En ouvrant le coffret de 3 DVD de Nos années télé publié par les éditions Montparnasse j'espérais que la madeleine de Proust ressusciterait des souvenirs intimes au delà des archives offertes à tous. La télévision ayant à peu près mon âge, ses 30 premières années correspondent à mon enfance (DVD1 : 1950-1960, Le temps des pionniers), à mon adolescence (DVD2 : 1960-1970, La télévision fait sa révolution) et à ma désertion du petit écran (DVD3 : 1970-1980, La couleur, les jeux, les feuilletons...). Le Nos du titre vise bien la nostalgie des uns ou simplement la mémoire des autres. Même si la première image est celle de Pierre Desgraupes, producteur avec qui j'ai travaillé comme compositeur de musique dans les années 70 avec mon amie la monteuse Brigitte Dornès, mes parents n'avaient pas la télévision à ses débuts, aussi je découvre certaines images mythiques d'une actualité que nous ne pouvions regarder qu'au cinéma avant le court métrage et le grand film. Mon père avait joué le rôle de candidat bidon pour les débuts du jeu L'homme du XXe siècle animé par Pierre Sabbagh ; l'émission n'y figure pas, mais on ne peut tout mettre dans 9 heures de programme qui tiennent plus du menu dégustation que de l'encyclopédie.
Cinq colonnes à la une, La piste aux étoiles, Discorama, La caméra explore le temps, Âge tendre et têtes de bois, Le palmarès des chansons, Le Petit Conservatoire de la chanson, Au théâtre ce soir, Dim Dam Dom, Les femmes aussi, Les dossiers de l'écran, Les coulisses de l'exploit, Intervilles, Monsieur Cinéma, La caméra invisible, Le mot le plus long et bien d'autres me rappellent les soirées en famille à une époque où l'unique chaîne permettait à tous de tout voir et de découvrir des mondes que nous nous serions interdits sans cela. La seconde chaîne n'y changera pas grand chose. Aujourd'hui les chaînes spécialisées cantonnent les téléspectateurs dans des ghettos communautaires. La France regardait aussi bien Les Shadoks que Lecture pour tous, Thierry le Fronde et le catch, les grandes dramatiques et les variétés, Les cinq dernières minutes et le Journal Télévisé... Je regrette que le nom des réalisateurs et le générique de chaque extrait ne soient pas reproduits sur le livret qui n'apporte pas grand chose (même grand format que le coffret Salut les copains, adapté aux cadeaux de fin d'année). Au delà de la sélection un peu trop people et des éternelles débilités (la plus belle télé du monde ne peut donner que ce qu'elle a), si l'éventail ne permet que de picorer, les génériques et les voix de toutes ces émissions raviveront les souvenirs enfouis de toutes les générations qui furent hypnotisées par la petite lucarne. Les plus jeunes pourront se plonger dans cet univers préhistorique avec le même intérêt que nous pouvons porter à l'Histoire pour comprendre comment nous en sommes arrivés là.
Dans une époque où nous fabriquons essentiellement des produits Kleenex, conçus pour se dégrader suivant un cynique plan marketing, où les œuvres disparaissent au gré du renouvellement des supports, les documents exhumés prennent une valeur inestimable. Les lettres autographes des grands personnages sont souvent des témoignages précieux sur leur œuvre, les tableaux originaux qui hantent les musées diffusent une émotion infalsifiable, les improvisations sur piano mécanique enregistrées par Saint-Saëns ou Mahler sont bouleversantes, nos bibliothèques recèlent des trésors qui ont traversé les siècles... Les archives du medium devenu le maître à penser ou la machine à décerveler de la seconde moitié du XXe siècle, détrôné(e) récemment par Internet, sont une mine d'or où nous irons piocher les pépites cathodiques qui raviveront nos émotions passées et rehausseront notre esprit critique.