70 Cinéma & DVD - janvier 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 11 janvier 2012

Terra Nova by Spielberg, ou on efface tout et on recommence pareil


La série Terra Nova (sur Canal + à partir du 19 janvier) ressemble à son producteur Steven Spielberg car, encore cette fois, une famille américaine est au centre de l'aventure, les adolescents étant systématiquement confrontés aux adultes. La science-fiction croise aussi Jurassic Park puisqu'une faille dans l'espace-temps permet à une colonie d'êtres humains de 2149, ère de fin du monde pour ne pas varier du thème en vogue au cinéma actuellement, de revenir 85 millions en arrière pour retrouver la mère nature. Comme au Crétacé règnent les dinosaures, l'affrontement entre les monstres préhistoriques et les scouts suréquipés est spectaculaire, sans négliger le combat entre les gros méchants caricaturaux, avides de profit à court terme, et les citoyens en quête de paix condamnés à se défendre. Les premiers épisodes sont plutôt anecdotiques jusqu'à ce que l'intrigue commence à pointer son nez à partir seulement du huitième épisode d'une première saison qui n'en compte que treize.

À y regarder de plus près, soit s'infliger l'intégrale avec ses violonades sentimentales et ses cavalcades in the jungle, la révolte immature des jeunes gens semble préoccuper les auteurs rassemblés autour de la scénariste Kelly Marcel. La lutte fratricide que se livre les adultes sous la férule d'un militaire de carrière aux cheveux blancs et aux plaques de chocolat intactes ou de ses adversaires, vilaine rebelle black et sponsors cupides, n'est pourtant pas du meilleur exemple. Malgré cela, les ados n'arrêtent pas de désobéir, mentir, multiplier les bévues, se laisser berner, etc., et leurs parents de toujours pardonner, parce qu'après tout c'est leur chair ! L'absence du père chez Spielberg n'est toujours pas digérée, et les femmes n'y suffisent pas, se sacrifiant régulièrement.

La grande constante du cinéma actuel est donc la fin du monde, générant soit l'extinction de toute vie sur Terre, soit la fuite salvatrice pour un petit nombre. Y voir l'incapacité de l'humanité à enrayer le processus morbide et le cynisme des riches à chercher à s'en sortir en laissant crever la majorité. L'arrogance actuelle des financiers est-elle déjà conformée à la colonisation de quelque nouvelle planète ? La classe moyenne, ruinée, irait rejoindre les pauvres se laisser mourir ou s'entretuer.

Cette perspective peu réjouissante me contrarie pour une raison idiote, matérielle et égoïste, car je m'en voudrais de hurler avec les loups. En effet, depuis des lustres j'essaye de monter un projet de science-fiction intitulé L'astre qui ne plaisait à (presque) personne et qui se décline aujourd'hui à toutes les sauces : on savait qu'on allait mourir, mais on ignorait que ce serait tous ensemble. Je range donc L'astre dans mes cartons, malgré un désir toujours aussi vif de le réaliser, ma dernière tentative ayant été d'en faire une web-fiction, le découpage en épisodes collant parfaitement à ce récit explosé où chaque individu réagit à sa manière à la catastrophe annoncée. Je venais de le ressortir de mes cartons pour me plonger dans une nouvelle adaptation qui semblait économiquement viable. Face aux oiseaux de malheur qui ont baissé les bras, plutôt que de mettre en scène l'orgueil humain et son incapacité à se gérer collectivement, je rêve d'une histoire où s'exprime la solidarité et où l'espoir peut renaître... Quelques cinéastes ont déjà choisi cette voie avec lucidité. Tant qu'il reste une petite flamme qui brille dans la nuit, rien n'est perdu.

lundi 9 janvier 2012

Rendez-vous chez Lacan

Contrairement aux médias omniprésents et prétendument universels, la psychanalyse s'adresse à une personne à la fois. Pas de généralité, mais du cas par cas. Contrairement à la médecine qui se cantonne aux symptômes, elle recherche les causes, quitte à nous révéler ce que nous ne voulons pas savoir de nous-mêmes et qui détermine nos actes ou nos difficultés à vivre.
Il y a trois ans j'écrivais, sous le titre Jacques Lacan, poète circonlocutoire, l'influence prépondérante que sa pensée eut sur moi qui n'ai jamais eu recours à la psychanalyse. À l'évoquer il me fait peser chaque mot que je tape, comme s'il possédait un sens double que sa phonétique ou la syntaxe de la phrase révèlent.

Le film de Gérard Miller, Rendez-vous chez Lacan, comble un vide. Il n'existait qu'un seul DVD sur Jacques Lacan (édité par Arte) où figurent la conférence de Louvain, un petit entretien avec la réalisatrice Françoise Wolf et un documentaire maladroit d'Elisabeth Roudinesco. Avec l'émission Radiophonie et quelques rares documents en ligne sur ubu.com, le film majeur Télévision réalisé en 1973 par Benoît Jacquot et Jacques-Alain Miller (que le psychanalyste réussit alors à imposer en deux parties le samedi à 20h30 sur la première chaîne !) n'est toujours pas publié en DVD, alors qu'il exista en VHS et est vendu (virtuellement) sur le site de l'INA. Gérard Miller a rencontré Lacan grâce à son frère Jacques-Alain, fidèle élève qui rédigea le Séminaire et qui épousa sa fille Judith. Il en tire un portrait fidèle pour qui sait lire entre les lignes ("Gardez-vous de comprendre !" est l'antidote à toute conclusion hâtive), une analyse simple et précise (son "Je dis toujours la vérité" rime avec "les poètes ne mentent pas, ils témoignent" de Jean Cocteau), mêlant humour et pertinence ("Soyez lacaniens si vous le voulez... Moi, je suis freudien"). Gérard Miller interroge des patients de Lacan, ses élèves, mais aussi ses proches, pour tenter de comprendre qui était l'homme derrière le mythe ("L'inconscient est construit comme un langage", "Ce que Freud rappelle, c’est que ce n’est pas le mal mais le bien qui engendre, qui nourrit la culpabilité", "L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas"). Il pénètre dans son cabinet et son appartement, reproduit les rares photographies qui existent, son commentaire s'adressant paradoxalement au plus grand nombre pour lever le voile sur le mystère Lacan. En bonus, les deux entretiens avec son frère Jacques-Alain et Judith, ainsi que son propre commentaire, sont aussi passionnants que le film de 51 minutes (ed. Montparnasse, sortie le 7 février).