70 Cinéma & DVD - janvier 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 28 janvier 2010

Le souffle, le geste et l'œil


Le souffle et le geste est un magnifique trio réuni par la réalisatrice Mathilde Morières pour un court-métrage où se répondent astucieusement la peinture d'André-Pierre Arnal, la flûte zavrila de Jean Morières et la caméra. Cherchant des points d'accord entre les différentes disciplines, elle filme l'ombre à plat du musicien sur le mur en réponse au peintre du groupe Supports/Surfaces, puis semble capter le bruit trempé du pinceau ou laisse son objectif errer sur la toile. La musique hyper zen laisse le temps à la respiration, les gros plans des mains se répondent là où l'on ne les attend plus et les pistes de flûte de la coda rappellent les superpositions de papier découpé. Mathilde virevolte au milieu de ses plans rimés et l'absence de tout commentaire rend magnifiquement hommage à la création et à la rencontre des arts dans leur cousinage. Élégance et délicatesse se retrouvent dans un autre film, étonnamment court, intitulé avec justesse Un temps suspendu où cette fois la réalisatrice joue du flou pour capter l'inaccessible.

mardi 12 janvier 2010

Skidoo, quand Preminger s'initie au LSD


Otto Preminger n'est pourtant pas un rigolo. Ses origines juives, ukrainiennes à l'époque de l'Empire austro-hongrois, ne lui ont pas donné un humour à la Lubitsch ou Billy Wilder. Ancien élève de Max Reinhardt, après avoir émigré aux États-Unis il acquerra la célébrité avec le mythique Laura et continuera avec Carmen Jones, L'homme au bras d'or, Sainte Jeanne, Bonjour Tristesse, Porgy and Bess, Autopsie d'un meurtre, Exodus, Tempête sur Washington, Le cardinal... des films de virtuose avec des sujets comme le viol, l'homosexualité ou la drogue qui lui valent souvent des ennuis avec la censure. En 1968, le trip de LSD qu'Otto Preminger s'avale à 64 ans en présence de Timothy Leary lui donne l'idée de Skidoo, une comédie complètement déjantée anticipant les élucubrations de John Waters. Le film ne ressemble en fait à rien de connu, ovni absolu qui fera un flop total tant auprès des "adultes" qui ne connaissent rien à la drogue que des "hippies" gentiment caricaturés. Deux mondes se rencontrent sans se comprendre. L'humour et la vision très personnelle de Preminger sont le fruit de son indépendance. Avec ses outrances burlesques et ses provocations tous azimuts, le film réfléchit pourtant remarquablement l'époque. C'est même probablement la meilleure représentation d'un trip d'acide qu'il m'ait été donné de consommer, aussi loin que ma mémoire puisse remonter. On raconte que Groucho Marx goûta également un buvard pour savoir comment jouer son rôle, le dernier de sa carrière, Dieu, patron de la mafia ! Mickey Rooney et Jackie Gleason sont parfaits, Carol Channing rappelle Mae West ou Delphine Seyrig dans Mister Freedom réalisé par William Klein l'année suivante. Les effets vidéo anticipent de trois ans 200 Motels, le chef d'œuvre de Frank Zappa. La question fondamentale à se poser avec Skidoo est celle de la nécessité ou pas de se mettre au diapason du film avec quelque expédient pour en apprécier au mieux son comique d'absurde.

P.S. : j'ai remplacé la scène du trip au LSD effacée depuis sur YouTube par l'étonnante bande-annonce prtésentée par Timothy Leary, Sammy Davis Jr, Groucho Marx... avec tout le générique chanté, et non des moindres ;-)

lundi 11 janvier 2010

Le comble du cinéma


Voilà presque un an que je n'ai pas édité de playlist de films, exceptés ceux pour lesquels j'ai écrit un article comme les quatre longs métrages de Paolo Sorrentino, l'essai interactif Imagine sur le site d'HBO, The Pervert's Guide to Cinema de Žižek, les films d'animation Bachir d'Ari Folman, Coraline d'Henry Selick et Paprika de Satoshi Kon, le provoquant Princess d'Anders Morgenthaler, le kitchissime Avatar, plusieurs DVD de films expérimentaux plus ceux de Martin Arnold et une soirée de projection de Jacques Perconte à La Société de Curiosités, les élucubrations musicales télévisées de Spike Jones, les galipettes de Cécile Babiole, les Rouletabille de L'Herbier, La fabrique des sentiments de Moutoux, L'âge des ténèbres de Denys Arcand, Home d'Ursula Meier, Cortex de Boukhrief, La mélodie du malheur de Miike, Forbidden Zone de Richard Elfman, Convoi de femmes de Wellman, le dernier Aldrich All the Marbles, les cinq saisons de The Wire, le coffret Salut les Copains, le Ciné-Romand de Françoise et mon propre Nuit du Phoque... Ce qui nous mène jusqu'à ma précédente playlist !

Dans le plus grand désordre j'aborderai donc des films vus en 2009 et dont je n'ai encore soufflé mot :

  • À sa sortie, j'avais bêtement boudé Le bal des actrices, second film de Maïwenn Le Besco après son coup de maître(sse) Pardonnez-moi, or son nouveau faux documentaire nous en-chante littéralement, tournage kaléidoscopique où l'on remarque l'excellence des actrices (Karin Viard, Marina Foïs, Muriel Robin, Jeanne Balibar, Charlotte Rampling, Julie Depardieu, Christine Boisson et bien d'autres) comme celle de Joe Starr, comédien d'une justesse absolue (dvd Warner).
  • Capturing the Friedmans est un documentaire d'une force redoutable d'Andrew Jarecki, digne héritier d'Errol Morris, qui dresse le portrait d'une famille américaine entraînée dans le tourbillon de révélations fracassantes par le truchement de home movies, de témoignages bouleversants, de manipulations policières aussi tordues et d'une enquête psychanalytique pleine de finesse et d'intelligence (dvd mk2).
  • Invictus de Clint Eastwood est aussi pouf pouf et ennuyeux que les derniers Michael Mann (Public Ennemies), Spike Jonze (Max et les Maximonstres), ou pire, les derniers Tarentino, si gros navets que je ne tenterai même plus de regarder les suivants. Mais je ne vais pas m'étendre sur toutes les grosses daubes américaines que je me suis farcies avant d'apprécier District 9 de Neill Blomkamp (dvd Seven), Two Lovers de James Gray (dvd Wild Side Video) ou la très émouvante comédie dramatique Rachel Getting Married de Jonathan Demme où l'utilisation de la musique est toujours in situ (à noter la présence de Cyro Baptista !)... Nous avons également aimé Irina Palm de Sam Garbarski avec Marianne Faithful en géniale grand-mère courage (dvd Gie Sphe-Tf1) et Adoration, le dernier d'Atom Egoyan, pourtant massacré par la critique, dans lequel Arsinée Khanjian n'a jamais été aussi bonne (dvd Gie Sphe-Tf1). Je craignais le pire avec The Informers de Gregor Jordan d'après Bret Easton Ellis, mais l'étude de ce monde de jeunes adultes riches et dépravés est passionnante. Bonne surprise encore avec le polar Frozen River de Courtney Hunt (dvd France Télévisons) ou Sherrybaby, beau film de Laurie Collyer avec la formidable Maggie Gyllenhaal (dvd Metrodome)...


  • De mon florilège de comédies de Lubitsch, je n'ai encore vu que le chef d'œuvre d'humour Bluebeard's Eighth Wife, l'agréable Cluny Brown et le poussif Heaven Can Wait. J'ai plongé dans l'immense filmographie d'Alexander Kluge jusqu'à m'y noyer, sorte de Godard allemand peu connu en France (dvd importés par Choses Vues). Parmi les marathons, la série animée japonaise Kaiba de Yuasa Masaaki, l'auteur de Mind Game, recèle des trésors d'imagination et Shawn le mouton des studios Aardman permet de se détendre après un truc bien plombant (dvd Gie Sphe-Tf1) ! Nous ne viendrons pas non plus au bout de l'œuvre de Shuji Terayama, puzzle psychédélique complètement déjanté. Nous avons regardé un paquet de films réalisés par Kathryn Bigelow : si The Weight of Water nous a un peu barbés, Near Dark et The Hurt Locker ne valent tout de même pas Blue Steel ou son remarquable Strange Days. Même chose avec Happiness de Tod Solondz avec lequel ses autres films ne peuvent rivaliser (dvd Entertainment in Video). Par contre, je sens que le coffret de 18 Fassbinder me durera longtemps tant j'ai manqué ses films à l'époque de leur sortie...
  • Le très réussi Le convoyeur de Nicolas Boukhrief m'a donné envie de voir tous les films réalisés par Albert Dupontel qui y tient le rôle principal (dvd Studio Canal). J'ai bizarrement préféré Le créateur à Bernie... Côté rigolade, Louise-Michel de Gustave de Kervern et Benoît Delépine et Rumba de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy nous ont fait passer de très agréables moments (Gie Sphe-Tf1). Nous n'avons pas compris l'ire déclenchée contre Musée haut musée bas de Jean-Michel Ribes, comédie burlesque plutôt hirsute (dvd Warner). Dans un autre genre, les films des Yes Men sont revigorants, même si leur potentiel politique reste très superficiel (dvd Palisades Tartan).
  • Marie m'a prêté le remarquable A Bigger Splash de Jack Hazan sur la vie du peintre David Hockney que je n'avais jamais vu (dvd Compagnie des Phares et Balises). Tout comme The Manchourian Candidate de John Frankenheimer conseillé par Rosenbaum, hilarant pamphlet bancal anti-communiste (dvd MGM) ou Hitler connais pas, extraordinaire enquête documentaire de Bertrand Blier de 1963 que Nicolas m'a fait découvrir...

J'en oublie des quantités tant j'en ai vus l'an passé, sans compter les saisons 3 et 4 de Heroes, la saison 1 de Fringe, les saisons 2 de True Blood et Damages, etc. Ajoutons les merveilleuses perles contenues dans les coffrets DVD de Cinq colonnes à la une et Dim Dam Dom...
Me vautrer devant un film sur grand écran est l'une des rares occupations qui me déconnectent de mon hyper-activité...

jeudi 7 janvier 2010

Paolo Sorrentino, un nouvel Orson Welles ?


Mon titre se réfère à la nouveauté, à la rigueur d'un cinéaste, en marge de la fadeur audiovisuelle ambiante où les Top Ten des critiques et du public sont affligeants d'inculture et d'absence critique. Mais déjà Hollywood courtise Sorrentino dont le prochain film, This must be the place, sera tourné en anglais avec Sean Penn. Le réalisateur napolitain saura-t-il conservé son originalité ? Et d'abord, qu'est-ce que c'est qu'un style ? Paolo Sorrentino sait ce qu'il veut et il y travaille, prenant le risque de filmer comme il l'entend. Pas un plan qui ne soit porté par une intention, pas un angle qui ne soit juste, pas un mouvement qui ne serve l'action ou ne participe à l'émotion suscitée. Il fait penser à un Francesco Rosi avec des accents buñuéliens et un graphisme léché quasi architectural. L'exigence du montage est celle d'un Lynch, et en regardant Les conséquences de l'amour, nous avons pensé ne pas avoir joui d'une partition sonore digne de ce nom depuis longtemps. L'utilisation de la musique y est remarquable, réellement montée plutôt que placée. Les acteurs sont superbes, en particulier Toni Servillo, héros de trois des quatre longs métrages du réalisateur, toujours épaulé par une équipe fidèle qui le suit de film en film. Servillo jouait dans les deux films italiens présentés à Cannes en 2008, Gomorra de Matteo Garrone et Il Divo de Sorrentino, qui se complètent très bien dans le portrait de la Mafia, le premier focalisant sur les actes, le second sur les raisons, la plèbe d'un côté, l'institution de l'État de l'autre. Passé quasi inaperçu malgré un Prix du Jury à Cannes, j'avais vu Il Divo (2008) sur les conseils d'Olivia et l'avais défendu dans cette colonne. J'ai commandé (trois petits prix sur Amazon) les deux autres DVD disponibles, Les conséquences de l'amour (2004) et L'ami de la famille (2006), et me suis débrouillé pour voir son premier court-métrage, L'amore con ha confini (1998), et son premier, L'uomo in più (2001). Voir dans l'affilée plusieurs films d'un même réalisateur permet souvent d'en apprécier le style, quand style il y a, chose de plus en plus rare. Ainsi après avoir découvert l'incontournable Happiness (1998) de Todd Solondz, nous avions ainsi été déçus par ses autres films. Sorrentino tient ses promesses depuis son premier court-métrage baroque dont je n'ai pas tout compris, faute de sous-titres, à sa fantastique bio critique de la crapule nosferatesque Giulio Andreotti évoquée ici-même.
La Mafia plane au-dessus des quatre longs métrages, Naples oblige, mais n'est jamais qu'un zeste dans le savant cocktail, un soupçon. Si la mort y rôde toujours, est-ce d'avoir perdu ses deux parents dans un accident domestique lorsque Paolo avait 17 ans ? Le courage nécessaire pour reconstruire sa vie, renaître de ses cendres, semble une constante, face à la jeunesse et la vieillesse qui affirment leurs prérogatives. Le cinéma est l'art du bluff, de l'illusion, et Sorrentino en joue en virtuose, avec humour et rigueur. Les secrets finissent toujours par s'éventer, mais le mystère de l'être demeure. La critique sociale comme la psychologie des personnages s'effacent derrière la construction cinématographique. La plasticité des images et le rythme de la partition sonore ne sont jamais gratuites, elles servent un propos qui se situe bien au delà du scénario. Paolo Sorrentino fait du cinéma.