70 Cinéma & DVD - avril 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 17 avril 2012

La question du moment


Le premier jeudi de chaque mois l'écrivain et compositeur Jacques Rebotier tient sa Revue de presse sur la scène du Triton (Les Lilas), en duo avec un musicien. Depuis février, il a affiné ses rencontres avec le clarinettiste multi-instrumentiste Louis Sclavis, la chanteuse Élise Caron, l'altiste Guillaume Roy ; la contrebassiste Joëlle Léandre le rejoindra le 3 mai et je terminerai la série le 7 juin, entre la présidentielle et les législatives. Entre temps, mois après mois, Catherine Robert et Pulchérie Gadmer demandent à des écoliers ou des lycéens "quelle est la question du moment ?" Celle qu'ils choisissent fait ensuite l'objet d'un atelier graphique avec David Nolan et des écoliers d'autres classes. Tout est filmé par Corine Dardé et son montage est projeté à la séance suivante après que deux élèves du Conservatoire des Lilas, chaque fois différents, en aient composé la musique, avec mon aide. Un petit résumé de l'épisode précédent, filmé en public, est également inséré dans la soirée.


Jacques Rebotier tient sur Internet Le Théâtre des Questions, il découpe les journaux qu'il a compilés, sur le plateau il les commente en musique. D'autres enfants se demandent toujours quelle est "La question du moment" ?


Et, mois après mois, les questions fusent pendant que la campagne électorale bat son plein : Quand vais-je récupérer ma DS ? Sommes-nous envahis par les marques ? Vais-je déménager demain ? Quel avenir pour le monde ?...


Pour les séances d'enregistrement de la musique nous analysons le film et le structurons. Un accompagnement léger pendant que les jeunes cherchent leurs mots, plus de franchise pendant le travail graphique. Les deux musiciens trouvent de petites astuces que leur soufflent les graphistes en herbe interprétant avec malice la question. Ils mesurent. À l'instinct. La musique est enregistrée sans regarder le film monté pour être ensuite calée à l'image. Rien n'a été écrit. Tout est improvisé. Ils participent au mixage. La bande-son s'envole aussitôt par la magie du Net...


Tous les musiciens ont joué le jeu. Une chanteuse d'abord. Un second chanteur et une flûtiste. Un clarinettiste et un batteur. Enfin un pianiste et une joueuse de steel drums. Ils ont parfois pris le contrepied des images proposées, composant en confrontant les images et les sons, déplaçant de quelques dixièmes de seconde un élément pour s'apercevoir qu'au delà du rythme le sens pouvait varier au moindre écart. La seule règle qui prévalut pendant toutes les sessions fut de les mettre à l'aise et de trouver quel angle d'approche leur convenait, tant techniquement que humainement. L'histoire de la musique.

jeudi 12 avril 2012

Bad Boy Bubby & Co


Je ne me souviens pas toujours comment j'ai l'idée de choisir tel ou tel film. Je rassemble ceux que je n'ai pas encore vus sur un disque dur amovible à brancher sur le mediaplayer relié au projecteur ou je les expose devant les tranches de ceux qui sont classés par genre. Au bout de quelques semaines les titres ne me disent plus rien et je suis obligé de zapper quelques minutes, de lire les jaquettes ou de chercher sur Wikipédia. Le soir je cherche un film qui convienne à mes invités, questions de langue, de sous-titres et de genre évidemment. Je garde les pires pour les moments de solitude et les meilleurs pour les regarder avec ma compagne. Du moins ceux que j'imagine bons ou que je ne tente que par curiosité malsaine.

Comme Kay comprend mal le français, j'ai testé des films anglophones. Nous avons tenu un quart d'heure devant Terri d'Azazel Jacobs, fils de Ken, le sirop musical engluant les bons sentiments dans un sucre écœurant. Kay a craqué devant la mauvaise copie sous-titrée de Lumière d'été de Jean Grémillon, mais heureusement Françoise et moi avons tenu bon. Depuis quelque temps nous nous faisons un festival Grémillon, cinéaste que je tiens à l'égal de Jean Renoir et que Paul Vecchiali porte au pinacle dans son récent ouvrage L’Encinéclopédie. Cinéastes "français" des années 1930 et leur œuvre. En plus des rapports de classe toujours remarquablement traités, les portraits de femmes sont d'un féminisme rare pour l'époque. Le ciel est à vous (1943, donc plein de sous-entendus) ou L'amour d'une femme (1954, son dernier long métrage) sont deux chefs d'œuvre de cette sensibilité. Comme nous avons déjà vu Gueule d'amour l'été dernier, il nous reste encore à voir ou revoir La Petite Lise, Daïnah la métisse, L'Étrange Monsieur Victor, Remorques, Pattes blanches et L'Étrange Madame X dont j'ai réussi à trouver des copies parfois remasterisées.


La surprise est venue de Bad Boy Bubby (1993) dont nous ignorions tout. Film hors normes, drôle et provocateur, profond et renversant, il nous surprend sans cesse, autant par son imagination que par les émotions qu'il suscite. Sans le déflorer, je le comparerai à un Enfant sauvage en mode urbain style Tueurs de la lune de miel, version trash d'Edward aux mains d'argent filmée par John Waters, monstre révélant l'humanité de son concepteur, le cinéaste Rolf de Heer. Le tournage est à la hauteur du scénario, 32 directeurs de la photographie se succédant pour chaque nouveau lieu que Bubby découvre, avec piste son enregistrée à l'aide de deux microphones binauraux cachés dans les oreilles de l'acteur Nicholas Hope ! Comme nous sommes épatés, je vais à la pêche et rapporte dix autres films du cinéaste australien qui semblent tout aussi prometteurs, du moins dans leurs concepts : Encounter at Raven's Gate (1988) et Epsilon sont deux films de science-fiction, Miles Davis joue l'un des principaux rôles de Dingo (1991), The Quiet Room (1996) évoque l'effondrement d'une famille à travers le regard d'une fillette, Dance Me to My Song (1998) conte l'amour d'un homme pour une tétraplégique, The Old Man Who Read Love Stories (2001) est tourné dans la jungle de la Guyane française, The Tracker (2002) est un western dans l'outback australien, Alexandra's Project (2003) est un drame qui dérange, Ten Canoes (10 canoës, 150 lances et 3 épouses, 2006) est un conte aborigène ni reportage ni fiction dansant sur la couleur et le noir et blanc, Dr Plonk (2007) est un burlesque entièrement muet, Twelve Canoes (2008) se savoure interactivement sur Internet...

mardi 10 avril 2012

Quatre films d'un autre monde


La World Cinema Foundation a été "créée dans le but d’aider les pays en développement à préserver leurs trésors cinématographiques, (...) consolider et soutenir le travail des archives internationales, en offrant une aide aux pays qui ne possèdent pas les infrastructures techniques ni les ressources d’archivage nécessaires pour faire ce travail eux-mêmes." Elle publie aujourd'hui quatre films du patrimoine mondial sous l'égide de Martin Scorsese.

Transes (El Hal) (1981) du Marocain Ahmed El Maanouni est un documentaire exceptionnel sur Nass El Ghiwane, un groupe de musiciens marocains formé dans les années 70, dont les concerts mettent les foules en transe. Ahurissant. Nous les suivons sur scène et dans leur vie quotidienne, entrecoupés de documents d'époque retraçant l'histoire récente de la décolonisation. S'accompagnant aux gumbri, bendir, darboukas et un banjo sans frettes, les quatre compères chantent la résistance et leur attachement à leurs racines retrouvées, berbères et gnaouas, de la poésie du Melhoun et du théâtre dont ils se réclament. Le film est passionnant, les personnages attachants, la musique hypnotique.

Les Révoltés d’Alvarado (Redes) (1936), premier film de Fred Zinneman, cosigné avec Emilio Gómez Muriel, préfigure le néo-réalisme italien tout en assumant sa filiation avec Robert Flaherty. Pour ce nouveau chant de résistance, cette fois des pêcheurs mexicains en lutte pour leurs salaires, tous les acteurs sauf un sont des amateurs, souvent jouant leur propre rôle. Les images admirables de Paul Strand et la musique de Silvestre Revueltas participent à cet envoûtement où le documentaire flirte encore plus explicitement avec la fiction.

En regardant l'étonnant Le Voyage de la hyène (Touki-Bouki) (1973) du Sénégalais Djibril Diop Mambety (frère aîné de Wasis Diop), j'en viens à penser que Scorsese est un agitateur révolutionnaire lorsqu'il soutient les autres cinéastes alors que depuis vingt ans il se laisse formater par le clacissisme du cinéma dominant lorsqu'il dirige lui-même ! Par son montage inventif, sa bande-son contrapuntique, sa poésie brutale et son humour provocateur, le cinéaste filme le rêve de deux jeunes nomades décidés à partir en France coûte que coûte. Anta, jeune fille des quartiers pauvres de Dakar, et Mory, gardien de troupeau, préfigurent les milliers d'émigrés qui s'échouent sur les plages du sud de l'Europe ou se noient avant de les atteindre.

La Flûte de roseau (Mest) (1989) du Kazakh Ermek Shinarbaev évoque la tragédie de la diaspora coréenne en images somptueuses mais prévisibles, accompagnées d'une ensorcelante partition du compositeur Vladislav Shute ; je reste hélas peu sensible au cinéma contemplatif et sentencieux. De plus, les histoires de vengeance m'ennuient. Cette œuvre pourra néanmoins combler les amateurs de Tarkovski et de fables asiatiques. Là aussi, le quotidien croise la poésie. Comme pour les autres films le bonus éclaire le film intelligemment, ici un entretien avec le réalisateur.

Ces quatre films, augmentés de La servante (Hanyo) (1960) du Coréen Kim Ki-young et le remake de son compatriote Im Sang-soo (2010), ainsi que La loi de la frontière (Hudutların Kanunu) du Turc Lüfti Ö Akad, sont également diffusés sur les chaînes Ciné+ Club et Ciné+ Classic du 8 au 27 avril. Le coffret DVD, volume 1 d'une nouvelle collection chez Carlotta, sort le 18 avril.

mercredi 4 avril 2012

Paris, un contre un


Je pensais être capable de marcher "sur les pas de Céline", mais j'ai dû écourter la promenade du DVD Paris Céline, excédé par la gouaille forcée de Lorànt Deutsch. Si Louis Ferdinand Céline est l'un des plus grands écrivains français du XXe siècle avec Louis Aragon, leurs points de vue politiques réciproques ont souvent écarté maint lecteur. Les documents d'époque cités sont toujours passionnants, mais les singeries langagières du commentateur arpentant les lieux céliniens de Paris ne font pas style pour autant. Peut-être suis-je de mauvaise foi, le fond rejoignant la forme, car j'ai du mal à suivre les fans de Céline lorsqu'ils penchent vigoureusement à droite. Pour l'auteur du film, Patrick Buisson, le handicap est carrément extrême, puisqu'il dirigea Minute et Le Crapouillot et collabore avec Sarkozy en le conseillant, entre autres, sur la création du ministère de l'Identité nationale. Je m'en veux même de lui faire de la publicité en citant son nom, mais de toute manière le documentaire réalisé par Guillaume Laidet est rasoir. Mieux vaut se tourner vers Céline vivant, un DVD bouleversant et autrement plus stylé, également publié par Les Éditions Montparnasse.

Quant à Paris, on se rattrapera aisément avec un troisième DVD du même éditeur, une suite d'images cadrant, entre autres, l'époque de mon enfance, émotions fidèles comme en produit aussi Le ballon rouge de Robert Lamorisse. On n'imagine jamais à quel point la France d'avant 1968 était grise, sans couleurs psychédéliques ni rouge et noir. Tout en nuances de gris, les photographies noir et blanc de Robert Doisneau tout simplement forment un kaléidoscope aussi puissant que tendre. Dans le film de Patrick Jeudy, le photographe commente ses clichés en voix off, dispositif simplissime et hyper-efficace, sans autres fioritures que la tendresse et l'humanité qui s'en dégagent. En marge du film, les 700 photos sont réunies en séquences thématiques, sans leur commentaire, exposant la justesse du regard et son intelligence. Comme sur une valse musette on se laisse porter par les images des usines Renault et de la banlieue, des anciennes Halles et des bistrots, de la Libération de Paris et de célébrités comme Prévert, Léautaud, Picasso et tant d'autres, de la mode qu'il critique et des baisers qu'il met en scène. J'aime particulièrement la série de la boutique de Romi où est exposé la tableau d'une femme nue avec les passants derrière la vitrine. Jusqu'à la fin de sa vie en 1994, Robert Doisneau a photographié les enfants de son quartier de Gentilly, comme me le racontaient mes nièces lorsqu'il venait à chaque fête de leur école.

P.S. : jusqu'au 28 avril Exposition Doisneau, Paris Les Halles à l'Hôtel de Ville (Salon d'accueil de la Mairie de Paris), de 10h à 19h sauf dimanche, entrée libre.