurs images. La contemporanéité sonore reste des décennies en arrière, constat rageant lorsque l'on sait le pouvoir d'évocation qu'il offrirait. Pour tout le reste, roulez jeunesse ! (DVD contenant un excellent entretien avec Ursula Meier et Agnès Godard, dist. blaq out).

P.S. : bémol en commentaire